Rétropédalage sur la réforme de la Coupe du monde
Lundi, c’est l’ancien président de l’UEFA Michel Platini, dont la suspension s’achève en octobre, qui a critiqué son ex-bras droit. «Pour moi, il n’est pas crédible comme président de la FIFA, et n’a aucune légitimité pour représenter le foot», a déclaré l’ex-numéro 10 des Bleus. Ce dernier a été remplacé au pied levé par Gianni Infantino en octobre 2015, alors que sa candidature à la succession de Sepp Blatter était «gelée» par les instances disciplinaires de la FIFA.
Gianni Infantino a récemment dû renoncer à son projet d’agrandir le format de la Coupe du monde de 32 à 48 équipes dès l’édition 2022 au Qatar. Mi-mars, la FIFA avait approuvé une «étude de faisabilité». Le vote était même à l’ordre du jour du congrès de juin mais, le 22 mai, l’instance mondiale du football a fait marche arrière. Pour organiser 80 matchs (au lieu de 64), il fallait que le Qatar partage le tournoi avec au moins l’un de ses voisins, potentiellement Bahreïn, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, qui imposent un boycott diplomatique et économique au Qatar. Ce rétropédalage a été perçu comme un camouflet pour le président de la FIFA.
Bilan économique positif
A Paris, Gianni Infantino pourra toutefois s’enorgueillir de son bilan économique. Les revenus (5,65 milliards d’euros pour le cycle 2015-2018) et réserves financières (2,42 milliards d’euros) de l’instance n’ont jamais été aussi élevés, notamment grâce au succès du Mondial 2018 en Russie. Et le président de la FIFA promet d’investir 2,7 milliards d’euros d’ici à 2022 à travers son programme de développement Forward.
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Ses partisans se félicitent des nombreux chantiers lancés, notamment l’introduction de l’assistance à l’arbitrage vidéo et une nouvelle Coupe du monde des clubs élargie à 24 équipes dès 2021. «A la FIFA, il a hérité d’une situation qui n’était pas facile. C’est un homme entreprenant, qui écoute», insiste Noël Le Graët, président de la Fédération française de football et élu jusqu’en 2020 au Conseil (gouvernement) de la FIFA. «Gianni Infantino a apporté de la stabilité et fait un excellent travail, estime le Canadien Victor Montagliani, patron de la Confédération de football d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale et des Caraïbes (Concacaf). Il a vraiment tourné une page pour l’organisation et rompu avec le passé. La FIFA est dans une meilleure position qu’il y a trois ans en termes de transparence et de bonne gouvernance.»
C’est pourtant sur ces deux terrains que le Suisse d’origine calabraise est le plus décrié. «A la FIFA, je ne peux déceler aucune des améliorations promises, considère l’Allemand Hans-Joachim Eckert, ex-président de la chambre de jugement du comité d’éthique de la fédération, dont le mandat n’a pas été renouvelé par Gianni Infantino, en mai 2017. Le comité d’éthique n’est plus du tout indépendant. Il ne peut plus décider librement en ce qui concerne les enquêtes sur les mauvaises conduites. La transparence annoncée dans tous les domaines n’est pas évidente.»
Garde rapprochée
Alors que les statuts l’autorisent à aspirer à rester au pouvoir jusqu’en 2031, Gianni Infantino a fait venir à Zurich, au siège de la FIFA, son ancienne garde rapprochée de l’UEFA: l’Ecossais Alasdair Bell (secrétaire général adjoint chargé de l’administration), l’Espagnol Emilio Garcia (directeur des affaires légales), l’Italien Mario Gallavotti (directeur «des commissions indépendantes»), ou encore l’avocat zurichois Michele Bernasconi, arbitre au Tribunal arbitral du sport de Lausanne et, par ailleurs, conseil juridique «externe» de l’UEFA.
«Il semble que le président de la FIFA se soit entouré de yes men et soit plus intéressé par des gens d’argent qui veulent contrôler le foot que par des femmes et hommes ordinaires qui aiment ce sport, observe l’homme d’affaires australien Jaimie Fuller, cofondateur du mouvement New FIFA Now, qui milite pour davantage de transparence à la fédération. On peut presque affirmer qu’Infantino est pire que Blatter.» Pour l’Anglais Patrick Nally, père fondateur du «marketing sportif», Gianni Infantino «veut, comme d’autres avant lui, conserver le poste et montrer son influence. Il a donc endossé un rôle machiavélique pour conforter durablement sa position comme président de la plus influente organisation sportive dans le monde.»
L’«affaire Lauber»
Gianni Infantino a connu un début de mandat agité. Purge au sein de l’administration, destruction d’enregistrements d’une réunion du conseil portant sur son salaire (il est aujourd’hui de 1,98 million de dollars annuels, sans compter un bonus de 550 000 dollars au titre du Mondial 2018), enquête interne sur ses déplacements en jet privé…
En novembre 2018, les révélations des Football Leaks ont mis au jour ses rapports intrigants avec son ami d’enfance Rinaldo Arnold, premier procureur du Haut-Valais. Celui-ci, blanchi par un procureur «extraordinaire» en avril, a bénéficié d’invitations à des matchs du Mondial 2018 et joué l’intermédiaire pour organiser une rencontre, en mars 2016, à Berne, entre Gianni Infantino et le procureur fédéral suisse Michael Lauber.
Ce dernier est chargé des enquêtes sur le scandale de corruption à la FIFA depuis 2015 et des procédures pénales en cours contre Sepp Blatter et Jérôme Valcke, l’ex-secrétaire général de la fédération. Gianni Infantino a revu le procureur fédéral en avril 2016, à Zurich, et une troisième fois en juin 2017, à Berne. Soupçonné d’avoir passé sous silence cette troisième réunion, Michael Lauber fait l’objet d’une enquête disciplinaire de l’autorité de surveillance du Ministère public de la Confédération helvétique. Le MPC a rendu, en janvier 2018, une ordonnance de non-lieu dans l’affaire d’un contrat de télévision douteux signé par Gianni Infantino quand il était à l’UEFA, révélée par les Panama Papers, en 2016.
En tant que représentant de la FIFA, partie civile dans ces affaires, Gianni Infantino balaye les critiques. «Le fait que le président de la FIFA ait rencontré le procureur fédéral dans des circonstances ouvertes et en totale transparence pour discuter de ces questions est la simple illustration de la volonté de la FIFA de coopérer et d’assister le bureau du procureur dans son travail», répond au Monde la FIFA. Le contenu des échanges, en dehors de tout cadre procédural, n’a cependant pas été notifié. L’«affaire Lauber» demeure un fardeau pour le Haut-Valaisan, assis sur un tas d’or, mais de plus en plus contesté.