Reportage
Dans l’ombre du PSG, son puissant voisin, le mythique club de banlieue s’est refait une place à Paris grâce à un producteur de cinéma qui joue à fond la carte de la contre-programmation

Saint-Ouen, à quelques encablures de Paris. Dans ce bastion historique du communisme banlieusard, un petit club de football résiste, tant bien que mal, aux coups de boutoir du foot business. Son enceinte, le stade Bauer (dont la capacité a été réduite de 10 000 à 3000 places du fait de son délabrement), semble sortie des pages jaunies d’un livre d’histoire. Avec son toit en tôle, ses lignes droites comme tracées à la serpe et ses poteaux de soutènement qui bouchent parfois la vue des spectateurs, Bauer occupe une place unique dans le paysage footballistique professionnel français. Un vestige pour certains, un trésor pour d’autres.
Fondé en 1897 par Jules Rimet (futur président de la FIFA et créateur de la Coupe du monde), le Red Star fait partie de la légende du sport français. Il faut pourtant compulser les archives pour retrouver la trace de ses succès passés. En tout et pour tout, cinq Coupes de France acquises dans l’entre-deux-guerres, la dernière remportée en 1942.
Menacé de disparition il y a vingt ans
Depuis, le club audonien court après sa légende. De relégations en fusions cocasses (en 1967 avec le Toulouse FC du «milliardaire rouge» Jean-Baptiste Doumeng), l’Etoile rouge a rejoint la cohorte de ces «losers magnifiques» qui trébuchent parfois mais se relèvent toujours. Une mauvaise habitude qui aurait pu mal tourner. Menacé de disparition pure et simple au tournant des années 2000, le club a trouvé in extremis les ressources pour récupérer le statut professionnel. A sa tête, depuis 2008, un président actionnaire haut en couleur, le producteur de films Patrice Haddad.
Chaque week-end, aux abords du stade Bauer, une nouvelle population, plus jeune, plus féminine, plus hype, a rejoint les fidèles supporters du club
Tenace et ambitieux, ce dernier a révolutionné la vie de la belle (étoile) endormie, replaçant, en l’espace de quelques années seulement, le Red Star sur la carte du football hexagonal.
Antiracisme(s)
La stratégie du président Haddad? Faire, mais également faire savoir. Résultat: depuis quelques mois, les Vert et Blanc sont partout! Avec une page spécialement dédiée au club sur le site du mensuel So Foot, une (remarquable) série documentaire voyageant dans ses coulisses sur Canal+ (La Bande à Bauer, réalisée par Pierre Desmarest), ainsi qu’un partenariat noué avec le média en ligne américain Vice, également partenaire du club, le Red Star a réussi à attirer vers lui toute la branchitude parisienne.
«Au même titre que l’on a mis une femme [Pauline Gamerre, désormais à la Fédération française de football] à la tête du club il y a dix ans, on ne se pose pas de question lorsque Vice entend devenir notre sponsor maillot, explique Patrice Haddad. On est dans le co-branding. Vice et le Red Star se servent mutuellement sur le secteur d’une jeune génération qui veut voir les choses différemment, en matière de football comme de culture. C’est un tout!»
Une stratégie payante. Chaque week-end, aux abords du stade Bauer, une nouvelle population, plus jeune, plus féminine, plus hype, a rejoint les fidèles supporters du club. La famille Red Star s’étend, non sans heurts. Aux reproches de gentrification parfois formulés à l’égard de la direction, Haddad oppose la longue tradition d’accueil et d’ouverture de toutes les populations dans les tribunes de Bauer. «La volonté n’est pas d’hipsteriser le club mais d’élargir le public. La tolérance et l’anti-discrimination – raciale mais aussi sociologique – sont nos bases. A Bauer, on accueille tout le monde!»
Des valeurs alternatives
Auteur d’un bon début de championnat (le Red Star est actuellement 2e de National), le club de la Seine-Saint-Denis s’est fixé comme objectif – réaliste – la remontée en Ligue 2 au terme de la saison. Pourtant, aussi étonnant que cela puisse paraître, l’essentiel ne paraît pas se jouer sur le terrain pour la formation audonienne. «On ne vient pas à Bauer pour voir du beau jeu, clame un supporter! L’enjeu est ailleurs. On vient voir nos joueurs se battre et porter des valeurs. Une autre idée du football se joue ici!»
