Dans le «Theatre of Dreams», le FC Bâle ne s’est pas longtemps bercé d’illusions mardi en ouverture de la Ligue des champions 2017-2018. 90 minutes à sens unique et trois buts pour Manchester United qui rendent encore plus improbable l’étonnant record bâlois contre les Red Devils avant ce match: une seule défaite, deux nuls et même une victoire.

Cette fois, Bâle a été laminé (3-0) et le pire, c’est que l’entraîneur Raphaël Wicky ne peut pas reprocher grand-chose à ses joueurs. Ils se sont bien battus. Ils ont défendu avec cœur. Mais les deux clubs ne boxent plus dans la même catégorie.

Quand Wicky veut un nouvel avant-centre, Bâle paie à peine quelques millions de francs pour le Néerlandais Ricky van Wolfswinkel ou obtient le prêt du jeune Vaudois Dimitri Oberlin (Salzbourg). Quand José Mourinho veut un nouvel avant-centre, Manchester United signe un chèque de 100 millions à Everton pour le Belge Romelu Lukaku. L’équivalent du budget global, juniors compris, du FC Bâle.

Et encore, le transfert de Lukaku est presque passé inaperçu cet été, loin des sommes record dépensées par le PSG pour recruter Neymar (220 millions d’euros) et Mbappé (180 millions). Derrière, tout le monde a ajusté ses tarifs à la hausse. «Manchester United et le FC Bâle ne pêchent pas leurs joueurs dans le même lac, c’est un fait, nous glisse Raphaël Wicky. Cela ne date pas de cette année mais il paraît évident que, dans le futur, la différence sera de plus en plus grande.»

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Un problème structurel

La répartition très inégalitaire des nouvelles richesses du monde du football, héritées pour l’essentiel de l’explosion des droits TV, a considérablement redéfini les rapports de puissance entre les clubs. En quelques années, le fossé est devenu un gouffre. Et le FC Bâle a rétrogradé d’un, voire de deux rangs, derrière les viennent-ensuite des grands championnats et même certaines équipes de deuxième division anglaise.

Durant l’été, les trois promus en Premier League anglaise (Brighton, Huddersfield et Newcastle) ont dépensé 132 millions d’euros en transferts. De plus en plus de clubs s’alignent pour embaucher des joueurs de seconde catégorie, donc la valeur monte. Les équipes comme Bâle ne peuvent plus suivre.

Pour l’ancien défenseur Stéphane Henchoz, le problème des Rhénans est structurel. Subi. «Ce n’est pas tant que le FC Bâle s’est trompé ces dernières années sur les étrangers, mais il ne peut plus se payer des recrues qui font la différence. Des joueurs qui valaient 3 millions, comme Mohammed Salah, Marcelo Dias ou Derlis Gonzales, coûtent désormais le triple.»

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Attention à l’indice UEFA

Le FC Bâle conserve un argument que les nouveaux riches de Premier League et de Championship n’ont pas: il participe régulièrement à la Ligue des champions. «Ce fut une bénédiction ces dernières années, avec des recettes importantes et la possibilité offerte à de jeunes joueurs de s’exposer dans la plus belle des vitrines. Sans l’assurance de disputer la Ligue des champions, jamais un Mohamed Salah ne serait venu jouer au FC Bâle», estimait le directeur sportif et ancien joueur Marco Streller, cité par l’ATS, en début de saison. Stéphane Henchoz en est moins persuadé: «Ces joueurs préfèrent désormais signer à Bournemouth, Burnley ou Brighton, parce qu’ils y gagneront un salaire cinq fois supérieur et qu’ils pourront espérer se faire remarquer par Chelsea ou Liverpool.»

L’argument pourrait définitivement perdre de son attrait si l’indice UEFA des clubs suisses (calculé selon les performances moyennes des clubs de Super League sur la scène européenne ces dernières années) continue de s’affaisser. L’année prochaine, le champion de Suisse devra passer par un barrage pour accéder à la phase de groupes de la compétition. Cela pourrait être encore pire à l’avenir sans bons résultats pour inverser la tendance.

