L’été a été chaud pour les clubs européens de football et l’automne risque d’être torride. Au printemps, l’espoir subsistait encore que les spectateurs pourraient retourner au stade au début de la saison 2020-2021. A quelques semaines de la reprise des championnats, les spectateurs doivent déchanter: les tribunes resteront en grande partie vides ces prochains mois dans la plupart des pays.

En Suisse, le Conseil fédéral doit aborder la question dès sa rentrée ce mercredi, et les clubs n’espèrent pas davantage que de pouvoir remplir leurs enceintes à 50% de leur capacité maximale. D’un point de vue financier, ils seront donc affectés et verront leurs revenus baisser assez fortement en 2020-2021.

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Toute organisation exerçant une activité commerciale non soutenue par les pouvoirs publics répond d’un modèle économique de base assez simple: il s’agit, au moins, d’équilibrer les coûts de fonctionnement avec les revenus dégagés de la mise sur le marché de produits et de prestations et, au mieux, de dégager un bénéfice pour financer le développement de l’entreprise et/ou de rémunérer le capital investi par les actionnaires.

Une impasse

Les clubs de football n’échappent pas à cette règle. En matière de revenus des compétitions, on peut distinguer quatre sources principales pour les clubs: 1) les droits de télévision collectés et reversés par les organisateurs de compétitions (Swiss Football League et UEFA dans le cas des clubs suisses); 2) les accords de sponsoring permettant à des organisations de tirer parti de l’image et de l’audience d’un club; 3) les droits d’entrée au stade; 4) la vente de nourriture, boissons et autres produits dérivés. S’ajoutent encore des revenus liés au développement et à la vente des droits d’enregistrement des joueurs, en cas de transfert.

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Pour tous les clubs, les revenus dégagés des spectateurs se rendant au stade (soit les points 3 et 4) restent très importants, même si en proportion ils ont beaucoup baissé au fil du temps en raison de l’explosion des droits de télévision. Selon le rapport annuel établi par Deloitte, ils représentent entre 20 et 30% pour les clubs dominant le football européen, et 30 à 40% pour les autres, voire davantage.

Comment dès lors compenser à court terme cette manne importante, qui s’est évaporée avec la crise du Covid-19? Faire augmenter les sources de revenus 1 et 2 – droits de télévision et sponsoring – semble impossible à court terme. Et dégager des revenus additionnels via des transferts de joueurs semble également difficile dans un marché où un grand nombre de clubs cherchent à réduire la voilure: le mercato qui a démarré est plutôt vendeur qu’acheteur, avec des clubs comme le FC Barcelone prêts à se séparer de nombreux joueurs.

Pour s’en sortir, la seule solution semble d’agir sur les coûts. Et donc la masse salariale des équipes.

Adapter la masse salariale

Les joueurs et les entraîneurs sont les éléments centraux du modèle économique des clubs. Sans eux, il est impossible de créer de la valeur et de générer en contrepartie des revenus. Leur contribution est telle qu’ils arrivent à s’approprier une bonne partie de la valeur créée. Ainsi, avec des coûts totaux de personnel se montant entre 60 et 80%, il est très difficile d’équilibrer les comptes étant donné les autres charges associées aux compétitions (location ou amortissement des installations, services de sécurité, amortissement des droits d’enregistrement des joueurs et autres).

Il paraît ainsi logique de vouloir réduire la masse salariale totale, et en particulier celle des joueurs et entraîneurs, voire de réduire le nombre de personnes employées par les clubs, joueurs compris. A l’instar de grands clubs européens, le FC Barcelone n’a pas tardé à réagir et a obtenu déjà à fin mars l’accord des joueurs de baisser leur salaire de 70% durant la crise sanitaire. Mais la manœuvre semble particulièrement envisageable pour les clubs des cinq grandes ligues européennes où les salaires ont connu l’ascenseur jusqu’à atteindre des niveaux stratosphériques.

Pour les clubs des autres ligues, dont la Suisse fait partie, la réduction drastique de la masse salariale est délicate, voire impossible. Tout d’abord, il y a des contrats signés à durée déterminée pour des périodes allant jusqu’à cinq ans. Dans un club avec une vingtaine de joueurs professionnels, il n’y a ainsi chaque année que sept à huit joueurs avec lesquels il est possible de renégocier.

Peu d’économies possibles

Ensuite, contrairement aux idées reçues, les salaires ne sont pas extrêmes au point de permettre une grande réduction des coûts. Une enquête du Blick a révélé en mai que le salaire moyen en Super League s’élevait à 13 900 francs par mois. Dans le rapport annuel du FC Lucerne de 2018-2019, la masse salariale propre aux joueurs n’est pas détaillée mais on peut en déduire un montant annuel total d’environ 5,5 millions pour 25 joueurs professionnels ce qui fait un coût total salarial moyen d’environ 220 000 francs par joueur, charges patronales comprises. Il en découle une rémunération moyenne certes élevée pour un groupe de personnes âgées entre 20 et 35 ans, mais réduire le coût total salarial moyen à 150 000 francs ne ferait qu’économiser au FC Lucerne un montant maximum annuel d’environ 1,4 million, loin de compenser les revenus des entrées au stade, qui ont atteint 8,6 millions en 2018-2019.

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A l’échelle Suisse, il risque ainsi de manquer un montant total de revenus de quelque 100 millions de francs en 2020-2021, qu’il est difficile de compenser par une baisse équivalente des coûts. Que faire? Un plan d’aides financières a bien été ficelé mais les clubs de la Swiss Football League l’ont en l’état refusé en bloc, désapprouvant autant leur forme (des prêts remboursables) que leurs conditions d’attribution.

A ce stade, l’issue est peut-être de lancer un emprunt auprès des supporters, en espérant récolter en moyenne 1000 francs par supporter. Ce serait d’une part une possibilité de lever des fonds et d’autre part un moyen de tester l’attachement réel des fans à leur club fétiche… Pour réussir ce genre d’opérations, il est cependant indispensable qu’au préalable joueurs et entraîneurs fassent un effort important et symbolique de réduction de la masse salariale.

A défaut de réussir un tel financement, la faillite, la relégation et le redémarrage sous la forme d’un club de football non professionnel risque d’être inéluctable pour beaucoup de structures. Et il faut se rappeler que la faillite d’un seul club perturbe déjà considérablement le déroulement des compétions; la faillite de plusieurs clubs à la fois risquerait de remettre en question l’ensemble du fonctionnement des championnats de football et de reconfigurer durablement les compétitions à l’échelle nationale et européenne.


*Giovanni Battista Derchi est professeur assistant de contrôle de gestion à l’Ecole hôtelière de Lausanne / Daniel Oyon est professeur de contrôle de gestion à la Faculté des HEC de l’Université de Lausanne