«Mes que un club (Plus qu’un club).» La maxime, qui s’affiche en lettres jaunes géantes sur la tribune latérale du Camp Nou, a perdu de sa superbe. C’est une saison de vaches maigres en Catalogne, malgré les efforts de la presse locale pour minimiser les succès du rival madrilène. Mais si l’équipe professionnelle du Barça compte de moins en moins de joueurs formés au club et que seule la Coupe du roi est venue garnir sa vitrine cette année, l’institution catalane a marqué des points sur un autre terrain. En lançant officiellement le Barça Innovation Hub (BIHub) au printemps, Josep Maria Bartomeu a affirmé sa volonté de «continuer à faire du FC Barcelone plus qu’un club».

Par le biais de cet ambitieux projet, qui s’inscrit dans le cadre du Plan stratégique 2015-2021 mis en place dans la foulée de son élection, le président blaugrana souhaite que le club «contribue à la transformation du monde à travers l’excellence sportive, grâce à la connaissance et l’innovation».

L’une des façons les plus rapides d’innover est de collaborer avec des start-up

Pour se maintenir à la pointe de l’élite footballistique, le Barça a compris qu’il ne pouvait faire cavalier seul. Dans le cadre de ce BIHub, il s’est donc tourné vers ces îlots de créativité que sont les start-up. «Actuellement, les grandes compagnies – comme c’est le cas du Barça – sont en quête d’innovation et l’une des façons les plus rapides d’innover est de collaborer avec des start-up, qui créent en permanence et sans les contraintes parfois lourdes ni les filtres d’une grande compagnie», explique Juan Alvarez de Lara, CEO de Seed&Click, une agence spécialisée dans l’innovation et le networking.

Cet entrepreneur catalan est devenu ces derniers mois l’un des interlocuteurs privilégiés du club. «On échange régulièrement avec eux et on participe à des réunions, afin de voir quels axes on peut développer ensemble. Nous les aidons à identifier les start-up et les fournisseurs qui peuvent leur apporter une plus-value.»

La recherche médicale comme figure de proue

Dans le cadre du BIHub, le FC Barcelone a défini cinq axes de travail transversaux, appelés à être en interaction: les sports d’équipe, la performance sportive, la médecine et la nutrition, la technologie et les sciences sociales. Le domaine de la médecine, l’un des plus avancés, a servi de moteur au projet. Ces derniers mois, le docteur Ricard Pruna a dressé le profil génétique de chaque joueur de l’équipe première, en collaboration avec des chercheurs de l’Université de Barcelone.

En équipant les joueurs de GPS, le staff médical du Barça a compilé des données extrêmement précises sur chacun d’entre eux sur l’application FCBMe, destinées à anticiper les blessures. A partir des résultats obtenus, les médecins ont pu déterminer leurs prédispositions à certaines lésions musculaires, préparer des séances d’entraînement individualisées, concocter des régimes alimentaires et des séquences de repos personnalisées pour chaque joueur.

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Conférence internationale 

De ces travaux est née SM Genomics, une start-up composée de chercheurs de l’Université de Barcelone associés au projet. Aujourd’hui, cette spin-off (scission privée) offre ses services à Manchester United, au Séville FC, ainsi qu’à des clubs de deuxième et troisième divisions espagnols.

Mi-mai, le club a par ailleurs accueilli la 26e Conférence internationale de la Réhabilitation et traumatologie des sportifs, en partenariat avec la FIFA, lors de laquelle ont été exposées les dernières avancées en matière de médecine régénératrice, de biomécanique et de neurosciences. Dans les autres domaines, comme la technologie, le processus est embryonnaire, même si le club a déjà mis en place diverses initiatives: des formations, des tables rondes, ainsi qu’un rendez-vous annuel baptisé Sports Technology Symposium, consacré à l’impact de la technologie et de l’analyse des données dans le monde du sport.

L’innovation au cœur de la réflexion

S’ils n’apparaissent pas clairement comme un axe privilégié par ce BIHub, le marketing et la conquête de nouveaux marchés constituent une autre priorité du Barça, par le biais de l’innovation. L’équipe de Josep Bartomeu a parfaitement saisi les enjeux liés au monde de l’innovation et les bénéfices (financiers et sportifs) que le club pourrait en tirer. «Le Barça n’est pas seulement une entreprise de sport, c’est aussi une compagnie d’entertainment (de divertissement), analyse Juan Alvarez de Lara, de Seed&Click. Le club est conscient que l’innovation est la clé d’un rapprochement avec ses divers partenaires. Les dirigeants sont donc à la recherche d’innovations qui permettent aux fans de se sentir de plus en plus impliqués, de développer leurs liens avec leurs employés via Internet par exemple, d’améliorer leurs relations avec leurs associés et d’offrir à leurs sponsors des expériences de plus en plus novatrices.»

Devancer la concurrence constitue l’une des principales motivations de la direction du club. La rénovation du Camp Nou s’inscrit dans cette volonté. Prévu pour 2021-2022, ce nouveau «stade intelligent» sera l’un des mieux équipés du monde. Contrôle, sécurité, accessibilité et services seront connectés et traités en temps réel. «On peut imaginer des projets pour le futur destinés à couvrir des besoins et inventer des nouveaux scénarios, considère Juan Alvarez de Lara. La réalité augmentée fait partie de ces innovations qui pourraient apporter un plus à un club comme le Barça. Imaginez un fan qui habite à l’autre bout de la planète et qui veut suivre le match en direct comme s’il était au stade: entendre les chants du public, voir les joueurs. C’est quelque chose que l’on peut imaginer dans le futur. C’est un vrai challenge!»

