Nils Nielsen: «La croissance du football féminin est inarrêtable»
Football
Le sélectionneur danois de l’équipe de Suisse admet qu'en ces temps de pandémie les grands clubs devront d'abord sauver les secteurs qui permettent de payer les salaires. Mais il ne doute pas du succès futur du football féminin

Nils Nielsen sait voir le bon côté des choses. Demandez au sélectionneur de l’équipe de Suisse féminine de football comment il a traversé la crise, il vous répondra qu’il a apprécié le fait de passer beaucoup de temps en famille et qu’il a découvert les vertus de réunir ses joueuses en visioconférence pour échanger autour d’un aspect ou l’autre du jeu. Il envisage de continuer à en organiser même lorsqu’il sera possible de passer du temps ensemble, disons, plus normalement.
A 48 ans, ce Danois pense aussi que la crise actuelle ne contrariera pas trop le développement du football féminin, un mouvement désormais trop puissant pour être interrompu. Dans le cas particulier de la Suisse, une qualification pour le prochain Euro serait toutefois bienvenue pour encourager le cercle vertueux. Après un nul décevant contre la Croatie, la Nati reçoit la Belgique ce mardi à 19h à Thoune pour un match entre formations invaincues dans le groupe H des éliminatoires.
Le Temps: Quelles seront les conséquences de la crise actuelle sur le football féminin?
Nils Nielsen: Elle ne va pas arrêter son développement, tout simplement parce qu’il est inarrêtable. Un slogan vieux comme le football dit que ce sport est fait pour tout le monde. Mais si ce «tout le monde» n’intègre que les garçons, ce n’est pas vraiment tout le monde. Cette idée est aujourd’hui largement partagée, et on ne reviendra pas en arrière.
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Maintenant, tous les sports professionnels souffrent, et il est probable que les investissements ralentissent. Les grands clubs masculins, qui disposent aujourd’hui pour la plupart d’une équipe féminine, vont d’abord devoir sauver les secteurs qui permettent de payer les salaires. Mais le mouvement général ne s’inversera pas pour autant.
Certains redoutent pourtant des économies dans des domaines peu visibles, comme la formation ou les équipes féminines…
Pas moi. Il est difficile de raser le crâne d’un chauve. Si les clubs doivent vraiment baisser leurs charges, ils auront meilleur temps de limiter leur contingent à 25 joueurs au lieu de 30 plutôt que de fermer une équipe féminine qui vient d’être créée et qui ne coûte en réalité pas une fortune. Quant à l’idée de toucher significativement à la formation, que nous parlions de jeunes filles ou de garçons d’ailleurs, je n’y crois pas une seconde. Cela reviendrait à abattre l’arbre dans lequel la cabane est construite. Personne ne fera ça. Ce n’est pas le sens de l’histoire.
Le football féminin a-t-il été bien considéré par les instances du football durant la crise?
Je crois vraiment que chacun a fait de son mieux pour trouver les meilleures solutions à une situation inédite. Imaginez la difficulté, pour la FIFA et l’UEFA, de faire exister le football international quand chaque pays déploie des mesures différentes face à la pandémie… A un moment donné, je pensais vraiment que nous n’allions pas pouvoir aller au bout des qualifications pour l’Euro. Finalement nous avons pu reprendre, et j’en suis très reconnaissant. On peut toujours avoir un avis personnel sur tel ou tel point de règlement, ou trouver que les conditions dans lesquelles nous évoluons désormais sont étranges. Mais si l’alternative est de ne pas jouer, le choix est vite fait.
Cela ne vous choque pas que l’Euro féminin ait été repoussé à 2022 pour faire place à celui des hommes en 2021?
Mon opinion personnelle est que le public n’aurait pas été tout à fait identique et qu’en conséquence il aurait été possible de disputer les deux compétitions la même année. Mais plus le temps passe et plus il paraît difficile de réunir beaucoup de monde au même endroit l’été prochain. Alors je me dis que, finalement, le report du tournoi est peut-être une chance.
Quelle est l’importance d’y participer pour l’équipe de Suisse?
Elle est énorme, évidemment. Nous savons qu’un échec ralentirait considérablement le développement du football féminin dans le pays. Alors que, paradoxalement, la situation est plus favorable aujourd’hui qu’avant la pandémie.
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Dans quel sens?
