Constatant que la plupart des fêtes religieuses ont perdu toute signification aux yeux des fidèles, le Vatican réfléchirait à une grande réforme du calendrier chrétien qui compterait deux Noël par an, pour une plus grande satisfaction des enfants et des parties prenantes. Délirant? C’est pourtant ce que souhaite faire Gianni Infantino, le «pape du football», en multipliant par deux la périodicité de la plus grande fête païenne de l’ère moderne, la Coupe du monde qui, de quadriennale, deviendrait biennale.

L’annonce a été faite de manière indirecte, selon un mode de communication dont la FIFA est coutumière. Le 2 septembre, l’ancien entraîneur Arsène Wenger, qui occupe depuis novembre 2019 la fonction de directeur du développement du football mondial à la FIFA, a dévoilé dans une longue interview à Vincent Duluc de L’Equipe, ses réflexions sur une réforme du calendrier des matchs internationaux. Constatant, avec raison, la prolifération de matchs qualificatifs sans intérêt et estimant que «le goût du public a changé», Wenger prône un découpage plus net et unifié de la saison: deux périodes pour des matchs internationaux à l’automne et au printemps, une plage de repos l’été et une phase finale chaque année en juin, Coupe du monde les années paires, championnat continental (Euro, Copa America, Coupe d’Afrique des nations, etc.) les années impaires. Le reste du temps, les joueurs seraient à disposition des clubs.

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Depuis cette interview, le monde du football a un peu (re)découvert qu’Arsène Wenger ne réfléchissait pas tout seul dans son coin pour occuper sa retraite mais que ce projet de Coupe du monde tous les deux ans était extrêmement sérieux, que la FIFA y travaillait depuis des mois, et son président depuis plus longtemps encore. Comme pour l’introduction de l’arbitrage vidéo ou le passage à une Coupe du monde à 48 équipes (à partir de 2026), Gianni Infantino décide d’abord et s’efforce de convaincre ensuite.

Décision en fin d’année?

L’Italo-Valaisan s’est rendu deux fois à Riyad cette année, en janvier et en août, pour discuter avec le prince Mohammed ben Salman (s’attirant au passage des critiques de la part d’Amnesty International). Officiellement, c’est la Fédération saoudienne de football qui a proposé, le 20 mai 2021 lors du 71e Congrès de la FIFA, le lancement d’une étude de faisabilité sur une Coupe du monde biennale. De nombreux observateurs estiment que le président de la FIFA est derrière cette initiative. «Il n’y a pas besoin d’être Einstein pour savoir que deux Coupes du monde en quatre ans doubleraient les revenus», aurait dit Gianni Infantino en mai selon Associated Press, des propos que la FIFA dément mais que l’agence confirme.

L’initiative a été acceptée à une large majorité (166 voix pour). Le projet promettant de doubler les subventions versées par la FIFA aux fédérations nationales, c’était comme demander aux enfants s’ils veulent plus de frites à la cantine. L’étude, confiée à Arsène Wenger, fut lancée dès le 25 mai. Elle devait procéder à un vaste tour de table de toutes les parties prenantes. Mais au 7 septembre, deux des principales associations, l’Union européenne de football (UEFA) et l’Association européenne des clubs (ECA), prétendaient ne pas avoir été formellement consultées à ce sujet. Selon son président, Aleksander Ceferin, l’UEFA a invité plusieurs fois Gianni Infantino et la FIFA à venir présenter leur projet, mais ces derniers n’ont jamais répondu.

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Le 14 septembre, Jonas Baer-Hoffmann, le secrétaire général de la FIFPro, le syndicat mondial des joueurs, a regretté «l’absence de véritable dialogue et de confiance». «Des invitations ont été envoyées le 4 septembre aux principales parties prenantes (ligues, confédérations, clubs et FIFPro) et les premières discussions devraient commencer ce mois-ci», a indiqué mercredi la FIFA dans un courriel au Temps. Plus de trois mois après le lancement du processus et alors que Gianni Infantino espère un vote final «d’ici à la fin de l’année», le sens des priorités des initiants étonne Aleksander Ceferin. «Compte tenu de l’impact majeur que cette réforme peut avoir sur l’ensemble de l’organisation du football, il y a un étonnement généralisé que la FIFA semble lancer une campagne de relations publiques pour pousser sa proposition.»

Campagne de communication

Plutôt que de négocier avec ses partenaires institutionnels, la FIFA s’est en effet d’abord enquise de l’avis du public en commandant deux sondages d’opinion. Les résultats du premier sont opportunément arrivés jeudi. Réalisé en juillet par les instituts de sondage IRIS et YouGov auprès de 15 000 internautes issus de 23 pays et des six confédérations, il indique, communique la FIFA, que «la majorité des supporters veulent voir la Coupe du monde plus fréquemment, la fréquence préférée est de deux ans». Pourtant, à bien y regarder, la réponse la plus citée à la question «A quelle fréquence aimeriez-vous voir la Coupe du monde?» est «tous les quatre ans», quelle que soit la classe d’âge. Mais le total des trois autres propositions – «tous les ans», «tous les deux ans», «tous les trois ans» – est supérieur, ce qui fait dire à la FIFA que les fans de football ont répondu favorablement (à une question qu’ils ne se posaient probablement pas par eux-mêmes).

