Gelson Fernandes: Normal sup'
Portrait
Gelson Fernandes est un très bon footballeur qui se distingue hors des terrains par sa simplicité. Star discrète de la Nati, il dispute l'Euro. Nous l'avions rencontré en mars dernier

Dans cette culture hors-sol qu’est devenu le football professionnel, rester simple et abordable vous classe facilement dans la catégorie des «à part», limite bizarres. La norme, c’est d’étaler sa réussite, de se montrer hautain, d’accumuler les tatouages et les démêlées judiciaires, de respecter les codes de son quartier bien plus que les clauses de son contrat. En France, Gelson Fernandes, milieu de terrain valaisan du Stade Rennais, s’est ainsi construit depuis deux ans une réputation par contraste, sans gagner de titre ni marquer beaucoup de buts (un seul en 59 matchs). Juste en étant normal.
Le 27 février, il a été invité sur le plateau du Canal Football Club, l’émission de référence sur la Ligue 1. Signes particuliers: ce Suisse né au Cap-Vert parle sept langues (créole, portugais, français, allemand, italien, espagnol, anglais) et est sympa avec tout le monde. L’anti Zlatan.
Dans cette France qui a mal à ses footballeurs, on l’en félicite. Ce qui l’agace un peu. «Il n’y a pas à me dire: «Bravo». J’aime le foot, j’aime les gens, je suis dans un bon club, dans une belle région, je n’ai pas de raison de faire la gueule ni de me prendre pour un autre. J’ai eu une vie avant le foot, il y aura une vie après, tout ceci n’est qu’une parenthèse.»
Rêves de gosse
En octobre 2015, des caméras de France 3 Bretagne le filment appuyé à la main courante du stade de son village. Les gars de l’US Saint-Gilles, en première division de district, ont l’habitude mais les badauds n’en reviennent pas: le type qui a marqué contre l’Espagne à la Coupe du monde 2010 s’intéresse au foot amateur! En janvier dernier, la presse régionale se fait l’écho de sa présence à un match de Coupe Gambardella (le Championnat de France des M19) entre Lorient et Rennes. Incroyable! Pas pour lui.
«Lorsque j’étais petit en Suisse, je rêvais d’être pris dans un centre de formation en France et de disputer la Gambardella. J’avais découpé dans France Football les dates de détection mais malheureusement je n’ai jamais eu les moyens financiers d’y aller. Alors voilà, c’était un dimanche, j’avais congé, je suis allé manger un plateau de fruits de mer sur le port puis je suis allé voir le match. C’était une journée sympa et une manière de me replonger dans mon enfance.» Aussi simple que ça. Le seul calcul qu’il revendique est d’apporter son soutien aux jeunes du club. «Certains s’entraînent souvent avec nous, ils ont une bonne mentalité. C’est bien pour eux de sentir que les pros s’intéressent aussi à eux.»
Réputation de mercenaire
Gelson Fernandes n’a pas toujours eu bonne réputation. Des transferts quasi annuels entre 2007 et 2014 lui ont collé l’étiquette de mercenaire suisse sans attache, prêt à se vendre au plus offrant. Après son départ de Sion, il a ainsi joué pour Manchester City, Saint-Etienne, le Chievo Vérone, Leicester, l’Udinese, le Sporting Portugal, Sion et Freiburg avant de se stabiliser à Rennes. Huit transferts en huit ans, même son agent avait de la peine à le suivre. «J’avais signé un contrat de longue durée avec Saint-Etienne qui a ensuite eu des problèmes financiers et été obligé de me prêter trois fois», explique-t-il.
Il s’est finalement posé en Bretagne, où plusieurs Suisses de caractère (Christophe Ohrel, Marco Grassi, Alexander Frei) ont avant lui laissé une trace durable. Ses qualités de battant sur le terrain ressemblent aux valeurs de ces Bretons travailleurs et obstinés. «Ici, c’est un peu comme le Valais, avec des gens authentiques et très fiers de leurs racines.» Il habite une jolie villa sans luxe ostentatoire, à Saint-Gilles, sur la route de Saint-Brieuc. Dans la campagne d’Ille-et-Vilaine, sa voiture se distingue plus par ses plaques valaisannes que par sa cylindrée.
Gelson Fernandes, fils d’immigrés partis sans papiers chercher une vie meilleure
Il vit avec son amie, rencontrée à Manchester et à qui il avait caché qu’il était footballeur. Il savait que la profession avait mauvaise réputation auprès des jeunes femmes sérieuses. Elle fut furieuse d’apprendre ce que les trois quarts de la ville savaient déjà mais ils sont toujours ensemble. La fille de Gelson, elle, vit en Valais avec le reste de la famille. Un crève-cœur qu’il a lui-même vécu, confié jusqu’à ses six ans à sa grand-mère au Cap-Vert. Lorsqu’il a rejoint ses parents à Sion, il n’avait encore jamais vu son père.
Aujourd’hui, il raconte sa vie avec beaucoup de franchise et de simplicité. En novembre, il a salué le courage du joueur de Tours Bryan Bergougnoux, qui a raconté dans France Football comment il s’est retrouvé interdit bancaire après avoir gagné jusqu’à 60 000 euros par mois. «Moi aussi, j’ai fait des erreurs», confie Gelson Fernandes. C’est un sujet tabou qui concerne de nombreux footballeurs, il est important d’en parler.»
Même franc-parler à propos de son cousin Edimilson Fernandes, l’un des plus sûrs talents du FC Sion, qu’il marque à la culotte. «J’y suis obligé, répond-il. Nous ne venons pas d’une famille dont les parents peuvent comprendre comment ça se passe dans le milieu du foot. Moi, j’ai dû me débrouiller tout seul. «Edi», je suis tout le temps le temps derrière lui. Il peut être promis à un bel avenir mais il faut l’aider parce qu’il a seulement 20 ans et est plus réservé que moi.» Gelson a ainsi défendu Edimilson lorsqu’il fut ciblé par une campagne de presse de Blick.
Citoyen footballeur
Sur Facebook, il s’est aussi exprimé pour sensibiliser au sort des migrants. En septembre 2015, il a publié une lettre ouverte qui rappelait qu’«on ne part pas vers l’inconnu sans être dans une situation de détresse profonde», et qu’il a signée: «Gelson Fernandes, fils d’immigrés partis sans papiers chercher une vie meilleure.» En octobre, il a mobilisé ses anciens coéquipiers en juniors pour être le plus nombreux possible à l’enterrement de leur ancien entraîneur, Pierre-Alain Praz, «coach PAP, l’incarnation de la passion du football».
Le 3 mars dernier, il a raconté s’être arrêté avec émotion devant un magasin Emmaüs. «Quand j’étais petit, maman m’amenait certaines fois à Emmaüs fouiner les petites affaires. Malgré mon parcours de vie et la chance donnée par le Seigneur, je n’oublie pas ces instants de loisirs avec maman, qui étaient rares vu son emploi du temps. […] Tout cela avait son charme.» Gelson Fernandes n’oublie pas ce qu’il doit au football, quand tant d’autres sont persuadés que c’est le jeu qui leur est redevable.
Profil
1986 Naissance le 2 septembre à Praia, sur l’île de Santiago (Cap-Vert)
1992 Rejoint sa famille en Suisse. Fait la connaissance de son père
2004 Obtient la naturalisation suisse
2006 Remporte la Coupe de Suisse avec le FC Sion
2010 Marque le but de la victoire historique de la Suisse sur l’Espagne (1-0) en Coupe du monde
2014 Signe au Stade Rennais