Les rappeurs adorent le football, les footballeurs raffolent du rap, et entre leurs deux univers se tissent des liens de plus en plus puissants. Et s’il n’y avait pas de grande différence entre une bonne rime et un joli dribble?

Lors de la Coupe du monde 1998, Zinédine Zidane se détend en chantonnant On ira tous au paradis de Michel Polnareff et les Bleus fêtent leur titre de champions du monde en reprenant à tue-tête la mélodie disco de I Will Survive, par la diva Gloria Gaynor.

Lors de la Coupe du monde 2018, Paul Pogba improvise quelques rimes sur le beat mythique de The Message, par Grandmaster Flash, et l’hymne de la conquête de la deuxième étoile – Ramenez la coupe à la maison – est l’œuvre du rappeur Vegedream.

En vingt ans, le rap et le football sont devenus les meilleurs amis du monde. Ils sont aujourd’hui réunis par des liens multiples et de plus en plus évidents. Rien que cette année, cette relation quasi fraternelle a inspiré une série de podcasts (Une-deux, L’Equipe) et fait l’objet d’un documentaire (Foot et rap, nés sous la même étoile, Canal+). «Le rapprochement s’est fait peu après 1998, avec les premiers footballeurs qui avaient grandi en écoutant du rap: Nicolas Anelka, Peguy Luyindula, cette génération-là, résume son réalisateur, Cyril Domanico. Dès lors, il y eut des rencontres, mais pendant longtemps, rien n’était médiatisé, il ne s’agissait que d’histoires personnelles, de passions partagées.»

Style numéro 1

L’amitié fut d’abord à sens unique. Les rappeurs, eux, ont toujours aimé le football, car tout le monde aime le football. IAM s’inspire d’un chant des supporters de l’Olympique de Marseille pour composer Le Feu dès 1994. Doc Gynéco explore en profondeur le champ lexical du ballon rond sur Passement de jambes en 1996.

Au milieu des années 1990, le rap a déjà bien grandi depuis ses balbutiements et compte déjà de nombreuses stars grand public outre-Atlantique. Mais en Europe, il reste l’apanage d’une poignée d’initiés. Marginale musique. En France, les disques qui le feront passer des caves à la lumière sont en cours d’enregistrement. L’Ecole du micro d’argent (IAM) et Paradisiaque (MC Solaar) sortent en 1997, Suprême NTM en 1998. Emmanuel Petit, Fabien Barthez et Laurent Blanc n’ont pas grandi en écoutant du rap. Forcément, ils n’en jouent pas dans les vestiaires.

Les univers se rapprocheront à mesure que le style musical prendra de l’importance, jusqu’à devenir le plus vendeur au monde en 2017. En France, les 12 morceaux de Deux Frères, le troisième album du groupe PNL, deviennent instantanément les plus écoutés sur les plateformes de streaming lorsqu’ils y sont lâchés. Maître Gims, Soprano ou Bigflo & Oli écrivent des hymnes populaires qui transcendent milieux sociaux et générations. Alors les footballeurs hochent la tête comme tout le monde.

Un loisir fait métier

Mais il y a plus que cela. De nombreux points communs d’abord. Rap et football partagent un univers majoritairement masculin, un esprit de compétition, un chambrage permanent. Ce sont par ailleurs deux disciplines qu’on commence à titre de loisir mais qui autorisent aux plus motivés l’espoir de «percer» grâce à leur talent et à leur travail. Le MC (milieu central) reste à la fin de l’entraînement pour exercer ses coups francs comme le MC (maître de cérémonie) peaufine ses schémas de rimes dans l’ombre.

Nombre de rappeurs et de footballeurs partagent en plus une origine sociale commune. Milieu plus ou moins défavorisé, enfance en banlieue où le sport et la musique sont perçus comme des ascenseurs sociaux privilégiés. «Il faut bien comprendre que cette amitié rap-football n’est pas forcée mais naturelle, entre des gens qui ont tout simplement grandi ensemble», explique le réalisateur Cyril Domanico.

Aujourd’hui, les rappeurs portent des maillots de foot sur scène et dans leurs clips. Ils font rimer les noms de leurs joueurs préférés, au point de donner envie au site de lyrics Genius.com d’établir une liste exhaustive de tous les footballeurs cités dans des morceaux. Ils sont des centaines, certains évoqués des dizaines de fois.

Cela donne parfois lieu à de jolis une-deux. En mars 2015, le rappeur Niska sort un freestyle où il répète inlassablement le nom de Blaise Matuidi. Quelques mois plus tard, le milieu de terrain du PSG marque un but contre Ajaccio et le fête en reproduisant la petite danse effectuée par le rappeur dans son clip. Le principe de la dédicace: encore un (petit) pont entre les deux domaines.

Wie die Rodriguez

Un ballon roule dans la biographie d’énormément de rappeurs. Kool Shen (NTM) aurait pu rejoindre le centre de formation du RC Lens lorsqu’il était adolescent. Le fils de son compère JoeyStarr progresse avec les espoirs de l’AJ Auxerre. Sefyu a fait un essai à Arsenal avant d’exploser avec son titre La Vie qui va avec. De manière générale, «beaucoup ont rêvé de devenir footballeurs professionnels avant même de commencer le rap», souligne Cyril Domanico.

A l’inverse, plusieurs joueurs tâtent du micro avec plus ou moins d’ambition. Le clip de No Love du Néerlandais Memphis Depay (Olympique lyonnais) a été vu près de 10 millions de fois sur YouTube. Le Congolais d’Everton Yannick Bolasie rappe pour le plaisir mais avec un niveau qui en dit long sur l’énergie qu’il y consacre. Car si le lien entre rap et football est particulièrement saillant en France, deuxième marché mondial de cette musique derrière les Etats-Unis, il existe un peu partout ailleurs en Europe.

En Suisse, le footballeur international Josip Drmic vient de publier la vidéo de son morceau No Tomorrow. Don Fuego a consacré un titre aux trois frères footballeurs Ricardo, Roberto et Francisco Rodriguez. Bandit partage le micro avec l’ancien buteur Alex Frei dans le morceau parodique Zeig Gsicht.

Tous ces titres ne sont pas de valeur artistique égale. Mais compilés, ils montrent que footballeurs et rappeurs se plaisent aujourd’hui à jouer sur le même terrain.

Prochain épisode: Ce que le rap dit du football