Un président de club romand qui s’en prend physiquement à un commentateur d’outre-Sarine, ancien sélectionneur national. Le FC Sion qui se fait éliminer en Coupe de Suisse dès les 16es de finale de l’épreuve. Le FC Bâle qui ne domine pas aussi facilement ses adversaires depuis le début de la saison. L’actualité du football suisse est très riche ces dernières semaines et rappelle que l’histoire du football helvétique n’est pas «un long fleuve tranquille».

S’il a émergé sur les bords du lac Léman au milieu du XIXe siècle, dans le sillage de quelques étudiants et touristes britanniques, le football s’est aussi rapidement installé dans les régions alémaniques. Le plus vieux club de Suisse encore existant est le FC Saint-Gall, fondé en 1879. Au-delà de connexions précoces et de la création de l’Association suisse de football (ASF) en 1895, un Röstigraben existe dans le football. Outre les problèmes de sélection des joueurs romands dans l’équipe nationale (on pense notamment aux réticences de la presse zurichoise vis-à-vis de Claude Andrey dans les années 1970), l’opposition se joue aussi autour d’une répartition géographique des succès. Si le Servette de Genève est l’équipe phare du championnat durant les années 1930, les années 1950 sont celles des Young Boys de Berne.

Dans les années 1960 et 1970, ce sont le FC Bâle et le FC Zurich, supportés par des mécènes emblématiques de cette époque, qui trustent les titres. Les décennies suivantes voient la domination des Grasshoppers de Zurich, malgré de bons résultats du Servette de Genève, de Neuchâtel Xamax voire du Lausanne-Sport. Cette domination de la Suisse alémanique s’explique par des investissements financiers plus importants, couplés à un soutien populaire plus conséquent. Aujourd’hui encore, les «places fortes» du football suisse sont en Suisse alémanique: Bâle, Lucerne, Saint-Gall et, dans une moindre mesure, Berne et Zurich. Côté romand, seul le FC Sion semble pouvoir tenir la comparaison.

La marchandisation du football suisse

Le championnat suisse de football a été fondé en 1897, à l’initiative d’abord de promoteurs privés, comme le journal La Semaine Sportive – appuyé alors par la marque de champagne Ruinart. Ce n’est donc pas l’institution faîtière du football suisse, tout récemment fondée, qui est à l’initiative de cette épreuve. En revanche, quelques décennies plus tard, l’ASF sera à l’origine de la création d’un championnat véritablement «national», au moment de l’instauration du professionnalisme en 1933. Après un retour en arrière des autorités, qui bannissent le professionnalisme dès 1941, les années 1960-1970 voient un nouveau changement avec l’investissement grandissant des clubs dans le marché des transferts.

L’acceptation définitive du professionnalisme en 1977, l’arrivée de nouveaux mécènes dans les années 1980, puis l’adoption de véritables principes de marketing à l’orée des années 2000 ont comme conséquence une marchandisation croissante du football. A ce titre, si l’on est aujourd’hui surpris par le début de championnat mitigé du FC Bâle, c’est avant tout au regard de l’incroyable domination du club rhénan depuis le milieu des années 2000. Celle-ci résulte de l’implication de grandes firmes locales dans le club, de la création d’un stade hypermoderne, d’une focalisation croissante sur la formation des jeunes joueurs et encore de bénéfices réalisés sur la vente des meilleurs joueurs à de grands clubs étrangers. Ces stratégies ont permis de faire du FC Bâle un club calqué sur les nouvelles structures des meilleures formations européennes.

Une Coupe pour la mémoire?

Du jeu, il y en a eu entre Stade Lausanne-Ouchy et le FC Sion en 16es de finale de la Coupe, et pourtant c’est bien le «petit poucet» qui a croqué l’ogre valaisan, rappelant que si le palmarès de la Coupe demeure largement dominé par les équipes principales du championnat de première division, cette compétition permet également des exploits imprévisibles, fidèle à «la glorieuse incertitude du sport» célébrée par ses pionniers. Fondée en 1925, la Coupe de Suisse constitue un patrimoine qui rappelle les racines britanniques du football. En effet, sa modalité dite à «élimination directe» a toujours été la manière privilégiée de concourir des Britanniques, qui encore aujourd’hui se passionnent beaucoup pour la fameuse FA Cup.

La Coupe fut le théâtre de grandes «épopées» (comme celle du FC Sion). Même si la finale n’est plus jouée traditionnellement le lundi de Pentecôte à Berne, cette rencontre reste un moment privilégié pour les différents acteurs du football helvétique. Elle est l’une des rares occasions pour les clubs de rappeler la mémoire de leur glorieux passé. Ce trait paraît d’autant plus important à mentionner dans un contexte où leur popularité locale est désormais mise à mal par l’emprise de la retransmission des compétitions des grands championnats étrangers et la difficulté toujours plus grande de réussir des «exploits» lors de compétitions européennes.


Jérôme Berthoud, Grégory Quin et Philippe Vonnard sont les auteurs de l’ouvrage Le Football suisse. Des pionniers aux professionnels, paru dans la collection Le savoir suisse en 2016.