Il se bat, revient, tacle, commet des fautes «tactiques» au besoin, et puis repart, remise, donne de l’air à son équipe d’une déviation ou d’une longue transversale. «Le haut niveau, c’est de jouer un football simple et lui simplifie le jeu des Bleus en permanence», a résumé sur RMC le champion du monde 1998 Emmanuel Petit.
Un heureux hasard
Les Anglais, qui pensaient neutraliser la France en isolant Mbappé sur un côté, ont tressé lundi des louanges à celui qui a offert les deux buts français, le premier d’un simple décalage dans l’axe pour Aurélien Tchouaméni, le second d’un long centre tendu déposé sur la tête d’Olivier Giroud, «seul» au milieu de quatre Anglais. Sur les résumés du match, le blondinet apparaît sur toutes les occasions chaudes, françaises comme anglaises. Box to box, disent les Anglais, l’inspiration en plus.
Le repositionnement de Griezmann au milieu du terrain n’est pas une reconversion, parce que sentir le jeu, avoir le goût de l’effort et maîtriser l’art de la passe dans le bon tempo ne s’improvisent pas. Aidé des conseils de ses partenaires du milieu de terrain et du staff technique de l’équipe de France, le numéro 7 a peaufiné son placement défensif et réglé quelques questions telles que: quand sortir presser, quand coulisser sur le côté, comment couvrir le latéral? Le reste, il connaissait déjà. Depuis toujours. Ses trois passes décisives au Qatar s’ajoutent aux 25 réalisées précédemment pour constituer un nouveau record en équipe de France.
Il a fallu pourtant un concours de circonstances pour que ce qui n’était qu’une vague option devienne une solution, puis une évidence. Sans la blessure de dernière minute de Karim Benzema, sans l’absence de Paul Pogba (opéré), Griezmann serait resté un attaquant, probablement en concurrence avec Ousmane Dembélé pour une place sur le côté droit. Il est possible même que la jeunesse de Christopher Nkunku, un joueur au profil similaire mais lui aussi absent sur blessure, l’aurait reléguée sur le banc aux côtés d’Olivier Giroud.
Sans Benzema, Didier Deschamps était obligé de titulariser Giroud, un avant-centre classique qui «dézone» beaucoup moins. Griezmann ne peut pas jouer derrière Benzema, il peut le faire derrière Giroud, d’autant que la France est privée du jeu long de Pogba et risque de manquer à la fois de créativité et d’expérience au milieu de terrain. Le sélectionneur, qui a largement contribué à faire triompher l’idée en France qu’un milieu de terrain est un joueur de devoir avant d’être un joueur de ballon, ose finalement aligner un quatrième élément offensif parce qu’il sait que Griezmann défendra sans ego ni fatigue.
Le chaînon manquant
Bien que le numéro 10 soit sur les épaules de Mbappé, Antoine Griezmann est le chaînon manquant que la France n’attendait plus. Le lien entre les Bleus qui jouent bien des années Platini-Giresse et les Bleus qui gagnent des années Deschamps (joueur puis sélectionneur). La preuve que l’on peut être technique et physique, endurant et clairvoyant, doué et collectif. Un tel profil est si rare dans l’Hexagone que le jeune Griezmann fut refusé de tous les centres de formation français où il tenta sa chance. Il passa la frontière pour trouver refuge à la Real Sociedad, où il apprit le jeu court et la prise d’intervalle à l’espagnole, base qu’il alla ensuite tanner au cuir du «Cholo» Simeone à l’Atlético.
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Son passage au Barça fut une fausse bonne idée, dont il paya encore le prix cet automne, de retour à Madrid, où une clause de son contrat de prêt obligea Simeone à l’utiliser le moins possible. Aujourd’hui, c’est cette Espagne inoffensive qui aimerait posséder un tel joueur, qui se comporte sur le terrain comme Mohamed Ali sur le ring, virevoltant comme un papillon et piquant comme une abeille.
Premier attaquant des Bleus lors de l’Euro 2016, Antoine Griezmann avait marqué six buts et terminé meilleur buteur de la compétition. En 2018, il était un attaquant de soutien, l’arc de la flèche Mbappé, l’élément mouvant autour du point fixe Giroud. Il avait encore marqué cinq fois, dont trois fois sur pénaltys. Au Qatar, parce qu’un arbitre changea d’avis après la fin du match (contre la Tunisie), il n’a officiellement toujours pas marqué le moindre but. Il serait cependant faux de croire que son repositionnement l’a rendu moins décisif.
De buteur et passeur, il est devenu «l’homme de l’avant-dernière passe», concept défini en son temps par l’ancien milieu de terrain tchadien du FC Nantes Japhet Ndoram. Celui qui crée à la fois l’équilibre et le déséquilibre. Mais aussi celui qui n’apparaît pas sur les feuilles de statistiques, réservées aux buteurs et passeurs décisifs. Les chiffres ne traduisent pas toujours l’influence sur le terrain, et ne tiennent pas compte des consignes données par l’entraîneur. La remarque vaut également pour Olivier Giroud, buteur mutique en Russie (aucun but) devenu quatre ans plus tard prolifique (quatre buts), et désormais célébré après avoir été moqué.