On ignore si c’est parti pour durer, mais Leicester City («Leicester» s’écrit avec neuf lettres mais se prononce comme s’il y en avait la moitié moins) partage la tête du championnat d’Angleterre avec Manchester City. Le club entraîné par l’italien Claudio Ranieri et propriété du milliardaire thaïlandais Vichai Srivaddhanaprabha (je ne connais pas la prononciation) est la surprise de cette première moitié de saison. Leicester compte dans son effectif notamment le fils de Peter Schmeichel ou Gökhan Inler, qui joue très peu, mais surtout Jamie Vardy, 28 ans, révélation de la saison et meilleur buteur du championnat.

Il vient d’effacer un record détenu jusqu’au week-end dernier par une machine, Ruud Van Nistelrooy, en réussissant à marquer un but au moins dans onze journées de championnat successives. Jamie Vardy joue dans un style radical fait de vitesse, d’une approche directe et d’un abattage incessant. Vous ne verrez pas le bonhomme faire des passements de jambe ou du tricot sur la pelouse. Il ne lève pas trop la tête et a tendance à se débrouiller tout seul pour simplifier. Il est cité comme exemple en termes d’engagement. A croire qu’il cherche à rattraper le temps perdu, mais il n’en est rien, il a toujours été comme ça.

«It’s a long way to the top, if you wanna rock’n’roll» chantait AC/DC. A 28 ans, Jamie Vardy est la nouvelle coqueluche outre-Manche. Son éclosion au plus haut niveau a été tardive. Il a joué pendant dix ans dans les divisions intermédiaires du football anglais. Recalé à l’âge de 16 ans de l’Académie de Sheffield Wednesday sous prétexte qu’il était trop petit, comme Messi, il allonge la liste des grands joueurs qui, à un moment ou à un autre, ont été snobés par les recruteurs. Il a débuté sa carrière de semi-professionnel à dix-huit ans avec l’équipe de ses rêves, Stocksbridge Park Steels, pour un salaire d’environ deux cents francs par mois, en prenant un travail à l’usine aussi. Puis il a signé successivement au FC Halifax Town et à Fleetwood Town, cinquième division anglaise, où il évoluait encore en 2012.

Les supporters de Leicester City ont logiquement froncé les sourcils quand leur club a dépensé un million de livres sterling pour le faire venir, mais il s’est rapidement fait aimer en contribuant à la promotion de Leicester en Premier League. Depuis quelques mois, son ascension est fulgurante. Il est sélectionné en équipe nationale, on parle de lui du côté du Real Madrid et même mieux, à Hollywood. Probablement que Matt Damon est déjà en train de s’échauffer. Tous les ingrédients pour un bon biopic sont réunis: forte tête, travail à l’usine et même des démêlés avec la justice comme tout rappeur qui se respecte avant de connaître un succès tardif. Jamie Vardy avait été condamné, après une bagarre à la sortie d’un pub (pour des motifs romanesques évidemment), à six mois d’assignation à résidence entre le soir et le matin. Son entraîneur de l’époque, les jours de matchs, devait le faire remplacer peu après la mi-temps afin qu’il puisse sauter en crampons dans une voiture et rentrer à temps pour respecter son couvre-feu.

«Je dois me pincer tous les matins», répondait Jamie Vardy à la BBC il y a quelques jours, avant de sortir le baratin habituel des footballeurs sur le fait de travailler pour l’équipe et de prendre match après match. Sa trajectoire rappelle un peu celle de Charlie Austin, le «maçon» de Queens Park Rangers qui a fini capé en équipe nationale ou d’autres joueurs avant lui qui ont dû fourbir leurs armes dans des ligues inférieures avant de rejoindre l’élite. Jamie Vardy semble voler sur les pelouses. Est-ce vraiment une surprise? Chaque saison, en coupe d’Angleterre, on voit des clubs de League One et League Two ou Championship qui rivalisent avec les équipes de Premier League, en compensant leur infériorité présumée par une débauche d’énergie.

Est-ce vraiment une surprise de voir un joueur qui s’est démené pour aligner des dizaines de buts sur des pelouses difficiles face à des défenseurs revêches vous donnant de quoi réfléchir à chaque duel, se retrouver à briller sur les billards de Premier League avec des passes qui arrivent dans les pieds? Comme Rocky Balboa ou Dragonball, si vous vous entraînez dur dans la neige, vous allez vous balader au printemps. On entend souvent dire que la première division anglaise est la plus exigeante du monde alors que ce n’est peut-être même pas la plus exigeante d’Angleterre.