Parallèlement, Arsène Wenger a réuni à Doha un panel d’experts que la FIFA nomme les «FIFA legends» mais que le New York Times décrit comme «une coterie curieusement obéissante de grands joueurs». Ceux-ci (Ronaldo, Peter Schmeichel, Marco Materazzi, David Trezeguet, Tim Cahill) se sont montrés enthousiastes. «Si vous demandez à Messi et Cristiano Ronaldo, je suis sûr qu’ils diront oui», suppose Peter Schmeichel. Le seul joueur en activité à s’être exprimé, le Gallois Gareth Bale, s’est dit résolument contre.

Se servir de grands noms pour infléchir l’opinion, quitte à faire d’Arsène Wenger un «représentant de commerce» après avoir passé «sa carrière d’entraîneur à se plaindre des compétitions internationales», selon Rob Harris d’Associated Press, la méthode a été inaugurée en 1990 par Sepp Blatter, lorsque ses projets de réforme se heurtaient au conservatisme du Board, le garant des lois du jeu. «On s’est mis à créer des commissions techniques avec des Cruyff, Platini, Beckenbauer, Facchetti, racontait l’an dernier au Temps l’ancien directeur technique de la FIFA, Walter Gagg. On a pris les plus grands noms, en sachant qu’eux, au moins, le board serait obligé de les écouter.»

«Un projet non viable»

Aujourd’hui, c’est la FIFA qui n’écoute plus les oppositions. L’association mondiale des Ligues professionnelles (WLF) a critiqué un projet qui «porterait atteinte à l’économie du football et à la santé des joueurs», l’UEFA craint de «diluer le joyau du football mondial», la Confédération sud-américaine juge l’idée «non viable», la FIFPro considère que la proposition ne «répond pas aux problèmes existants» de surcharge du calendrier, une cinquantaine d’organisations de supporters du monde entier ont souligné n’avoir «ni le temps, ni l’argent, ni la capacité de [se] rendre à l’autre bout du monde tous les 24 mois […] dans une compétition dévalorisée».

La Coupe du monde biennale a toutefois de bonnes chances de passer. Les supporters des équipes nationales sont moins bien organisés que ceux des clubs, qui ont contribué ce printemps à faire avorter le projet d’une «super ligue» européenne. Surtout, la FIFA, qui a reçu le soutien des confédérations africaine, asiatique et nord-américaine, a beau jeu de se faire le chantre de la démocratie et la voix des «petits» face à l’égoïsme de quelques championnats et de clubs européens qui captent l’essentiel des grands joueurs, des ressources financières et de l’attention. Gianni Infantino dit «écouter les supporters du monde entier, pas seulement de certaines parties du monde». A Nyon, ses anciens collègues de l’UEFA (il fut secrétaire général de 2009 à 2016) s’étranglent de le voir devenu leur principal adversaire. Rien de personnel: c’est juste une question de pouvoir. Inquiet que cette guerre entre FIFA et UEFA se fasse au détriment du jeu, Michel Platini a proposé d’inscrire le football au patrimoine immatériel de l’Unesco.

Restent les questions de fond. Pourquoi une telle précipitation à faire passer ce projet alors que la Coupe du monde doit déjà expérimenter en 2026 un nouveau format (48 pays qualifiés, trois pays organisateurs) à la réussite très incertaine? L’argument avancé est celui du développement des sélections africaines et asiatiques, au double motif qu’elles auront deux fois plus de chances de participer et deux fois plus de rentrées financières pour se développer. Mais le format à 48 équipes fait déjà passer de cinq à neuf le nombre d’équipes africaines qualifiées, et de cinq à huit le nombre d’équipes asiatiques. Les millions généreusement déversés dans ces pays depuis des années n’ont pas fait progresser les sélections africaines et asiatiques, qui régressent depuis dix ans. De même, la tenue de quatre Copa America en sept ans n’a fait que diluer l’intérêt pour cette compétition.

Les femmes, encore oubliées

Pourquoi, si le but est vraiment d’améliorer la qualité du football, est-on d’ailleurs passé à une Coupe du monde à 48 équipes? En 2016, une précédente étude de faisabilité de la FIFA soulignait que «la meilleure qualité absolue était atteinte dans le format actuel [à 32 équipes]» D’autres arguments, politiques, ont prévalu.

La FIFA table également sur un intérêt égal des sponsors et des télévisions, mais est-ce aussi mécaniquement simple? «J’en doute, au nom d’un principe économique de base qui veut que ce qui est rare est précieux», objecte Massimo Lorenzi, le chef des sports de la RTS. Mais selon lui, ce déclassement du produit permettra l’instauration de «la vente à la découpe: acheter quelques matchs, ou seulement ceux de l’équipe de son pays. Parce que les droits ne vont pas baisser et que l’opération ne sera toujours pas rentable pour une chaîne publique.»

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Enfin, la question que la FIFA ne se pose jamais: sa responsabilité à ne pas occuper tout l’espace et à laisser de la place aux autres compétitions sportives, à commencer par les Jeux olympiques d’été qui, jusqu’ici, avaient lieu en alternance les années paires. Et à défaut d’altruisme, la FIFA aurait pu mettre la priorité sur sa Coupe du monde féminine, rattachée tardivement au projet après une série de critiques, et toujours traitée comme «un produit secondaire» selon la FIFPro, alors qu’il s’agit sans doute de l’épreuve avec le plus gros potentiel de développement.