Il y a les larmes des uns, la rage des autres, la désillusion de tous. La fierté aussi, celle d'avoir livré un sacré dernier match; mais elle viendra plus tard. Pour l'instant, les regards sont fermés. Les espoirs de Servette viennent d'être éliminés de Youth League par les Belges d'Anderlecht. 1-2 au Stade de Genève mercredi, 2-2 à Denderleeuw, dans la région bruxelloise, dimanche. Ils n'échappent pas aux regrets: à la 33e minute de jeu, ils menaient 0-2 et étaient virtuellement qualifiés. Dans le vestiaire, Matteo Vanetta requinque le moral des troupes. «Ce genre de matches, c'est un incroyable bagage pour la suite de votre carrière», lance l'entraîneur. L'atmosphère est d'autant plus lourde que, d'habitue, le groupe incarne la légèreté et la joie de vivre(-ensemble).

Pour s'en rendre compte, il faut revenir un peu plus de 24 heures en arrière. Vaincre, en Belgique, l'une des meilleures académies de formation d'Europe, et poursuivre l'aventure en Youth League, la Ligue des champions des moins de 19 ans: voilà la mission des Servettiens. Du sérieux. Mais les dix-huit jeunes footballeurs ont leur recette maison pour désamorcer la pression: apprêter leur détermination totale avec une douce décontraction.

«Nous faisons du handball, nous»

Devant la porte d'embarquement A1 de l'aéroport de Genève, ils blaguent, ils rigolent, ils chahutent gentiment. Casque sur les oreilles pour certains, regard rivé sur le mobile pour la plupart. L'ambiance est à la cool, nourrie jusque par le pince-sans-rire entraîneur Matteo Vanetta. Une hôtesse lui demande si son équipe de football a un match en Belgique. «Non, madame, nous faisons du handball, nous», répond-il sans ciller en tendant son billet. Rires étouffés de tout le staff.

Pour plus de la moitié de l'équipe, il n'y a rien d'extraordinaire à prendre l'avion pour aller disputer un match. «J'ai dû le faire une vingtaine de fois», glisse Jeremy Guillemenot. Nombreux sont ceux qui, comme lui, ont l'habitude de voyager avec les sélections nationales juniors.

Gestion stricte et laisser-aller

Les bagages se font attendre à l'aéroport de Bruxelles. Matteo Vanetta rigole avec deux jeunes qui regardent une vidéo. «C'est un excellent entraîneur, glisse Thierry Cotting, directeur technique de la structure de formation genevoise. Il est proche de ses joueurs, il leur parle beaucoup.» Dans la vie du groupe, l'ancien joueur de Servette et Sion, entre autres, alterne entre une gestion stricte (ses joueurs doivent se découvrir lorsqu'ils sont présentés à quelqu'un) et laisser-faller. «Si je dis qu'on mange à 17h et qu'un joueur arrive à 17h05, ce n'est pas grave. Entrer un conflit avec un garçon pour quelque chose d'insignifiant, c'est contre-productif. C'est ma vision.» Sourire en coin. «Peut-être qu'elle ferait sauter au plafond un entraîneur bernois...» Avec Servette, elle semble payer. Elle laisse l'espace nécessaire au groupe pour affirmer son identité collective.

Sans un crochet par l'hôtel, direction le centre de formation d'Anderlecht et ses six terrains, pour un entraînement de 45 minutes. «Mettez-vous en mode gagner quelque chose», demande Matteo Vanetta avant de quitter le vestiaire, que la musique anime aussitôt. Du gros rap. Nekfeu scande un «Je t'avais promis qu'un jour tu te rappellerais de nos têtes» inspirant. Les rires mettent de la vie dans le bâtiment froid, presque austère, mais le staff genevois a les yeux qui brillent. «Ça, ce sont les grands clubs, s'enthousiasme William Niederhauser, entraîneur-assistant. Rien de luxueux, mais tout est pratique. Un joueur qui entre ici peut vraiment se dire que lorsqu'il sortira, il sera pro.»

Esprit de revanche

De quoi renvoyer nos Genevois à leurs complexes suisses, chez des Belges numéro 1 du classement FIFA, nouveaux golden-boys du foot mondial? La première équipe d'Anderlecht joue le haut du classement en première division (Servette n'est qu'en troisième), ses installations sont idéales («Balexert, c'est la préhistoire», compare Niederhauser)... et puis il y a cette interview du coach René Peeters, qui déclarait en début de semaine que dans la double-confrontation de Servette contre Villareal, au tour précédent, «la meilleure équipe ne s'était sans doute pas imposée». Voilà qui n'a pas fait marrer les jeunes Servettiens. «C'est de l'arrogance», juge l'un d'entre eux, piqué dans son orgueil, en décrottant ses chaussures.

L'esprit de revanche est réel. Mais il ne l'emporte pas encore sur la dolce vita à la genevoise. Quelques minutes après avoir affirmé sa «détermination pour gagner», Yassin Maouche doit s'incliner, dans le bus qui emmène l'équipe à l'hôtel... aux cartes. Au «mytho», pour être exact; un jeu préféré au «président». Les vannes fusent, les joueurs s'appellent «gros» ou «frère», et MHD rappe «C'est la Champions League» dans un haut-parleur portable. Grosse ambiance. «C'est toujours comme ça. Quand on a gagné à Villareal, dans l'avion, c'était quelque chose», se rappelle Giulio Imbriaco.

D'un registre à l'autre

L'équipe s'est construite -sportivement et en tant que groupe- la saison passée, en remportant le titre de champion de Suisse M18 sous les ordres de Massimo Lombardo. «Même avant la finale, on a rigolé jusqu'à cinq minutes du coup d'envoi», se souvient Adler Da Silva. Certains évoluent maintenant avec la première équipe de Servette, d'autres avec les M21 (en 2e inter), les derniers avec les M18. Pourtant, la bande fonctionne comme si elle ne se quittait pas au quotidien.

Il n'est que 16h et la journée est pour ainsi dire terminée. Il faudra manger à 17h30, puis prendre une collation à 22h. Le reste du temps, il faudra le tuer dans le confort de l'hôtel, entre délires de potes et sérieux de rigueur à l'approche d'un match important. «En tant que capitaine, c'est mon rôle de remotiver ceux qui prennent l'aventure un peu à la rigolade», glisse Miguel Rodrigues. Titulaire avec la «une» de Servette, il sait qu'il y a un temps pour tout. Ses camarades et lui passent d'un registre à l'autre naturellement, au gré des exigences du moment.

En confiance avant le match

Au réveil, dimanche matin, tout le monde est d'ailleurs plus calme. Petit-déjeuner, repos, théorie technico-tactique, rangement des chambres, théorie de motivation, check-out. Vers le stade, il n'y a cette fois (presque) pas de musique dans le bus, pas de cartes, pas de blagues. Pas de stress non plus. L'équipe n'appréhende pas: elle est en mode «gagner quelque chose». Les joueurs sont en confiance, le staff aussi. Arrivés à Denderleeuw, Bruno Caslei se réjouit même de la qualité de la pelouse. «Elle va profiter à notre jeu au sol, basé sur la technique.»

Le temps d'un échauffement et de nonante minutes de jeu, tout le monde aura malheureusement déchanté. Restera un mémorable aller-retour vers Bruxelles; une étape du voyage vers le haut niveau, vers l'intransigeance du football professionnel, abordé avec une saine insouciance toute adolescente.