Au procès FIFA, l’accusation invitée à «reconnaître sa défaite»
Justice
Comme ceux de Jérôme Valcke la veille, les avocats de Nasser al-Khelaïfi et de Dinos Deris ont rappelé à l’accusation le fardeau de la preuve et le boulet de l’instruction. Tous demandent l’acquittement pour leur client

Le procès suisse du FIFAgate s’est arrêté jeudi en milieu d’après-midi au Tribunal pénal fédéral (TPF) de Bellinzone. Le jugement sera communiqué oralement aux trois prévenus le 30 octobre à 13h30, a annoncé le président de la Cour des affaires pénales Stephan Zenger. Le Ministère public de la Confédération a requis 36 mois de prison contre Jérôme Valcke, l’ancien secrétaire général de la FIFA accusé de «gestion déloyale, faux dans les titres et corruption passive», 30 mois pour l’intermédiaire grec Dinos Deris (absent des débats, accusé de corruption active et d’incitation à gestion déloyale aggravée) et 28 mois pour le président du BeIN Media Group Nasser al-Khelaïfi, accusé d’«incitation à gestion déloyale», à chaque fois avec sursis partiel.
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Comme ceux de Jérôme Valcke la veille, les avocats de Nasser al-Khelaïfi et de Dinos Deris ont rappelé jeudi à l’accusation le fardeau de la preuve et le boulet de l’instruction. Selon eux, l’un est absent et l’autre omniprésent. Ils réclament l’acquittement pour leur client. Composée de Mes Grégoire Mangeat, Fanny Margairaz et Marc Bonnant (par ordre d’apparition), la «défense à trois» du président du PSG a reproduit un système tactique très à la mode dans le football, car il permet d’être offensif, même si l’on ne sait jamais trop s’il y a trois ou cinq défenseurs.
Au TPF, il y en a même six, Mes Patrick Hunziker et Elisa Bianchetti (Jérôme Valcke) et Me Alec Reymond (Dinos Deris) joignant leurs efforts pour faire cause commune. Défendre Valcke, c’est aussi défendre Deris et Al-Khelaïfi. Blanchir «Nasser», c’est aussi disculper Valcke. Rappeler que les contrats signés étaient les meilleurs dont la FIFA pouvait rêver, c’est comprendre que «la négociation des droits TV est un sport simple où la FIFA gagne toujours à la fin» (Reymond). Dire enfin que «la conséquence n’est pas la preuve de la cause» (Bonnant), c’est soutenir jusqu’au bout que l’accusation n’est rien parvenue à prouver.
«Chasse aux trophées»
Se sentant prendre l’ascendant, les défenseurs jouent l’attaque. Ils sont unanimes à refuser le procès «exemplaire» réclamé dix jours plus tôt par la FIFA, à rejeter le modèle américain de la justice «du bras tordu» (Mangeat), à décrire la lecture des faits par le MPC comme «le triomphe du roman sur le récit» (Reymond) dont le but serait d’assouvir une «fascination mal réprimée pour la chasse aux trophées» (Mangeat). Me Bonnant annonce qu’«une plainte est en cours. Je veux savoir qui au MPC alimente Mediapart.»
Leurs arguments ne font toutefois pas toujours mouche. L’exposé de Me Margairaz visant à démontrer que l’acquisition de la Villa Bianca – par une société de Nasser al-Khelaïfi rapidement transmise à un tiers, Abdelkader Bessedik – n’avait rien de suspect ni aucun lien corruptif avec Jérôme Valcke aurait été plus convaincant si le document original exonérant le ministre qatari n’était malencontreusement aux mains de la justice qatarie…
De même, Me Mangeat insiste assez longuement sur une différence de traduction du rapport financier 2015 de la FIFA, l’obligation (faite à Jérôme Valcke) d’un appel d’offres «for major contracts» dans la version anglaise produite par l’instruction devenant «pour tous les contrats d’acquisition majeurs», c’est-à-dire «tous les contrats où la FIFA dépense de l’argent», estime l’avocat. Peu importe: l’article 8 paragraphe 4 des statuts 2014 de la FIFA précise qu’«en cas de divergence dans la formulation, le texte anglais fait foi».
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Des faits «décontextualisés»
Grégoire Mangeat est bien plus efficace à ébranler l’un des piliers de l’accusation: la réunion du 24 octobre 2013 à Paris durant laquelle, selon le MPC, un Jérôme Valcke financièrement aux abois n’aurait pu refuser la contrepartie exigée par Nasser al-Khelaïfi en échange de son aide financière. Produisant une série de messages antérieurs à cette réunion, la défense estime que ces pièces établissent que la FIFA et BeIN étaient déjà en contact avancé pour les droits en question avant octobre 2013, ce que l’instruction «a occulté» pour «entretenir une confusion inutile», «faire du 24 octobre une date clé» et «travestir le sens de l’e-mail envoyé le lendemain par Jérôme Valcke au responsable de la division droits télé de la FIFA.
«Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli», s’enflamme Me Bonnant, citant Boileau. Le rideau s’apprête à tomber. Juste avant, Me Alec Reymond conclut les débats «avec un peu d’angoisse et beaucoup de confiance». Au nom de tous, l’avocat de Dinos Deris estime que «MPC et FIFA ont échoué lamentablement dans leur tentative» et demande à la cour un «acte de courage»: l’acquittement.