Il y avait un grand absent lors du 17e gala du FC Sion, plus connu comme «la choucroute du FC Sion», samedi soir au CERM de Martigny: le FC Sion. Non pas que les joueurs de l’équipe première aient particulièrement fait défaut – ils avaient congé en cette période de trêve internationale et le régime salaisons-petite arvine leur est de toute façon contre-indiqué; leur absence (seul Gaëtan Karlen était présent) est totalement passée inaperçue. Comme celle du club lui-même.

Aucune banderole dans l’immense halle remplie par des milliers de convives, aucun logo excepté sur les t-shirts jaunes des centaines de serveurs. Aucune évocation dans les quelques discours sur scène des piètres résultats de l’équipe, dernière de Super League. Ce n’était pas le gala du FC Sion mais celui de Christian Constantin.

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Durant toute la soirée, le président-propriétaire a joué tous les rôles, à la fois hôte et invité d’honneur, parlant, chantant, slamant même sur scène. L’hyper-président a été au centre de tous les hommages, sauf de celui qu’il a tenu à rendre à son ami décédé Thierry Saudan, et de toutes les vacheries de l’humoriste Thomas Wiesel. Le chanteur Kendji Girac a fait monter «Christian» sur scène, le duo Kucholl et Veillon a mis en scène «le taulier» dans une parodie de Seul au monde, où CC naufragé et barbu se retrouve sur une île déserte avec son ballon – Wilson devenant «Gelson».

Une bête de scène

Le trio est allé tourner une semaine en Martinique. Autant que le budget de l’opération, le best of de précédentes parodies démontrait, si besoin était, à quel point Constantin est une bête de scène médiatique. Dans la salle, Bertrand Piccard, René Prêtre et Bernard Nicod apprécient en connaisseurs. Il en est parfois touchant, pudique à sa manière lorsque main gauche dans la poche de son smoking et jeu de scène à la Michel Sardou, il déclare son amour et peut-être son intention de passer la main à son fils Bart (Barthélémy).

S’il avait un doute, le nouvel entraîneur David Bettoni sait désormais exactement où il est tombé. Dans un club jouet de son président, lequel peut s’asseoir sur le banc aux côtés de son directeur sportif de fils. Dans un club où le président «a un violoniste sous contrat mais pas de latéral gauche», selon le mot de Thomas Wiesel. Bettoni à peine nommé, Constantin s’est empressé de raconter au Matin sa conversation décisive «avec Zizou», dont Bettoni fut longtemps l’assistant, irritant ainsi Zidane et mettant d’emblée son entraîneur mal à l’aise.

Mais qu’importe. On le comprend bien sur la scène du CERM de Martigny, tandis que valsent les plats de choucroute au-dessus des tables: tout cela n’est qu’un vaste show. Tant pis si le précédent entraîneur, Fabio Celestini, n’a tenu que six matchs, tant pis si l’équipe marchait bien avant l’arrivée fin août de Mario Balotelli. Tant pis si le joueur le mieux payé de Super League impressionne plus par ses absences et ses cartons jaunes (7 fois) que par ses buts (5). Tant pis si Sion n’a plus gagné depuis le 15 octobre.

Le mirage de Las Vegas

Un jour, l’un des anciens entraîneurs de Christian Constantin nous a expliqué comment il parvenait à semer le trouble dans un vestiaire en ravivant des problèmes qui venaient d’être réglés et comment ce faux méchant faisait sentir à des joueurs qu’il surpaye en dépit de sa réputation de dur en affaires que l’entraîneur sautera bien avant eux. Un autre ex nous avait fait prendre conscience qu’à Sion, un entraîneur qui n’a pas de résultat est en danger mais qu’ici, un entraîneur qui a des résultats est aussi en danger, s’il fait de l’ombre au président.

Il faudrait qu’il y ait moins de journées de championnat et plus de soirées de gala. De l’avis des habitués, il y avait samedi un peu moins de monde que d’habitude, et beaucoup moins de politiques. Restaient tout de même «7000 personnes qui bouffent de la choucroute dans un hangar à Martigny et qui ont l’impression d’être à Las Vegas» (Thomas Wiesel). «Il n’y a que lui qui peut réussir ça», soulignait Gelson Fernandes, admiratif. L’ancien joueur, éphémère vice-président du club la saison passée, a même consacré son mémoire de master à la soirée du FC Sion. «J’ai joué dans beaucoup de clubs et je ne connais aucun équivalent en Europe. Cela tient à la personnalité de Christian Constantin, à son réseau, à sa capacité à mélanger les genres.»

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La soirée de samedi était peut-être l’une des dernières, si Constantin met à exécution sa menace de se retirer en juin 2024. Cette année plus que les précédentes, on y a cru. Jusqu’à l’annonce fin janvier dans Le Nouvelliste de son projet de stade à 150 millions, «pour sauver le football professionnel en Valais», pour peu que le canton, la ville de Sion et la Confédération lâchent 50 millions.

Une autre voie possible

«Je ne sais vraiment pas ce qu’il va faire», avouait samedi soir un proche du club, pas loin de penser que «Constantin a plus besoin du FC Sion que le FC Sion de Constantin. Sans lui, le club pourrait vivre différemment, sur le modèle de Saint-Gall ou de Thoune.» Cette frugalité nouvelle tenterait une part croissante de supporters, lassés des coups d’éclat dans l’eau, mais beaucoup moins le principal intéressé.

Samedi soir, il était difficile de sonder les âmes valaisannes sur la question, tant le FC Sion n’était pas au centre des préoccupations. «Les gens viennent pour la qualité de l’événement, pas forcément pour soutenir le club», estimait un élu. Il est vrai que les fêtes sont faites pour oublier les tracas du quotidien. «Moi je suis humoriste, je ne veux pas que tu arrêtes, Christian!», supplia Thomas Wiesel.