La victoire de l’Argentine avait semblé se dessiner lors d’une incroyable première mi-temps, parfaite dans l’intention et la réalisation. Sous les encouragements des quelque 50 000 Muchachos qui ont pu leur donner l’impression d’évoluer à la maison, les hommes du sélectionneur Lionel Scaloni se sont sublimés pour atteindre un niveau d’engagement et d’inspiration inédit dans le tournoi, grâce notamment à Angel Di Maria, qui effectuait son retour dans le «onze» de départ après une blessure musculaire. L’attaquant de la Juventus a provoqué le penalty qui a permis à Lionel Messi d’ouvrir la marque, puis il a inscrit le 2-0 au bout d’une merveille d’action collective.
Mais la partie n’en était qu’aux prémices de son scénario dingue. L’Argentine a ensuite eu peur de tout perdre lorsque Kylian Mbappé a signé un doublé en fin de seconde période, puis elle s’est pensée tirée d’affaire lorsque Messi lui a redonné l’avantage pendant les prolongations. Mbappé a encore retardé l’échéance sur un nouveau penalty, mais les tirs au but ont finalement permis à l’Albiceleste d’arracher le titre.
Tout avait mal commencé
Le premier sacre argentin, en 1978 à domicile, portait la marque de Mario Kempes, auteur de six buts. Le deuxième, en 1986 au Mexique, fut bien sûr celui de Diego Maradona: c’est avec ses cinq buts, ses six passes décisives, ses performances hallucinantes et de manière générale en transcendant une équipe assez laborieuse qu’il est entré dans la légende de son sport.
Quelque part, malgré sa longévité et ses sept Ballons d’or, Lionel Messi devait lui aussi en passer par la plus prestigieuse des compétitions pour être considéré comme l’égal du «Pibe de Oro» par ses compatriotes. Il n’était pas passé loin du compte en 2014, avec une défaite en finale contre l’Allemagne après prolongations (1-0). A l’âge de 35 ans, le Qatar représentait sa dernière chance. Et alors que Cristiano Ronaldo (37 ans) échouait dès les quarts de finale, lui a touché au but. De quoi, peut-être, prendre un avantage décisif dans le «match» qui s’achève entre les deux grands rivaux d’une époque?
La Coupe du monde de l’Argentine, il faut le rappeler, n’aurait pas pu plus mal commencer. Lors de son premier match contre l’Arabie saoudite, identifiée comme la plus faible équipe du groupe C, les hommes de Lionel Scaloni menaient à la pause mais se sont laissé surprendre en deuxième mi-temps. Ce fut la première grosse surprise d’un tournoi qui allait en compter plusieurs. Mais l’Albiceleste, elle, retiendra la leçon puis enchaînera les succès contre le Mexique et la Pologne, puis l’Australie (2-1), les Pays-Bas aux tirs au but et enfin la Croatie (3-0) avant de défier les champions en titre.
Le film du match
Au coup d’envoi, beaucoup s’attendent à un début de match prudent des deux équipes. A un enjeu et à une pression qui, peut-être, paralysent les velléités offensives. Il s’avère que l’Argentine a décidé d’aborder le match avec passion et engagement. Sans retenue. Premier hors-jeu dans une position dangereuse à la 3e minute, première frappe puissante captée par Hugo Lloris à la 5e minute, premier corner à la 8e minute.
L’entreprise a ses risques: la France aime contrôler la domination adverse et œuvrer par ruptures. Mais en l’occurrence, les hommes de Didier Deschamps multiplient les imprécisions techniques, les pertes de balle précoces. Surtout, au duel, ils ne sont pas dans le rythme. Les Argentins ont ce petit supplément d’âme qui leur donne quasi systématiquement l’avantage.
Petit à petit, il devient clair que Lionel Scaloni a demandé à ses hommes de privilégier les attaques par le flanc gauche, celui d’un Jules Koundé qui n’évolue pas à son poste de prédilection (défenseur central) et d’un Ousmane Dembélé peu à l’aise défensivement. A la 22e, Angel Di Maria en profite pour gagner son un contre un et plonger vers le centre du terrain, Dembélé s’accroche, commet la faute. Le penalty est sans appel, Lionel Messi le transforme sans trembler.
Un penalty inespéré
Menée 1-0, la France doit réagir mais l’Argentine ne modifie pas son approche d’un iota. Intensité, pressing, jeu rapide. A la 36e, Lionel Messi engage un mouvement collectif à une touche de balle qui se termine dans les pieds d’Angel Di Maria, encore lui, dont le pied ne tremble pas face à un Hugo Lloris impuissant. Cette équipe d’Argentine régale et se régale.
Didier Deschamps, lui, décide de ne pas rester passif face à ce match qui échappe complètement à ses hommes. Avant même la pause, il procède à un double changement, Ousmane Dembélé et Olivier Giroud cédant leurs places à Marcus Thuram et Randal Kolo Muani. Kylian Mbappé se replace au centre.
Mais l’attaquant du Paris Saint-Germain échoue longtemps à peser sur la rencontre. Qu’il semble alors loin le huitième de finale de la Coupe du monde 2018, quand il faisait exploser l’Argentine avec la vitesse et l’envie de ses 19 ans jusqu’à éclipser Lionel Messi. Quatre ans plus tard, les rôles semblent étrangement inversés. Les minutes défilent. Mbappé se fait-il petit à petit à l’idée qu’il ne sera pas double champion du monde avant son 24e anniversaire, deux jours plus tard?
La France paraît totalement impuissante, mais Randal Kolo Muani obtient un penalty inespéré, et le numéro 10 des Bleus prend ses responsabilités et le transforme. Il n’en faut pas davantage pour que les Bleus recommencent à y croire. Soudain, les duels s’équilibrent. Moins de deux minutes plus tard, Mbappé hérite d’un bon ballon et, d’une magnifique volée, ramène les deux équipes à égalité. L’ascendant psychologique construit par l’Argentine en début de match a complètement disparu. Le match bascule dans l’incertitude la plus totale, et vers la grande histoire de la Coupe du monde.