Chants racistes de spectateurs: «Quitter le terrain est un droit moral»

Le 26 décembre, le match au sommet de Serie A italienne Inter-Naples a été endeuillé par la mort d’un supporter milanais, tué dans des affrontements entre tifosi. Ce sont pourtant les manifestations racistes d’une partie des spectateurs, et particulièrement les «cris de singe» lancés au défenseur franco-sénégalais de Naples Kalidou Koulibaly, qui ont choqué l’Italie et résonné bien au-delà des limites de la Botte.

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Ce phénomène n’est pas rare dans les stades italiens. Piara Powar, directeur exécutif du Fare Network, une ONG luttant contre le racisme dans le football basée à Londres, explique au Temps les raisons d’un problème qui prend racine dans la crise migratoire et la libération des discours politiques qui en découlent.

Le Temps: Pourquoi les chants racistes lancés contre Kalidou Koulibaly ont-ils cette fois eu tant d’écho?

Piara Powar: Je pense que c’est d’abord parce que Kalidou Koulibaly est un très bon joueur qui a déjà subi ces cris de singe à l’Atalanta, contre la Juventus, la Lazio. Il est ciblé aussi en raison du contexte politique, et de l’atmosphère qui règne dans le pays du fait de la crise migratoire. Attaquer Koulibaly aujourd’hui, c’est aussi un symbole politique très fort. Et enfin, il y a le fait que l’un des plus grands coachs de Serie A se soit exprimé: «Nous avons prévenu les officiels trois fois, et ils n’ont pas réagi, donc la prochaine fois nous quitterons le terrain.» Ça, c’est quelque chose de très fort venant de Carlo Ancelotti. Il a utilisé son aura, de manière positive. Ces trois choses ont fait en sorte que cet incident ait une telle résonance.

Quitter le terrain: tout le monde le dit mais personne ne le fait.

Je pense que c’est déjà arrivé une fois auparavant avec Kevin-Prince Boateng lorsqu’il jouait à l’AC Milan…

Mais c’était lors d’un match amical, sans enjeu…

Oui, vous avez raison. Je pense que peu importe l’enjeu du match, les joueurs et les entraîneurs ont le droit de dire: «Stop!» Ce n’est pas un droit qui existe dans les règlements, mais c’est un droit moral, c’est le droit d’exprimer son dégoût, et de dire: «On ne veut plus de ça!» Et à partir de là les règles et les textes seront peut-être interprétés par les fédérations dans un sens ou un autre. Mais si une équipe quitte le terrain d’elle-même lorsque l’arbitre n’entend pas ou ne veut pas entendre les chants racistes, cela créera un débat, et de nouveaux textes suivront. Les fédérations, en Italie par exemple, pourraient dire que cela est contraire aux règles, et sanctionner ces équipes. Mais c’est là à mon avis que l’opinion publique se fera juge et soutiendra telle ou telle équipe parce qu’elle aura eu raison de quitter le terrain. Je pense que c’est l’un des seuls moyens pour faire réagir les instances.

C’est normalement à l’arbitre d’interrompre le match quand des incidents racistes ont lieu…

Oui, mais cela reste encore très marginal. Avant d’arrêter le match, l’arbitre doit avoir averti le public trois fois. En général les spectateurs comprennent et les choses se calment, mais quand ces cris de singe persistent l’arbitre doit utiliser les pouvoirs qui lui sont donnés, et arrêter le match pour de bon. Pas seulement en Italie, cela est valable dans toute l’Europe.

Si les arbitres appliquent ce règlement à la lettre, on pourrait voir des comportements du type: notre équipe perd, faisons des cris de singe. Non?

Si l’arbitre arrête le match, c’est l’équipe dont les fans font des cris de singe qui sera pénalisée, et s’inclinera sur le tapis vert selon les règlements de la FIFA, de l’UEFA et de la plupart des fédérations nationales.

L’Italie et ses stades connaissent régulièrement des problèmes de racisme. Comment le Fare Network travaille-t-il avec ce pays?

En Italie nous faisons un travail de conseil et de sensibilisation du public en collaboration avec des ONG, des groupes locaux, la fédération italienne. Nous organisons trois événements par an, dont le Mondiali Antirazzisti, un tournoi et festival contre le racisme. Nous sommes conscients des progrès à faire, mais ce problème dans les stades italiens est là depuis longtemps, et aujourd’hui il est amplifié par des facteurs politiques. On ne peut pas séparer ce qui se passe dans les tribunes et ce qu’il se passe dans la vie du pays. D’un côté on a Matteo Salvini [ministre de l’Intérieur italien] qui dit: «Il y a trop de migrants africains ici.» Derrière, il y a toute une idéologie politique qui cible les migrants, qui n’amèneraient rien de bon à la société italienne. Et cela affecte directement les joueurs d’origine africaine sur le terrain, parce que les fans entendent ce discours, voient ces joueurs, et pensent qu’ils ont le droit de faire ces cris de singe. L’Italie est un fabuleux pays de football, mais ça fait bien longtemps que la gouvernance n’est pas au mieux. Il y a eu beaucoup d’instabilité, un ancien président de la fédération comme Carlo Tavecchio tenait lui-même des propos racistes.

Qu’avez-vous pensé de la sortie de l’attaquant anglais Raheem Sterling, qui a accusé début décembre certains médias britanniques «d’alimenter le racisme» par leur représentation biaisée des joueurs noirs?

C’est l’un des problèmes qui existe ici, au Royaume-Uni. Nous pensions avoir réglé ce problème, mais après les cas Aubameyang [l’attaquant d’Arsenal a reçu une banane lors du derby face à Tottenham], Sterling et d’autres, on ne peut pas dire qu’il n’y a plus de racisme dans les stades britanniques. Et comme l’a dit Sterling, le traitement de l’information par des médias comme le Daily Mail, et la manière dont ils présentent les jeunes joueurs noirs, a un impact sur la façon dont ils sont ensuite observés par le public, il n’y a aucun doute là-dessus.

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Comment le réseau Fare travaille-t-il auprès de l’UEFA? N’êtes-vous pas juste un gadget utilisé de temps en temps par l’instance européenne?

Nous collaborons régulièrement avec l’UEFA, nous avons un travail d’analyse de prévention des affiches à risque en compétition européenne par exemple. Nos analystes recensent tous les incidents à caractère raciste dans les championnats européens. Et notre action a montré que désormais les sanctions de l’UEFA sont plus sévères que par le passé ou que celles des instances nationales. C’est lorsque les clubs, les instances sont sanctionnés qu’ils sont poussés à agir.