Voilà un peu plus de deux mois que les accros incapables de se passer de leur dose de football avaient le choix entre deux sortes de méthadone: les rediffusions de matchs de légende et l’actualité de quelques rares ligues exotiques. Mieux que rien, mais pas très satisfaisant quand même. C’est dire si la reprise de la Bundesliga, premier des cinq grands championnats européens à redémarrer suite à la crise liée au nouveau coronavirus, était attendue bien au-delà des frontières allemandes. «C’est plus d’un milliard de personnes qui nous regarderont jouer», faisait remarquer l’entraîneur vaudois du Borussia Dortmund, Lucien Favre.

Le diffuseur Sky a décidé d’en profiter pour s’offrir une belle opération promo. Il faut s’abonner pour regarder l’un des cinq premiers matchs au programme, ce samedi à 15h30, mais le «multiplex» passant d’un terrain à l’autre en fonction de ce qu’il s’y passe est en libre accès. Ce n’est pas le meilleur moyen de suivre, par exemple, l’alléchant 96e derby de la Ruhr entre Dortmund (2e) et Schalke (6e), mais c’est un excellent moyen de prendre la mesure du football «d’après». Le vaste catalogue de mesures prises pour permettre la reprise allait-il peser sur l’expérience du téléspectateur?

L'«ambiance» sonne faux

Dès les premières images, il est possible de mesurer le vide laissé par l’absence de supporters dans les stades. Avant le début de la rencontre, des images numériques sont incrustées pour masquer les gradins déserts. La réalisation tentera autant que possible de les éviter par la suite. Mais sur un ralenti du tout premier but de l’après-midi, par Erling Braut Haaland, la tribune qui accueille d’habitude le fameux «mur jaune» de Dortmund apparaît dans son immensité dépeuplée et laisse, forcément, une impression étrange.

Le vrai manque est sonore. En fait, il y a du bruit: c’est comme si l’on entendait toutes les conversations des 300 personnes tolérées dans le stade. L’entraîneur qui interpelle ses hommes. Le gardien qui guide ses défenseurs. L’ailier qui accompagne de la voix son appel de balle. Jean-Clair Todibo qui s’en prend à Erling Braut Haaland en termes, disons, peu courtois. Le tout avec l’écho des grandes enceintes du football allemand. Mais il manque la musique du football à la télévision, c’est-à-dire le brouhaha des supporters. Silence, on joue.

En pianotant sur la télécommande, une surprise: un canal audio intitulé «Stade» est proposé. Il vient caler des chants, des sifflets, des encouragements sous les commentaires germanophones. C’est à ce moment que le Suisse Renato Steffen ouvre le score d’un joli coup de tête pour Wolfsburg sur la pelouse d’Augsbourg. Plan large sur des milliers de sièges vides. L'«ambiance» sonne un peu faux.

Masques et «check» du coude

Cela n’empêche pas les équipes de jouer juste. Sur sa pelouse du Signal-Iduna Park, le Borussia Dortmund inflige une véritable correction à son rival régional: il y a 4-0 dès la 63e minute de jeu. Lucien Favre sourit large et serre les poings. Derrière lui, ses remplaçants portent le masque de rigueur et restent à l’écart les uns des autres, comme le règlement le leur demande. Sur les différents terrains, plusieurs équipes ont institutionnalisé le «check» du coude à la place des habituels «high five». Ça va aussi. Il est en revanche assez piquant de voir les joueurs célébrer leurs buts en respectant scrupuleusement une certaine distance sociale quelques minutes après avoir formé un mur coude à coude sur un coup franc adverse…

Les buts s’enchaînent un peu partout. Le Hertha Berlin surprend Hoffenheim à l’extérieur (0-3), Wolfsburg l’emporte à Augsbourg (1-2) et Fribourg arrache un point sur la pelouse de Leipzig (1-1). Seul le duel des mal classés entre Düsseldorf (16e) et Paderborn (18e) se termine sur un score vierge.

Il y a toutefois plus de rythme dans le zapping du «multiplex» que sur la plupart des terrains. Cette 26e journée de championnat se déroule soixante-six jours après la fin de la précédente, les équipes n’ont pas pu s’entraîner normalement et cela se sent un peu. Sur les réseaux sociaux, où les spectateurs partagent leurs sentiments faute de pouvoir le faire au stade, beaucoup se disent quand même heureux de revoir du football à la télévision. Même si cela ne ressemble pas encore parfaitement à du football à la télévision.