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Comme les Trois Mousquetaires, ils sont quatre. Quatre Portugais qui comptent parmi les hommes les plus influents du football mondial. Il y a Cristiano, José, Jorge et «John». Un joueur, un entraîneur, un agent et un justicier masqué. Les trois premiers sont riches, célèbres et tout-puissants. Leur anonyme compatriote pourrait bien les faire tomber.

Cristiano, c'est Cristiano Ronaldo. L'auto-proclamé meilleur footballeur du monde, ce qui n'est pas loin de la vérité. Futur probable Ballon d'or le 13 décembre prochain, à moins qu'une clause éthique ne le dépossède au dernier moment. C'est arrivé à Zinedine Zidane en 2000 et 2006, pour deux «coups de boule». Si «CR7» devait vivre pareil affront, ce serait la faute de «John», qui a permis de révéler que la star du Real Madrid a soustrait 160 millions de francs à l'impôt. Hacienda, le fisc espagnol, qui n'avait rien trouvé à redire après examen approfondi de ses déclarations de revenus pour 2012 et 2013, lui a déjà annoncé sa prochaine visite. 

José, c'est José Mourinho. L'auto-proclamé meilleur entraîneur du monde, ce qui ne correspond plus trop à la réalité. Le «Special One» est en difficulté à Manchester United, son nouveau club depuis cet été. Il l'est aussi en coulisses, depuis que les révélations de European Investigative Collaborations (un consortium de journalistes européens, dont Der Spiegel, Mediapart, The Sunday Times, Le Soir), ont montré qu'il a dissimulé 12 millions d'euros aux impôts (via un compte suisse détenu par une société écran immatriculée aux Iles vierges britanniques) et payé un redressement fiscal de 4,4 millions.

Ingénieur du football-business

Jorge, c'est Jorge Mendes. L'auto-proclamé «super agent», ce qui est en-deçà de la réalité. Mendes est bien plus qu'un agent; c'est un ingénieur du football-business, un architecte du financement de transfert, un chef d'orchestre du mouvement de footballeur. Grâce à lui, à sa société Gestifute (qui gère les droits de ses clients Cristiano Ronaldo et José Mourinho) et à ses partenaires (dont le fonds d'investissement Doyen Sports, spécialisé dans le négoce de «parts» de footballeurs professionnels), le monde du football a appris à acheter un joueur sans en avoir les moyens, à le conserver tout en revendant ses droits à des sociétés, à faire gonfler les salaires et les commissions dans des proportions hallucinantes, et, au final, à souffler très fort dans un ballon de baudruche prêt à exploser.

«John», c'est celui qui arrive avec l'aiguille. Ou une épée puisqu'il se prend un peu pour Zorro. Peut-être un jour aura-t-il droit à son biopic comme Edward Snowden ou Julian Assange, peut-être se sera-t-il fait descendre avant. Peut-être n'est-il, comme le suggère une contre-enquête de Mediapart, qu'un Hervé Falciani qui a échoué à vendre des documents volés. Seule certitude: «John» est l'homme qui a transmis en avril 2016 à l'hebdomadaire Der Spiegel 18,6 millions de documents confidentiels (contrats, factures, comptes bancaires, emails, etc) appartenant à Doyen Sports et qui a dévoilé le côté obscur du système mis en place par Jorge Mendes et dont ont profité Cristiano Ronaldo et José Mourinho.

«John» a d'abord mis en ligne lui-même ses révélations en créant le 29 septembre 2015 le site Football Leaks, hébergé par des serveurs russes. Il veut, écrit-il, nettoyer «ce sport que nous aimons» tant des parasites qui l'ont pourri. Les premiers documents publiés embarrassent le FC Twente, des agents sud-américains, quelques joueurs dont il dévoile le salaire. Contactés à l'époque par Le Temps, l'UEFA disait «suivre le dossier» mais ne se sentait «pas directement concernée». De son côté, Doyen Sport publiait un communiqué sur son site internet, criant à la cyber-attaque et au vol de documents, «vrais pour partie, manipulés pour certains afin d'augmenter l'intérêt du public et des médias».

Caché en Europe de l'Est

Mais rien n'est jamais démenti et Football Leaks reçoit même en janvier 2016 les félicitations de Mark Goddard, le responsable de l'organe de contrôle des transferts de la FIFA. A cette époque, «John» se cache déjà «quelque part en Europe de l'Est», selon Mediapart. L'affaire est trop grosse pour lui. Il contacte le journaliste du Spiegel Rafael Buschmann, le seul de la soixantaine de personnes qui travaillent à plein temps depuis six mois sur les Football Leaks, qui connaisse sa véritable identité.

Buschmann décrit «John» comme un jeune Portugais polyglotte qui parle russe, porte des jeans et des tee-shirts hiver comme été. «C’est un bon vivant au rire communicatif, qui aime la fête et la bière. «John» a une grande confiance en lui-même et en ce qu’il fait. (...) Il a les ongles rongés jusqu’au sang, signe du stress auquel il est soumis depuis un an.» Mais tout ceci - à part le détail des ongles - n'est peut-être qu'une fausse piste pour le protéger. «John» est actuellement recherché par les justices espagnole et portugaise. Selon Mediapart, Doyen Sports a lancé quatre équipes de détectives privés à ses trousses, dont des hackers russes et un ancien soldat d’élite britannique.