Ça a commencé par un seul témoignage. Le 16 novembre, l’ancien footballeur anglais Andy Woodward, 43 ans, a publiquement révélé dans le «Guardian» qu’il avait été victime pendant des années d’un pédophile, Barry Bennell. La police était déjà au courant et son agresseur avait été condamné. Mais jamais l’ancien professionnel, qui jouait pour Crewe Alexandra, une équipe aujourd’hui en quatrième division, n’avait osé parler ouvertement.

Après des décennies de silence, il a décidé de faire connaître son tourment, ses années de dépression, ses envies de suicide, qui ont mis sa carrière en morceaux. Avec un espoir: «Je sais qu’il y a d’autres (victimes). J’espère qu’avec ça, je peux leur donner la force [de parler]. Ça a pris 30 ans de ma vie d’avoir ce courage, et je veux qu’ils sachent que c’est OK [de témoigner].»

350 témoignages

Son espoir s’est largement concrétisé. Depuis qu’il a parlé, une vingtaine d’anciens footballeurs se sont fait connaître, révélant avoir été eux aussi victimes. Le 1er décembre, la police a affirmé qu’elle avait reçu 350 témoignages d’abus sexuels sur mineur dans des clubs de football. L’association NSPCC a de son côté ouvert une ligne téléphonique dédiée: elle a reçu 860 appels en une semaine. Sur les trois premiers jours de l’ouverture de la ligne, une soixantaine de cas ont été rapportés à d’autres associations ou aux autorités britanniques. La loi du silence au sein du monde du football a été brisée.

Andy Woodward a longtemps souffert de cette omerta. Quand il était enfant, dans les années 1980, son talent avait été repéré par Barry Bennell. Dans le monde du ballon rond, ce dernier était l’un des détecteurs de jeunes talents les plus connus, basé autour de Manchester. Il pouvait leur ouvrir les portes des meilleurs clubs et leur faire miroiter les carrières professionnelles les plus prometteuses.

Il avait aussi pris l’habitude de recevoir les jeunes prodiges chez lui, dans une maison qui ressemblait à une caverne d’Ali Baba. «Quand vous entriez, il y avait trois machines à sous, raconte Andy Woodward. Il avait un billard. Il y avait aussi un singe dans une cage, qui venait s’asseoir sur votre épaule. C’était mon rêve de devenir un footballeur et ça me donnait l’impression qu’il me tendait des bonbons en me disant: «Tu peux rester avec moi et voilà ce que je peux faire pour toi». Il avait la réputation d’être le meilleur entraîneur pour jeunes du pays.» Alors, Andy Woodward était fourré chez Barry Bennell le soir, le week-end, pendant les vacances…

«Il utilisait le football pour imposer son contrôle»

Les abus ont commencé. Les menaces aussi. L’entraîneur aimait l’impressionner en déchiquetant une feuille de papier tenu par le jeune adolescent d’un coup sec de nunchaku. «Ou alors, il utilisait le football pour imposer son contrôle. Si je l’avais énervé d’une façon ou d’une autre, il ne me sélectionnait pas dans l’équipe.»

L’affaire a pris une tournure encore plus tragique quand Barry Bennell a commencé à avoir une liaison avec… la sœur d’Andy Woodward, qui avait seize ans à l’époque. Il finira par l’épouser.

Nous, les footballeurs, nous sommes censés être virils et forts, n’est-ce pas? Tout n’était que moqueries et plaisanteries de vestiaires. Mais je souffrais de dépression.

Dix ans plus tard, quand l’entraîneur a été dénoncé une première fois par l’une de ses victimes, le footballeur a témoigné auprès de la police et tout révélé. Sa famille a découvert la vérité et sa sœur a immédiatement quitté son mari. Barry Bennell sera finalement condamné en 1998 à neuf ans de prison, ayant reconnu des abus sexuels sur six garçons âgés de neuf à quinze ans.

Crises de panique et dépression

Andy Woodward est quand même devenu professionnel à Crewe Alexandra, mais jamais il n’a osé confier les sévices passés. Il maquillait ses crises de panique en blessures. «Nous, les footballeurs, nous sommes censés être virils et forts, n’est-ce pas? Tout n’était que moqueries et plaisanteries de vestiaires. Mais je souffrais de dépression.»

Incapable de gérer ses crises de panique et sa dépression, Andy Woodward a mis un terme à sa carrière de façon prématurée, à 29 ans. Aujourd’hui, il accuse Crewe Alexandra d’avoir couvert les agissements de Barry Bennell. «Tellement de gens en parlaient. D’autres joueurs me le disaient directement: «Je suis sûr qu’il t’a fait ça, on sait que c’est ce qu’il fait.» Mais hors du club, ça n’était jamais discuté. C’est comme ça que le football fonctionnait alors. Personne ne voulait briser la confiance du milieu.»

Crewe a ouvert une enquête interne sur la façon dont le club s’est occupé des affaires historiques de pédophilie. Le Football Association, l’instance dirigeante du football anglais, a également ouvert son enquête. Dans le monde du ballon rond anglais, il y aura un avant et un après le témoignage d’Andy Woodward.


Un ancien footballeur dit avoir été payé 50 000 livres par Chelsea pour son silence

«Ils m’ont payé pour que je garde le silence. Ils ont peut-être payé d’autres joueurs en échange de leur silence. J’espère qu’aucun club ne couvre de tels faits, personne ne doit échapper à la justice», a déclaré l’ancien attaquant au tabloïd «Daily Mirror», précisant avoir reçu les 50 000 livres (63 801 francs) en 2015.

«Ce qui me met en colère, c’est que quand je suis allé leur dire que j’avais été abusé, ils m’ont répondu «prouve-le"», affirme Gary Johnson, qui a évolué dans l’équipe première du champion d’Europe et quintuple champion d’Angleterre entre 1978 et 1981.

L’ancien footballeur âgé de 57 ans, aujourd’hui chauffeur de taxi, dit avoir été agressé sexuellement à de multiples reprises dès l’âge de 13 ans par Eddie Heath, recruteur pour les «Blues» de 1968 à 1979, depuis décédé. Selon lui, d’autres joueurs ont également été agressés par le même homme.

Chelsea a annoncé mercredi avoir engagé un cabinet d’avocats afin d’enquêter sur l’un de ses anciens employés «dans les années 1970», aujourd’hui décédé, suspecté d’avoir commis des agressions sexuelles sur des jeunes footballeurs.

(AFP)