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La Coupe du monde en 80 jours du Maroc

Adversaires de la France tenante du titre en demi-finale, mercredi, les Lions de l’Atlas ont explosé le plafond de verre des sélections africaines avec à leur tête Walid Regragui, un sélectionneur entré en fonction moins de trois mois avant le tournoi

Walid Regragui porté en triomphe par ses joueurs après la victoire aux tirs au but contre l’Espagne. — © Yukihito Taguchi / USA TODAY Sports
Walid Regragui porté en triomphe par ses joueurs après la victoire aux tirs au but contre l’Espagne. — © Yukihito Taguchi / USA TODAY Sports

Comme défi à réaliser en 80 jours, il y a le tour du monde de Phileas Fogg, et désormais la préparation d’une Coupe du monde de football de Walid Regragui. Nommé à la tête du Maroc le 31 août 2022, à moins de trois mois du match d’ouverture, l’entraîneur se doutait-il seulement de l’aventure qui l’attendait?

Mercredi, ses Lions de l’Atlas affrontent la France tenante du titre en demi-finale, un stade de la compétition qu’aucune formation africaine n’avait atteint jusque-là. Ils n’étaient favoris ni pour sortir de leur groupe, où figuraient la Croatie, la Belgique et le Canada, ni pour passer les huitièmes de finale contre l’Espagne (3-0 aux tirs au but), et pas davantage pour éliminer le Portugal en quarts (1-0). Mais ils ont déjoué chaque pronostic sans jamais tenir leur séjour au Qatar pour déjà réussi. «On veut changer cette mentalité, a déclaré Walid Regragui en conférence de presse à la veille de la demi-finale. On a envie de gagner la Coupe du monde.»

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Au début de l’été, le technicien d’aujourd’hui 47 ans ne sait même pas qu’il va y participer. Il reste sur une saison couronnée de succès au Wydad Athletic Club de Casablanca (doublé championnat et Ligue des champions de la CAF) tandis que l’équipe du Maroc est dirigée par Vahid Halilhodzic, en poste depuis 2019.

Les chemins se séparent

Comme souvent, le mandat du sélectionneur franco-bosnien est tumultueux. Au fil du temps, il a écarté du groupe plusieurs des stars à sa disposition, dont Hakim Ziyech (Chelsea) et Noussair Mazraoui (Bayern Munich), avançant des raisons de comportement, et ses résultats ne sont pas suffisamment éclatants pour le justifier aux yeux des dirigeants. Certes, en mars, le Maroc a assuré sa qualification pour la Coupe du monde en dominant la République démocratique du Congo au bout d’un barrage aller-retour, mais cela n’a pas suffi à faire oublier qu’en janvier l’équipe avait été éliminée de la Coupe d’Afrique des nations dès les quarts de finale.

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Le 3 juillet, Fouzi Lekjaa – qui cumule les fonctions de ministre du Budget et de président de la Fédération nationale de football – annonce unilatéralement que Hakim Ziyech sera de retour au Qatar. Il dénoncera plus tard la «tendance à exclure des joueurs clés» de «coach Vahid», qui de son côté ne peut pas accepter une telle ingérence. Les chemins se séparent à l’amiable le 11 août.

Arrive donc Walid Regragui, qui accepte la mission malgré l’urgence. Né en région parisienne, il a toujours maintenu le lien avec son pays d’origine – par deux mois de vacances annuelles chaque été, puis par le football. Sa carrière d’honnête défenseur (Toulouse, Ajaccio, Santander notamment) n’en a jamais fait un sérieux prétendant à l’équipe de France mais il a pu cumuler 45 sélections avec celle du Maroc entre 2001 et 2009. Et une fois sa reconversion entamée, son premier poste fut sélectionneur adjoint de Rachid Taoussi (2012-2013).

Faussement défensif

L’homme sait qu’il ne va pas réinventer le football à trois mois d’une Coupe du monde, mais il apporte sa touche en recontactant les bannis de l’ère Halilhodzic et en implémentant le 4-1-4-1 qui lui a si bien réussi au Wydad Athletic Club. Il n’a que trois matchs amicaux pour mettre en place des automatismes. Le Maroc bat le Chili (2-0), fait match nul avec le Paraguay (0-0) puis domine la Géorgie (3-0) dans une séquence qui, avec le recul, annonce fidèlement ce qu’il va se passer au Qatar.

Lors du premier tour, les Lions de l’Atlas contraignent la Croatie au nul (0-0) avant de créer la surprise en battant la Belgique (2-0) puis de confirmer contre le Canada (2-1). L’autogoal de Nayef Aguerd reste à ce jour le seul but encaissé par Yassine Bounou, qui a même gardé inviolée sa cage lors d’une séance de tirs au but contre l’Espagne…

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Défensif, le Maroc de Walid Regragui? L’homme plaide pour un pragmatisme à la Didier Deschamps, selon lui «le meilleur sélectionneur du monde» à la tête de «la meilleure équipe du monde». Et s’il reconnaît avoir, par le passé, «rêvé de possession de balle» façon Pep Guardiola, il est aujourd’hui convaincu qu’il faut savoir faire avec ses moyens en fonction des différentes situations. De fait, son équipe a d’abord dû contenir la Belgique, l’Espagne ou encore le Portugal, mais à chaque récupération de balle ou presque, elle se montrait dangereuse devant la cage adverse, dévoilant une mécanique étrangement bien réglée vu le chaos des derniers mois…

C’est que la cohésion du Maroc découle de changements structurels durables. Tout d’abord, la fédération s’est dotée en 2009 d’un centre de formation moderne et fonctionnel, l’Académie Mohammed VI, qui fait défaut dans de nombreux pays africains. Sur les 26 joueurs convoqués par Walid Regragui au Qatar, 12 sont nés et ont été formés au Maroc, ce qui n’est pas rien vu le contingent de footballeurs binationaux issus d’une diaspora de quelque 5 millions de personnes.

Seulement deux «Français»

En parallèle, le pays n’a pas renoncé à détecter ces Marocains d’origine mais il a complètement revu son approche du «recrutement». En 2014, le directeur technique national Nasser Larguet troque la démarche habituelle des nations africaines (convaincre des joueurs bien établis de jouer pour elles) par une quête de précocité: approcher les jeunes dès 14-15 ans, ainsi qu’il l’explique cette semaine à L’Equipe, de manière à les fidéliser et à les intégrer dans un processus au long cours.

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Le Maroc organise des stages de détection en Europe puis intègre les talents petit à petit, leur fait découvrir le centre d’entraînement national lorsque les stars s’y trouvent, etc. Tout est entrepris pour que ces footballeurs nés à l’étranger se sentent les plus marocains possible au moment où ils doivent arrêter le choix de leur nationalité sportive. Achraf Hakimi, qui a grandi à Madrid, a ainsi choisi le pays de ses parents en indiquant qu’il s’y sentirait «plus à [sa] place», malgré des convocations avec les espoirs de l’Espagne.

Sur les 14 Lions de l’Atlas binationaux, il y a notamment 4 «Belges» et 4 «Néerlandais», et de manière presque étonnante vu les forts liens entre les deux pays, seulement 2 «Français». Pour eux, la demi-finale de mercredi aura une saveur encore plus particulière, comme pour Walid Regragui bien sûr, qui quoi qu’il advienne aura relevé son défi des 80 jours. Comme Phileas Fogg.