Le Bayern Munich n’est pas invincible. Le Borussia Dortmund l’a rappelé à l’Allemagne, samedi, en s’imposant contre le champion en titre grâce à un but de Pierre-Emerick Aubameyang. Ce n’est que la première défaite des hommes de Carlo Ancelotti cette saison, mais c’est celle de trop pour demeurer au sommet du classement. Vainqueur sur la pelouse de Leverkusen (2-3), le RB Leipzig vire en tête après onze journées.

Le nouveau leader de Bundesliga n’est pas une équipe comme une autre. Néo-promue, elle est la première à représenter l’Est du pays en première division allemande depuis 2009. Son effectif est loin d’une galerie de stars. Néanmoins, elle reste invaincue (huit victoires, trois nuls), comme seul le Real Madrid cette saison dans les grands championnats. En Bundesliga, ce début en fanfare rappelle celui de Kaiserslautern lors de la saison 1997-1998, quand l’équipe du milieu de terrain suisse Ciriaco Sforza, elle aussi néo-promue, était devenue championne. Il évoque aussi le parcours de Leicester City l’année dernière ou de l’OGC Nice en Ligue 1 française. Mais l’histoire du RB Leipzig est encore plus singulière.

Pour le comprendre, il faut s’intéresser aux deux initiales du club. «RB». Officiellement pour «RasenBallsport», «sport de balle sur gazon» dans la langue de Goethe, mais objectivement pour «Red Bull». Une pirouette lexicale malicieuse, dans un pays où la tolérance en matière de «naming» s’arrête aux noms des clubs de football. Le «Bayer» Leverkusen, fondé en 1907 par l’entreprise chimique et pharmaceutique, est l’exception (historique) qui confirme la règle. S’il avait pu s’engouffrer dans la brèche, le fabricant de boissons énergisantes autrichien ne s’en serait sans doute pas privé.

Une galaxie

Très connue pour son sponsoring massif dans le milieu des sports extrêmes, la firme aux deux taureaux investit aussi massivement dans des disciplines plus traditionnelles. Elle possède et donne son nom à des équipes de hockey (EHC Red Bull Munich et EC Red Bull Salzbourg), de Formule 1 (Red Bull Racing et Toro Rosso) et de football: le FC Red Bull Salzbourg en Autriche (depuis 2005), les Red Bulls de New York en Major League Soccer américaine (depuis 2006), Red Bull Brasil à Sao Paulo (depuis 2007) et Red Bull Ghana à Sogakope (depuis 2008 et jusqu’en 2014). Une véritable galaxie. C’est pour lui donner un soleil qu’en 2009, Red Bull reprend le SSV Markranstädt en cinquième division pour en faire le RB Leipzig.

Sept ans et quatre promotions plus tard, voilà le club est-allemand en première Bundesliga. Et ce n’est que le début du programme, comme le préfigurent les résultats actuels et l’annonçait Dietrich Mateschitz en 2015: «Je ne veux pas avoir 80 ans quand Leipzig remportera son premier titre de champion.» L’Autrichien, patron de Red Bull, a 72 ans. A court ou moyen terme, il voit son club remporter la Bundesliga. Donc prétendre à un sacre en Ligue des champions. Donc compter parmi les tout meilleurs clubs du monde.

Dans la manoeuvre, les autres équipes «franchisées» ont leur rôle à jouer. En attendant d’être prêts pour la Bundesliga, certains footballeurs peuvent s’aguerrir au sein du championnat autrichien. Durant l’intersaison, quatre joueurs sont arrivés à Leipzig en provenance de Salzbourg, un autre a quitté le club en direction de New York.

Le point Godwin

Le monde du football assiste, curieux et impuissant, au processus. Vu d’Allemagne, l’agacement prédomine. Au pays des «Traditionsverein» (les clubs de tradition), des stades débordant de fans fidèles et enthousiastes, l’idée qu’une marque étrangère affuble une équipe de son logo et la propulse vers les sommets avec plus d’argent que de soutien populaire passe mal. Pendant les deux saisons du RB Leipzig en deuxième division, la controverse n’a jamais cessé. Certains supporters adverses ont boycotté le déplacement de la Red Bull Arena. Ceux d’Erzgebirge Aue, en 2015, ont touché le point Godwin avec une banderole à l’attention des fans est-allemands: «Un Autrichien appelle et vous suivez aveuglément, tout le monde sait comment cela se termine, vous auriez fait de bons nazis.»

Il y en a pourtant que le spectacle intéresse. Le stade du RB Leipzig a fait le plein quatre fois en cinq matches à domicile cette saison. Mais les observateurs parlent d’un public plus familial qu’ailleurs, qui applaudit plus qu’il ne chante, qui remercie plus qu’il n’encourage. Le foot d’outre-Rhin ne se reconnaît pas dans l’affaire. Toute la presse internationale a dressé le portrait du club «le plus détesté d’Allemagne».

Bâti rapidement grâce aux millions de Red Bull, le RB Leipzig suit néanmoins une ligne sportive intéressante. Tout part du projet de jeu: direct, rapide, avec un pressing appuyé. Pour cela, l’entraîneur Ralph Hasenhüttl s’appuie sur un effectif très jeune. On n’y trouve que deux trentenaires, dont le gardien suisse Fabio Coltorti (35 ans) qui n’a pas joué depuis le début de la saison. Selon l’Observatoire du football, à Neuchâtel, la moyenne d’âge des joueurs alignés par Leipzig depuis le début de la saison est de 24,6 ans. Dans les cinq grands championnats, seuls Toulouse, Nice et Leverkusen font plus jeune. Durant l’intersaison, le club est-allemand a certes été actif sur le marché des transferts - embauchant essentiellement des joueurs d’une vingtaine d’années – mais il s’appuie aussi sur son propre centre de formation réputé et des équipes de jeunes performantes dans toutes les catégories d’âge.

L’éminence grise

Actuellement aux manettes du projet, un homme: Ralf Rangnick. Il était l’entraîneur de l’équipe au moment de la promotion en Bundesliga et officie désormais comme directeur sportif. C’est un peu l’éminence grise des formations impopulaires. Avant d’embarquer dans l’aventure Red Bull, il avait conduit le TSG Hoffenheim du milliardaire Dietmar Hopp de troisième en première division, en s’attirant déjà les foudres de la plupart des fans des nombreuses «Traditionsvereine» que compte l’Allemagne. Depuis 2008 dans l’élite, le club du Bade-Wurtemberg a plafonné, ne faisant jamais mieux que lors de sa première saison, bouclée à la septième place. Le même sort attend-il le RB Leipzig? Dietrich Mateschitz, déterminé à voir son club briller en Ligue des champions, pense que non et relativise les critiques en portant son regard au loin. «La seule différence entre le Barça, le Bayern et le RB Leipzig, c’est que dans 500 ans, ces clubs auront 600 ans, et nous 500», a-t-il déclaré un jour.