Bâle pourrait éventuellement faire revenir un Schär ou un Stocker, mais ce sont des joueurs qui ne se sont pas complètement imposés à l’étranger et qui reviendraient cassés - Stéphane Henchoz

En attendant, c’est tout le modèle sur lequel le FC Bâle a construit son succès qui est mis à l’épreuve. Le projet rhénan a excellé dans le respect de cet équilibre: un tiers de jeunes, un tiers de bons étrangers, un tiers d’anciens de la maison revenus au bercail. Les premiers – les frères Murat et Hakan Yakin, Alex Frei, Marco Streller, Benjamin Huggel – n’avaient pas connu jeunes le grand FCB. Ils y ont goûté la trentaine venue, peut-être plus au climax de leurs possibilités mais toujours suffisamment forts pour tirer les jeunes vers le haut. Ces gamins s’appelaient Xherdan Shaqiri, Granit Xhaka ou Ivan Rakitic. Ils sont devenus des stars, mais aussi des joueurs désormais inaccessibles pour leur club formateur. «Bâle pourrait éventuellement faire revenir un Schär ou un Stocker, mais ce sont des joueurs qui ne se sont pas complètement imposés à l’étranger et qui reviendraient cassés», estime Stéphane Henchoz.

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Des chantiers partout

A Manchester lundi, Raphaël Wicky n’en faisait pas mystère. «Ces prochaines années, nous allons devoir élaborer de nouvelles stratégies pour attirer des joueurs intéressants pour un club comme le nôtre.» Il n’a pas détaillé les pistes à suivre mais elles semblent assez claires. Un recrutement malin. Une formation maison efficace. Pour l’heure, ces secteurs sont en chantier après le grand ménage réalisé en fin de saison dernière dans les coulisses. Marco Streller (direction sportive) et Massimo Ceccaroni (relève) n’ont pas fini d’apprendre leur métier qu’ils doivent déjà être performants. Bernhard Burgener (présidence) découvre aussi sa fonction. Comme l’entraîneur Raphaël Wicky.

«Il y a six mois, j’étais en Youth League à Trondheim sur un synthétique», rappelait le Haut-Valaisan au micro de la RTS, comme pour se persuader du chemin qu’il avait parcouru jusqu’à Old Trafford. En Championnat de Suisse, le grand renouvellement des cadres accouche pour l’heure d’un statut mis à mal. Le FC Bâle accuse trois points de retard sur Young Boys. Il a perdu samedi dernier contre un Lausanne-Sport porteur de la lanterne rouge. Il se murmure parmi les observateurs réguliers que les Rhénans n’avaient plus été aussi faibles depuis bien longtemps.

Contre «le champion de Suède»

Dans ce contexte, la Ligue des champions n’est plus le piment d’une saison fade, mais une bouffée d’air frais. «Nous nous retrouvons dans une position différente de celle du favori. Cela peut être un avantage aussi», se persuadait le défenseur Manuel Akanji à la Basler Zeitung avant le déplacement à Manchester. Là-bas, c’est sûr, personne n’attendait du FC Bâle qu’il joue un autre rôle que celui de faire-valoir. En chemin vers le stade, un supporter affirmait à son camarade que les Red Devils affrontaient ce soir «les champions de Suède», dont il avait oublié le nom.

En conférence de presse d’après-match, José Mourinho se laissait aller à quelques digressions sur la Ligue des champions. «Pour les plus grandes équipes – le Bayern, la Juventus, le Real – elle ne commence qu’en février», lançait le Portugais en précisant, dans un élan de fausse modestie, que les clubs anglais appartenaient eux «au deuxième niveau, celle des équipes qui doivent lutter pour leur qualification». Il n’a pas précisé dans quelle catégorie il classait le FC Bâle.