L’Asie, marché privilégié

Le Barça Innovation Hub, qui réunit des acteurs du monde scientifique, académique et de l’entrepreneuriat, englobe actuellement plus de 70 projets novateurs. Selon Juan Alvarez de Lara, ces acteurs y voient «surtout une opportunité de développer des partenariats et d’identifier des projets d’innovation, plus qu’une source de financement». La mise de départ – 1 million d’euros de budget annuel, alimenté par le Barça – est d’ailleurs relativement modeste.

En Chine, ils travaillent différemment, très rapidement et à grande échelle. Il est très intéressant d’observer leur manière de penser et de se laisser inspirer par un modèle qui nous est totalement étranger

Dans cet écosystème gravitent des sponsors, des universités et des centres de recherche, des partenaires financiers, et bien sûr des start-up et des entreprises. Main dans la main avec ces acteurs, le Barça organise des congrès et des conférences, développe de nouveaux produits et propose également des cours en ligne qui peuvent déboucher sur des masters et des doctorats. Pour ce faire, le club a récemment signé des accords avec la Guanghua School of Management de l’Université de Pékin, pour créer un Centre de management du sport et un second hub d’innovation basé en Asie. Dans quel but? «Développer l’économie sportive, qui sera l’un des piliers de l’économie chinoise dans le futur», précise le FC Barcelone.

«En Chine, ils travaillent différemment, très rapidement et à grande échelle, constate le Dr Jordi Monés, responsable du projet. Il est très intéressant d’observer leur manière de penser et de se laisser inspirer par un modèle qui nous est totalement étranger.» «La Chine est la deuxième plus grande économie du monde, rappelle Cai Hongbin, le doyen de l’Université de Pékin. Le football et l’industrie du sport sont en pleine expansion. Le club a une importante base de fans en Chine, sans doute plus que dans n’importe quel autre pays. Réunir deux marques puissantes comme le Barça et l’Université de Pékin doit nous conduire à de nouveaux succès.»

Pour le Barça, le chemin vers celui-ci passe incontestablement par l’innovation.


«Nous ne voulions pas manquer la vague»

A la tête du BIHub, le Dr Jordi Monés estime que le FC Barcelone est contraint de se réinventer en permanence.

Le Temps: Quel est l’objectif du Barça Innovation Hub?

Jordi Monés: Le but était tout d’abord de mettre de l’ordre dans la gestion de nos connaissances. Certains peuvent penser: «Un club de football doit se concentrer sur le football.» Mais dans un club comme le nôtre, l’exigence est très forte. On vient de finir deuxièmes de Liga et on a l’impression que c’est une catastrophe… Nous sommes obligés de gagner et de viser l’excellence en permanence. Ce qui veut dire que nos joueurs doivent être extrêmement performants, se blesser le moins possible, que nous devons être originaux pour attirer des joueurs et ainsi continuer à concurrencer la Premier League et sa manne financière, mais aussi que nous trouvions comment faire des bénéfices toujours plus importants sans augmenter les abonnements des socios.

– Comment ce BIHub s’est-il mis en place?

– Nous nous sommes dit qu’il serait intéressant d’échanger les connaissances produites. La marque «Barça» nous permet d’interagir avec divers acteurs du marché et d’obtenir des résultats où tout le monde est gagnant. Nous ne voulions pas manquer la vague. Deux options se présentaient à nous: la laisser nous passer dessus ou la prendre. On a logiquement opté pour la seconde. Nous souhaitons être au fait des évolutions technologiques. Or plus vous utilisez de technologie et plus vous en avez besoin.

– C’est-à-dire?

– En 2010, nous avons été les premiers à utiliser des GPS pour suivre les joueurs. Depuis, la FIFA et d’autres institutions ont approuvé leur utilisation. Au départ, nous n’avions pas de base de données, nous avons donc dû créer de nouvelles technologies pour analyser ces résultats. Il y a un effet boule de neige qui nous a conduits à développer notre networking avec des entités sportives, des entreprises, des universités… Imaginez qu’en Allemagne ou au Japon ils guérissent des cellules mères et qu’ici nous ne sachions pas le faire: on ne peut pas se permettre de se réveiller à J + 2 et de découvrir ces avancées. Nous devons être au cœur des nouvelles connaissances.

– Que faites-vous de ces connaissances?

– Il convient alors de décider si on les partage gratuitement, car elles sont positives pour la société, ou si on essaie d’en tirer des bénéfices, en créant un master dans une université par exemple. Bien souvent, le club souhaite que les conclusions tirées des analyses de nos joueurs soient partagées avec la société. Par exemple, si un jour on découvre comment mieux soigner une entorse de la cheville ou comment prévenir la mort subite chez les sportifs, on le partagera pour que d’autres médecins puissent s’en servir avec leurs patients.

(Propos recueillis par Florent Torchut, Barcelone)