- J’en suis persuadé. Il y en a eu une dès le premier match, avec le but d’Olivier Giroud qui fait faute sur le gardien adverse. Les Roumains n’ont protesté que trente secondes, la presse ne s’est pas emparée de l’affaire, alors qu’au final, il s’agit d’un but décisif. Cela résume tout ce qui s’est passé par la suite: cet Euro est calme. Ce qui ne veut pas dire qu’il est propre sur le terrain, bien au contraire.
- C’est-à-dire?
- Les arbitres ont tendance à siffler pour le public, comme les spectateurs ont envie qu’ils sifflent, en laissant passer beaucoup de chose, quitte à prendre beaucoup de libertés avec les directives. Mais ce n’est pas ça, arbitrer. La priorité numéro 1, c’est d’assurer la protection des joueurs. L’arbitre ne peut pas empêcher un footballeur de mettre une semelle, mais il peut le sanctionner de manière à ce que les autres évitent ensuite de le faire. Depuis le début du tournoi, on voit beaucoup d’utilisation des bras dans le jeu aérien et de crampons qui traînent lors de contacts. Au nom du spectacle, on tolère trop de choses. Ce n’est pas un arbitrage courageux.
- La grande nouveauté, c’est le combo «goal-line technology» (qui dit si le ballon est entré) plus arbitre assistant supplémentaire (chargé de guetter les fautes dans les seize mètres). Le concept est bon?
- Excellent. Augmenter le nombre de paires d’yeux qui scrutent une zone sensible, c’est idéal. Mais il faut aller au bout de l’idée. En l’occurrence, ces assistants supplémentaires sont transparents. Ils n’ont pas l’opportunité de se manifester visuellement, comme les assistants avec leur drapeau, et ne sont donc pas très crédibles. Ils peuvent juste communiquer ce qu’ils voient à l’arbitre central, qui peut facilement les ignorer. Jusqu’ici, ils n’ont pas fait valoir leur utilité. J’ai en tête au moins cinq situations qui auraient pu déboucher sur un penalty, qu’ils auraient pu voir. Mais bon, on en revient au même problème: on a été tellement laxiste au début qu’on finit par se dire que c’est normal.
- Depuis le début, beaucoup de matches sont restés fermés et certaines équipes ont systématiquement eu recours à des fautes tactiques, dès qu’elles perdaient le ballon, pour éviter la rupture…
- Je partage le constat et, typiquement, ce sont des fautes qu’il faudrait sanctionner plus sévèrement, au nom du jeu. En laisser passer une, c’est normal, mais l’idée est d’identifier rapidement le phénomène, d’avertir les équipes qu’on ne les laissera pas jouer ce petit jeu et, si besoin, de sortir un carton jaune très vite. Même sur une faute anodine, mais qui a la fonction de casser le jeu adverse. Les joueurs vont d’abord se plaindre vigoureusement, mais ils ne sont pas idiots, ils vont comprendre. Ils ne vont pas prendre dix cartons comme ça. Et alors là, l’arbitre pourra imprimer un rythme de folie au match…
- Donc si l’Euro est si fermé, c’est parce que les arbitres n’ont pas eu le courage de sévir sur les fautes tactiques?
- Non, ce sont bien sûr les équipes qui décident de fermer le jeu, et c’est une tendance profonde du football actuel. Mais ce qu’on peut reprocher aux arbitres, c’est de ne pas avoir utiliser leurs outils pour fluidifier la manœuvre. C’est une règle informelle, mais c’est le but de l’arbitrage.
- Le fameux «rythme» que l’arbitre doit donner au match. Comment cela fonctionne, concrètement?
- D’abord, en se montrant très strict envers les comportements antisportifs, les fautes tactiques, les pertes de temps. Ensuite, via l’application de la règle de l’avantage, on peut faire beaucoup de choses. Un exemple: un tirage de maillot dans un duel. Si le match est déjà fermé, l’arbitre devrait avoir tendance à laisser aller pour ne pas casser le jeu et voir ce qu’il se passe. Certains attaquants parviennent à tirer profit d’une telle situation. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, il y a beaucoup de coups de sifflet hâtifs. Les joueurs l’ont intégré et beaucoup s’arrêtent de jouer dès qu’ils sentent qu’on tire sur leur maillot.
- Donner du rythme, c’est laisser jouer?
- Pas seulement, il y a aussi le cas inverse. Un match qui s’emballe, des actions d’un côté puis de l’autre, des interventions qui se font de plus en plus violentes. Là, il faut savoir calmer le jeu et pour cela, on siffle le tirage de maillot sitôt qu’on le voit. Car on sait que si on laisse aller, l’attaquant va se faire descendre.
- Comment un arbitre décide-t-il d’imprimer un rythme plutôt qu’un autre? S’il y a l’Angleterre, il siffle «à l’anglaise»?
- Non, il ne le fait pas sur des a priori. Il voit comment cela se passe et il s’adapte. C’est ce qu’on appelle la 18e loi du jeu; c’est le nez. A l’Euro, l’arbitrage s’arrête trop souvent à la 17e. Il est trop attendu.
- Y a-t-il tout de même un arbitre qui vous impressionne?
- Mark Clattenburg. Il est incroyable. Il ne se pose pas de questions, arbitre intelligemment, sans concession. Quand il peut influer sur le jeu, il le fait, mais reste strict sur l’application du règlement. Son arbitrage, à lui, est courageux. Et il n’est pas moins accepté que celui des autres. Si je devais désigner l’arbitre de la finale, ce serait lui.