Les incidents racistes dans les stades de football bercent l’actualité comme une sale rengaine. En plus des buts, des victoires et des défaites, il y a presque chaque semaine sur les terrains des cris de singe adressés à l’un ou l’autre joueur noir. Dernier en date à avoir été visé, le capitaine d’Amiens, Prince-Désir Gouano, vendredi, lors d’un match de Ligue 1 française contre Dijon.

La veille, des supporters de Chelsea avaient traité le joueur égyptien de Liverpool Mohamed Salah de «poseur de bombes». En décembre, plusieurs incidents racistes s’étaient déroulés en Angleterre. Depuis des mois, ils se multiplient un peu partout en Europe, même si les chercheurs spécialistes de la question préviennent qu’il n’existe pas de données statistiques permettant d’étayer cette impression (largement partagée).

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Le racisme dans les stades de football est l’expression d’un phénomène qui dépasse le sport. «Dans toute l’Europe, on assiste depuis quelques années à une montée des nationalismes, ainsi qu’à la libération d’une parole qui est longtemps restée tue parce que honteuse, et qui ne l’est manifestement plus», souligne Nicolas Bancel, historien du sport à l’Université de Lausanne. «La médiatisation du football et les passions qui y sont à l’œuvre accentuent la visibilité du racisme latent au sein des populations, complète Patrick Clastres, lui aussi spécialiste de la question au sein de la même institution. Le stade demeure l’un des seuls espaces publics où les voix racistes peuvent se faire entendre.» Et où à peu près tout le monde cherche à les faire taire.

A chaque banane lancée sur le terrain, les instances dirigeantes s’insurgent et appellent à ce que ne soient plus tolérés de tels actes. Aux discours se joignent aussi des sanctions. L’Inter Milan a joué deux matchs à huis clos en janvier après les insultes racistes proférées par ses supporters contre Kalidou Koulibaly (Naples) en décembre. Des supporters ont été interdits de stade. Mais les incidents continuent de se succéder. C’en est à se demander si le match du football contre le racisme n’est pas perdu d’avance.

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Sanctions extrêmes

Il reste pourtant des pistes à explorer. Une première idée serait simplement d’appliquer dans sa pleine mesure le catalogue de sanctions qu’il est possible d’infliger à un club pour le comportement de ses supporters. En 2013, suivant la suggestion d’un groupe de travail qui a fonctionné jusqu’en 2016, la FIFA a adopté la résolution suivante, visant à harmoniser les pratiques sur la scène internationale: «Pour une première infraction ou une infraction mineure, les sanctions que sont l’avertissement, l’amende et/ou le huis clos doivent être prononcées. Pour une récidive ou une infraction grave, les sanctions que sont la déduction de points, l’exclusion d’une compétition ou la relégation devraient être prononcées.» Mais les instances ne vont jamais jusqu’à ces mesures extrêmes, remarque Nicolas Bancel. «On se limite souvent à des peines financières dont les montants ne pèsent pas bien lourd dans le budget des clubs.»

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Un deuxième levier serait de ne pas laisser les instances du football gérer seules le problème. Le sport fonctionne avec sa propre juridiction, son propre système de sanctions, ses propres voies de recours. «Mais peut-il rester autonome s’il n’arrive pas à réguler, dans les stades qui sont des espaces publics, des actes qui sont des délits?» interroge le chercheur. La question commence à titiller différents acteurs. Après les cris de singe adressés vendredi à Prince-Désir Gouano, le club de Dijon a annoncé son intention de déposer une plainte, et la Ligue de football professionnel sa volonté de donner à l’affaire des «suites judiciaires». L’auteur présumé des cris de singe a du reste été placé un temps en garde à vue.

Sur tous les terrains

«Les lignes commencent à bouger mais c’est récent, réagit Patrick Clastres. Le sport tient à son autonomie. Mais pourtant, pour résoudre ce problème, il doit accepter de s’ouvrir.» L’historien en appelle à une collaboration «plus intense» avec les services de police – démarche qui avait en son temps permis d’enrayer le phénomène du hooliganisme – mais aussi avec les associations actives sur le terrain dans la lutte contre les discriminations. Car, soutient-il, le football ne gagnera son match contre le racisme que sur le long terme, en abordant le problème en profondeur. «Les incidents qui se produisent au niveau professionnel sont, au moins, immédiatement médiatisés et dénoncés, glisse-t-il. Je suis plus inquiet de ce qu’il se passe au niveau amateur, où des petits actes de racisme ordinaire sont passés sous silence. Il y a là un réel travail de prévention à faire.»

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Un dernier axe pour combattre le racisme dans le football serait de favoriser l’accès de personnalités issues de l’immigration aux instances dirigeantes, afin de les rendre plus perméables à la violence du phénomène. Les championnats européens sont désormais habitués aux joueurs originaires d’Afrique ou d’Amérique du Sud, «mais le football reste pour l’essentiel dirigé par des hommes blancs», note Patrick Clastres, et il «doit faire la démonstration qu’on peut occuper des postes importants quelle que soit son origine».

Temps court et temps long. Prévention et répression. Déclarations fortes et travail de l’ombre. Pour faire taire le racisme en ces stades, le football n’a d’autre choix que d'«agir de tous les côtés en même temps», conclut Nicolas Bancel.