Berceau de Che Guevara, du septuple Ballon d’or Lionel Messi, mais aussi d’Angel Di Maria, acteur décisif des victoires en finales de la Copa América (un but) et de la Coupe du monde (un penalty, un but), Rosario a évidemment vécu le sacre de Doha avec une ferveur toute particulière. Notamment dans le quartier ouvrier de La Ceramica, dans le nord de la ville, à quelques encablures du stade Gigante de Arroyito, l’enceinte sacrée du Club Atlético Rosario Central, où «Angelito» (le «petit ange», l’un de ses multiples surnoms) a fait ses débuts. C’est ici qu’est né et a grandi le «porte-bonheur» du football argentin, titularisé en finale après avoir très peu joué dans les matchs à élimination directe.
Encore plus fou que d’ordinaire
Angel Di Maria a littéralement sa ville dans la peau, comme l’atteste le tatouage qu’il arbore sur son avant-bras gauche: «Naître à La Perdriel [la rue de sa maison d’enfance] est et restera la plus belle chose qui me soit arrivée dans la vie.» L’ancien ailier du PSG, passé à la Juventus Turin cet été, affiche par ailleurs une étoile chinoise sur le mollet, à l’instar d’Alexis Amarillo et de la petite bande de La Ceramica, avec laquelle il n’a jamais coupé les ponts.
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«Je suis très heureux et très fier de lui, confie l’ami d’enfance du «Fideo» (le «spaghetti», autre surnom, en référence à sa silhouette filiforme). Quand il a marqué, j’ai pleuré et plein de choses me sont passées par la tête. Avant la finale, je lui ai envoyé un message pour le remercier pour tout ce qu’il a fait pour la Seleccion et notre pays. Je n’avais jamais vu une telle ambiance à Rosario: les gens montés sur les toits des voitures, accrochés aux feux de signalisation… De la pure folie!»
Et pourtant, la ville de l'entraîneur Marcelo «el loco» Bielsa, celle du derby le plus chaud d’Argentine entre la «lèpre» de Newell’s Old Boys et la «canaille» de Rosario, celle qui rejoue chaque année le 19 décembre un but marqué en 1971, celle encore où a été fondée «l’Eglise maradonienne», a une certaine expérience en passion déraisonnable. «Etre de Rosario est une façon exagérée d'être Argentin», aime à dire un autre célèbre enfant de la ville, l'ancien champion du monde 1986 Jorge Valdano.
Fervent hincha («supporter») de Newell’s Old Boys dont il a défendu les couleurs en même temps que Marcelo Bielsa, Dardo Jara accepte désormais de s’incliner devant la performance XXL réalisée dimanche par Angel Di Maria, enfant du rival honni Rosario Central. «C’est le joueur de potrero (terrain vague) par excellence: il a le dribble, le changement de rythme, le crochet, la malice du joueur de chez nous. Lui et Leo sont des patrimoines de la ville», estime l’ancien défenseur, désormais vendeur de journaux, derrière son kiosque.
Messi n’est pas venu
Pourtant, contrairement aux bruits qui ont couru à l’issue de la finale, et après le chaos des célébrations à Buenos Aires, les héros n’ont pas fêté leur titre avec le peuple rosarino, préférant profiter de ce moment de grâce en famille au sein du Kentucky Club de Campo de Funes, un quartier privé situé à une quinzaine de kilomètres de la ville. C’est ici que Diego Rovira, ancien coéquipier de Leo Messi au sein de la «Maquinita del 87» («le petit train de 1987», leur année de naissance) de Newell’s Old Boys a suivi la finale avec ses amis. «Cette génération a tant souffert… Ce titre est amplement mérité pour eux, ils sont allés le chercher après avoir surmonté plusieurs échecs. J’ai aussi une pensée pour Di Maria, qui n’avait pas pu jouer la finale de 2014 et qui s’est offert une revanche.»
L’ancien joueur d’Elfsborg (deuxième division suédoise) a raccroché les crampons depuis quelques années déjà, mais il n’a pas oublié toutes les passes décisives que lui a délivrées la Puce lorsqu’ils évoluaient ensemble sous le maillot rouge et noir, et les parties de Playstation chez lui, lors desquelles l’actuel capitaine de la Seleccion enfilait toujours le maillot du Barça pour le centenaire que son père lui avait rapporté d’un voyage d’affaires dans la cité catalane. «Depuis le début de sa carrière, Leo fait l’objet d’une comparaison odieuse avec Maradona. Maintenant qu’il a gagné la Coupe du monde comme lui, le débat est clos», martèle ce grand gaillard, désormais spécialisé en marketing.
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Dans le quartier General Las Heras, et en particulier autour de la rue Lavalleja, où se trouve la maison d’enfance de Lionel Messi, de nombreux graffitis rendent hommage au fils prodige de la ville. «Messi 10, d’une autre galaxie et de mon quartier», clame le plus long d’entre eux. Sur la maison familiale, restée propriété des Messi, les riverains ont accroché des banderoles dans la foulée de sa consécration mondiale. «Merci champions, merci Leo, le quartier t’attend», dit la plus imposante d’entre elles.
Ancien voisin du champion du monde, Diego Vallejos a suivi le tournoi en compagnie des habitants du quartier sur le «Campito», le terrain vague où le jeune Leo a effectué ses premières touches de balles. Les déchets de bouteilles en plastique et les fanions qui jonchent le sol attestent de l’euphorie qui a accompagné «une finale interdite aux cardiaques», selon l’expression dorénavant consacrée en Argentine.
Le dernier fantasme
«Je sais que Leo revient parfois, lorsqu’il est à Rosario, raconte Diego Vallejos. Il passe discrètement en voiture devant sa maison, se souvient des bons moments qu’il a passés ici. Alors on a décidé de recouvrir le sol de peinture ciel et blanc, de l’entrée du quartier jusqu’à son ancien domicile, devant lequel on peindra un grand numéro 10, pour faire comme un immense tapis sur lequel il puisse rouler s’il repasse ces jours-ci avant de repartir en Europe, pour lui rendre hommage après nous avoir tant fait rêver.»
Désormais, tout Rosario n’a qu’un fantasme: que Lionel Messi revienne à Newell’s et Angel Di Maria à Rosario Central, pour une dernière danse. «Un clasico avec ces deux-là ce serait merveilleux, s’enthousiasme le kiosquero Dardo Jara. Même si aucun stade ne peut accueillir tous les gens qui voudraient assister à ça…»
Resté proche de la famille Messi et mordu de Newell’s, Diego Schwarzstein fait un appel du pied à son plus célèbre patient. «C’est la dernière chose qui lui reste à vivre avant de raccrocher: jouer en Argentine avec le maillot de Newell’s, son rêve d’enfant. Ce serait merveilleux pour tous les fans de ce club. On l’attend.»