Cette drôle de période nous a laissé le temps de faire beaucoup de changements et d’ajustements dans notre fonctionnement. Nous avons restructuré notre manière de développer les jeunes talents et de suivre les joueuses. Nous avons renforcé les staffs, de manière à ce qu’aujourd’hui chaque équipe nationale dispose de ses propres analystes. Et nous avons aussi franchi un cap au niveau de la diffusion: la télévision suisse va montrer beaucoup plus de matchs en direct.
C’est un facteur de développement?
Le plus important, à mon avis. Si les gens ne connaissent ni les joueuses, ni le produit, ils n’en parlent pas. Si au contraire ils peuvent regarder des rencontres, leur esprit se forge et cela fait la différence. J’ai déjà vécu ça au Danemark, en 2015, lorsque la télévision a commencé à suivre l’équipe nationale et à montrer des matchs de championnat. En peu de temps, les footballeuses – dont certaines comptaient parmi les meilleures du monde – sont devenues des personnalités connues du grand public. Je suis convaincu que cela se passera de la même manière en Suisse. C’est un cercle vertueux. Plus d’attention permettra aux clubs d’acquérir plus de ressources, ce qui leur donnera la possibilité de développer le sport dans son ensemble.
Vous appelez à regarder un match féminin sans comparer avec le football des hommes. Avez-vous des conseils pour le faire?
C’est une question de préparation. Quand vous allez voir la première d’un film, vous avez une certaine attente mais vous êtes aussi ouvert à apprécier intrinsèquement ce qui va vous être proposé. La clé est là: regarder le jeu, se plonger dans l’action plutôt que de tout de suite penser: «Oh, elles ne courent pas aussi vite que des hommes.» Il y a des tas de manières d’apprécier un match de football. C’est super de regarder des enfants de 5 ans jouer à trois contre trois, non? Il ne faut juste pas s’attendre à voir un match de Ligue des champions. Pour en revenir au football féminin, j’ai envie de dire au public suisse qu’il a l’occasion de voir à l’œuvre une équipe nationale composée de grandes athlètes, qui évoluent au plus haut niveau mondial de leur spécialité. Ce n’est pas rien!
Où se situe votre équipe, en comparaison internationale?
Elle a tout ce qu’il faut pour être très forte. Dans ses bons moments, elle produit un excellent football. Mais pour l’instant, il y a beaucoup de formations en Europe et dans le monde qui sont plus constantes. Nous sommes encore fragiles lorsque nous devons faire des changements, intégrer des jeunes talents et je suis conscient qu’il y a des moments où nous ne ressemblons pas à une équipe de premier plan. Mon but: faire en sorte que même lorsque nous jouons mal cela reste assez bien pour gagner.
Avec le Danemark, vous avez atteint la finale de l’Euro 2017. Quelle était la recette?
Nous avons beaucoup travaillé sur le fait de surmonter les obstacles. Aujourd’hui, beaucoup d’équipes peuvent se battre les unes les autres, et la victoire revient souvent à celle qui gère le mieux les imprévus. C’est notre chantier actuel avec la Suisse, et c’est dans cette perspective que je suis déçu de notre nul contre la Croatie. L’attitude de mes joueuses n’a pas été optimale. Nos adversaires sont arrivées avec le projet de casser notre jeu, ce qui est une stratégie classique pour un outsider, et nous les avons laissées faire. Après trois minutes de jeu, nous avions encaissé un but et la frustration s’était installée. Il ne faut blâmer ni l’arbitre, ni les Croates – il faut simplement se préparer à ne plus retomber dans le même piège.
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Contre la Belgique, votre équipe n’a pas le statut de favorite.
Ce sera un match très différent. La Belgique joue depuis plusieurs années un football de très haut niveau. Mais nous appartenons au même groupe de nations européennes – en retrait de l’Allemagne, la France et l’Angleterre – où chaque sélection peut battre toutes les autres sur un match.
Pensez-vous, comme votre prédécesseure allemande Martina Voss-Tecklenburg, qu’un maximum de Suissesses doivent partir jouer à l’étranger pour faire évoluer l’équipe nationale?
Il n’y a pas de formule magique. Si une joueuse part à Lyon, elle va progresser pendant trois mois simplement en s’entraînant avec certaines des meilleures joueuses du monde. Mais ensuite, si elle fait deux ans de banc, elle ne s’y retrouvera pas. Tant que le championnat de Suisse ne sera pas vraiment professionnel, beaucoup de joueuses partiront. Mais il est aussi possible de se développer ici en suivant des études ou en faisant l’armée… Ce qui est bon pour une fille ne l’est pas forcément pour une autre. Chacune doit trouver une voie où elle se sente bien.