"Au stade, il n’y avait pas d’entrée réservée aux joueurs. On garait nos voitures au milieu de celles des fans." Parole aux anciens qui ont porté le maillot Vert et Blanc dans les années 1960, 1970 et 1980 📝 by @VICEfr ➡️ https://t.co/21EukNQ3na pic.twitter.com/laIVA6PMcV
— Red Star FC ✪ (@RedStarFC) February 22, 2018
Au-delà de l’assainissement des finances du club, le véritable coup de génie de Patrice Haddad réside certainement dans la réactivation des valeurs humanistes du Red Star. «On ne doit pas singer les autres clubs, explique le président Haddad. On doit être différent, alternatif! Sankt Pauli en Allemagne ainsi que quelques clubs argentins et brésiliens ont réussi l’alchimie. C’est aussi notre promesse.» L’enjeu: assumer la noblesse d’un positionnement «ouvert, humaniste, populaire et antiraciste».
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D’aucuns diront à gauche même si, à l’origine, l’appellation du club constitue une référence subtile à la Red Star Line, compagnie maritime transatlantique du XIXe siècle, plutôt qu’aux idéaux marxistes-léninistes. De fait, aller voir un match à Bauer, c’est entreprendre un voyage dans le temps, à l’époque du football vintage, des stades à l’anglaise et du kick and rush aux relents de houblon. En somme, se reconnecter à un football «vrai», «normal», tissant du lien entre supporters.
On ne doit pas singer les autres clubs. On doit être différent, alternatif! Sankt Pauli en Allemagne ainsi que quelques clubs argentins et brésiliens ont réussi l’alchimie
«Si Barcelone c’est plus qu’un club, le Red Star, c’est plus que du foot!» clame fièrement un fan. Se dessinent alors les contours d’un club à haute teneur politique. Lors du dernier match de championnat disputé à domicile (défaite 1-2 face à Dunkerque), une large banderole «Refugees Welcome» se déployait en tribunes. Quelques jours plus tôt, c’est la mémoire de l’ancien joueur Rino Della Negra, immigré italien, résistant et membre du célèbre groupe Manouchian, que Bauer célébrait.
La Maladière de Neuchâtel comme exemple
Cette volonté de promouvoir un autre football, à mille lieues de l’évolution ultra-capitaliste du sport moderne, attire jusqu’au plus haut sommet de l’Etat. Fin novembre, le Red Star s’est doté d’un nouvel organigramme. Au poste de directeur général du club, une nomination surprise, celle de Grégoire Potton. Issu de l’équipe de golden boys ayant œuvré à la victoire d’Emmanuel Macron, l’homme devrait permettre au club de poursuivre son développement en s’attelant à quelques dossiers épineux, dont la construction d’un «nouveau stade Bauer sur le modèle du stade de la Maladière, à Neuchâtel», détaille Patrice Haddad.
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L’histoire d’amour entre l’Etoile rouge et les hommes politiques n’a, quant à elle, rien de nouveau. En 2015, alors que le club disputait un 8e de finale de Coupe de France face à Saint-Etienne, le président Hollande s’invitait déjà en tribunes, ravi de pouvoir gauchiser son image en l’associant à celle du club. «Quand j’étais jeune, j’allais voir le Red Star au stade Bauer», expliquait alors l’ancien président de la République française avant d’appeler de ses vœux l’émergence «d’un deuxième grand club parisien ou banlieusard derrière le Paris Saint-Germain».
Opposer un modèle vertueux, concurrent à celui du PSG version Qatar, voilà bien l’enjeu pour l’exécutif. «Paradoxalement, la montée en puissance du PSG, avec l’arrivée des Qataris, a permis au Red Star de se développer comme une sorte de contrepoids, analyse Nicolas Kssis-Martov, journaliste à So Foot. Face aux valeurs de l’argent, le Red Star met en avant sa dimension humaine, son ancrage local. Il capitalise aujourd’hui sur sa contre-identité.» A Bauer, on n’a pas de pétrole, mais on a des idées.
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