A Monaco en 1967, des clubs parlaient déjà d’une Super League sans l’UEFA
Sport étude
AbonnéLe projet d’un championnat d’Europe des clubs révélé début avril est une idée ancienne, rappelle l’historien Philippe Vonnard, qui souligne que la formule actuelle de la Ligue des champions est le fruit des choix passés

En 1955, le lancement de la Coupe des clubs champions européens (C1) marque une étape importante dans l’histoire des rencontres européennes entre clubs puisqu’elle systématise sur une échelle géographique large, à savoir tout le continent, des rencontres internationales établies durant les décennies précédentes, parfois au sein de la principale épreuve de l’entre-deux-guerres: la Mittel-Europa (Mitropa) Cup.
Développé par un acteur privé – le journal L’Equipe – en collaboration avec seize clubs issus de seize pays européens, sélectionnés en raison de leur succès sportif ou de leur palmarès, le projet est concrétisé par la jeune Union des associations européennes de football (UEFA), créée entre juin 1954 et mars 1955.
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La C1 connaît un succès populaire et médiatique rapide et réunit la majorité des membres de l’Union (une petite trentaine) à la fin de la décennie. Convoquant les vainqueurs de tous les championnats européens, le tournoi se dispute sous la forme d’une coupe en match aller et retour. Ainsi, un club qui arrive jusqu’en finale (jouée sur un match) dispute un total de neuf rencontres. Ces parties constituent une aubaine financière pour les clubs participants (avec la tenue de rencontres supplémentaires qui se couplent à des revenus, certes encore modestes, issus des retransmissions télévisées) et confèrent une fonction politique à l’UEFA: réunir au sein d’une même épreuve des pays divisés par la guerre froide. Dès la première édition, Real Madrid rencontre Partizan Belgrade alors que l’Espagne et la Yougoslavie n’entretiennent plus aucune relation diplomatique depuis vingt-deux ans!
L’UEFA n’est pas invitée sur le Rocher
A partir du milieu des années 1960, la C1 commence néanmoins à être remise en question, une grogne que la création en 1961 de la Coupe des vainqueurs de coupe (C2) n’a pas calmée. Des journalistes, et avec eux des présidents de plusieurs clubs, se plaignent du nombre peu élevé de matchs. Ils regrettent également l’horizontalité du tournoi. Ainsi, le 6 juillet 1967, l’une des plumes les plus influentes d’Europe en matière de football, le journaliste de L’Equipe Jacques Ferran, écrit sur un ton mêlant sarcasme et regret qu’au premier tour de la C1 Real Madrid «devra vaincre ou mourir contre Celtic. En échange, le vainqueur de Reykjavik-Jeunesse d’Esch poursuivra sa route!»
Afin de mener une réflexion sur le sujet – et sur quelques autres thématiques comme l’arbitrage et l’harmonisation du calendrier –, une table ronde est organisée à Monte-Carlo en mars 1967, avec le concours du prince Rainier. Mais ces «états généraux» du football européen en sont-ils vraiment? L’UEFA n’y est pas officiellement invitée même si son vice-président, José Crahay, participe à titre personnel. De plus, hormis Dukla Prague, aucun club des pays de l’Est n’est présent. La majorité des participants proviennent d’Espagne, de France, d’Italie, du Portugal et de Suisse, auxquels il faut ajouter Panathinaïkós Athènes, Feyenoord Rotterdam et Austria Vienne.
Ce n’est donc pas toute l’Europe du football qui se retrouve à cette table ronde sur le Rocher, où les participants se déclarent finalement en faveur d’un principe: la création future d’un Championnat d’Europe des clubs. Cependant, en raison d’une «diversité d’idées», une majorité importante se rallient plutôt au fait de tout d’abord remplacer les premières tours éliminatoires de la C1 par des poules composées de quatre équipes.
Une hiérarchie acceptée dès 1971
Certes la réunion n’est pas officielle, mais elle va avoir deux conséquences majeures pour le football européen. Premièrement, si l’UEFA ne met pas en place un système de poule, à partir des années 1970 l’introduction de têtes de séries dans ses compétitions doit favoriser les grands clubs. Deuxièmement, la nouvelle compétition lancée par l’UEFA en 1971, – symboliquement nommée Coupe de l’UEFA afin de rappeler la position prédominante de l’Union en matière d’organisation des épreuves européennes –, est innovante. Une distinction est faite entre les pays reconnus comme les plus forts et les autres. Dès lors, l’Angleterre ou l’Italie disposent de quatre places dans la compétition. En bout de chaîne, Malte ou la Grèce n’en obtiennent qu’une seule.
On le voit, dès le début des années 1970, une hiérarchie est officiellement établie dans le cadre des compétitions européennes de football, et elle ne va cesser de se creuser au fil des années suivantes. Les réformes prises ces derniers jours dans le cadre de la nouvelle formule de la Ligue des champions ne vont d’ailleurs pas inverser ce processus. Il est toujours utile de se rappeler que les compétitions européennes de football sont le produit d’une histoire et de choix effectués! Les projets récents – la Super League ou la réforme de la Champions League – confirment l’omniprésence d’une politique (néo)libérale dans le football européen mais aussi un renforcement dans le manque de foi d’une Europe unie au sein des dirigeants du football. Un héritage entamé il y a plus de cinquante ans à Monaco?