Après l’Espagne samedi (défaite 1-0), l’équipe nationale de football retrouve mardi à Cologne (20h45) une Allemagne qu’elle avait contrainte au match nul (1-1) début septembre à Bâle. La Suisse est actuellement dernière de son groupe de qualification pour la Ligue des nations, qui comprend également l’Ukraine. Elle est déjà certaine de ne pas participer au Final Four, auquel elle avait pris part en 2019 à Lisbonne, mais essayera d’éviter la relégation en Ligue B afin de continuer de jouer contre les meilleures équipes d’Europe.

Lire aussi l'article lié: Dis-moi oui, Andi Zeqiri

«Cet automne, soit en amical, soit dans le cadre de la Ligue des nations, nous affrontons la Croatie, l’Espagne, l’Allemagne et la Belgique, souligne Pierluigi Tami, responsable des équipes nationales à l’Association suisse de football (ASF). Ce sont ces matchs qui permettent à l’équipe de progresser. Et le simple fait de pouvoir les disputer montre clairement la nouvelle dimension que nous avons prise. Rester dans le groupe A est très important pour prolonger ce cercle vertueux.»

Les clubs en chute libre

Malgré quelques résultats récents en demi-teinte, l’équipe de Suisse se maintient parmi les meilleures sélections nationales du monde. Qualifiée pour neuf des dix dernières phases finales des compétitions internationales (Euro, Coupe du monde, Ligue des nations), régulièrement présente en huitième de finale, elle se stabilise depuis une dizaine d’années dans le top 20 du classement FIFA (et même dans le top 12 entre 2012 et août 2020) après avoir été 83e en 1998.

Cette permanence à très haut niveau est d’autant plus remarquable que les équipes suisses de clubs sont de moins en moins compétitives sur la scène européenne. Notre championnat élite, la Super League, n’occupe que le 17e rang européen. Le meilleur club au coefficient UEFA est le FC Bâle (24e), dont les mauvais résultats récents sont atténués par le calcul d’une moyenne lissée sur cinq ans. Le pire est à venir, donc, d’autant que Young Boys, qui occupe le 62e rang, vient d’échouer pour la deuxième fois à se qualifier pour la Ligue des champions.

«Il sera de plus en plus difficile pour les clubs suisses de se distinguer en Ligue des champions, voire en Europa League. La réputation de notre football et la visibilité de nos joueurs passeront donc beaucoup par les équipes nationales», observe Mauro Lustrinelli, le sélectionneur de l’équipe nationale M21. L’an dernier, son équipe a battu la France devant 200… recruteurs.

Une filière d’excellence

Comment expliquer cet écart grandissant entre une équipe nationale de plus en plus forte et des clubs qui le sont de moins en moins? Il ne s’agit pas d’un paradoxe helvétique puisque l’on retrouve le même phénomène en Belgique (N° 1 au classement FIFA), au Portugal (5), en Uruguay (6), en Croatie (8) ou aux Pays-Bas (13), où les sélections brillent quand Anderlecht, Benfica, Peñarol, Dinamo Zagreb ou Ajax peinent.

Longtemps, le football de sélection a été le reflet du football de clubs. La base (la masse de joueurs amateurs) déterminait la hauteur de la pyramide. Puis le jeu s’est professionnalisé, les compétences requises sont devenues plus nombreuses et complexes. Trop pour être acquises en autodidacte ou sur le tard. Le haut niveau est devenu une filière à part, sur le modèle des grandes écoles. Jouer en professionnel exige désormais un environnement, des infrastructures, des compétences. Autant de choses que peut fournir une fédération, pour peu qu’elle ait des moyens financiers et une vision claire. La France, premier pays à mettre en place une politique globale de centres de formation, a été copiée par l’Espagne, la Belgique, la Suisse dès 1994, l’Allemagne après 1998.

Récemment, le New York Times a consacré un long reportage à la crise de la formation dans le football argentin. Diagnostic: trop de commerce et d’intérêts immédiats, trop peu de projets de développement des joueurs sur le long terme. Les petits pays d’Europe occidentale ont compris qu’eux ne pouvaient se permettre de gaspiller des talents. Ils ont investi dans des entraîneurs professionnels, dans des formations d’entraîneur, dans des terrains couverts ou synthétiques, dans des échanges avec l’étranger.

Le gâchis à l’étranger

Les meilleurs jeunes ont ainsi progressé, parfois en marge des clubs. A Genève, le canton a continué de «sortir» quantité de professionnels (Bua, Mbabu, Zakaria, Omeragic, Garcia, Frick, Guillemenot, Gonzalez, Dominguez) même quand Servette était moribond.

Le football de clubs est toutefois nécessaire car lui seul permet aux joueurs de jouer chaque semaine et donc de progresser. Les dirigeants du football suisse luttent ainsi depuis des années pour que les jeunes talents passent une année ou deux en Super League avant de partir gagner de l’argent à l’étranger. Le site spécialisé Transfermarkt recense cette saison 150 joueurs suisses en Super League et 190 à l’étranger, dont 101 dans les cinq principaux pays européens (mais parfois en divisions inférieures ou en juniors).

Le risque de déperdition de talents s’est déplacé à l’étranger. C’est une priorité pour l’ASF car les très bons joueurs continuent de faire les très bonnes équipes. Et une très bonne Nati est capitale. «Au-delà même de ses succès, c’est elle qui permet de collecter des revenus, et donc de financer le développement de la discipline et de construire des projets», reconnaît Pierluigi Tami. La pyramide repose désormais sur la pointe.

Collaboration: Lionel Pittet


Chez les femmes, la variable de l’égalité

Dans le football féminin, les sélections les plus performantes sont aussi celles où les fédérations sont les mieux structurées, les mieux dotées et les plus proactives. S’y ajoute un autre critère: la condition féminine. La pratique s’est d’abord développée dans les pays les plus en avance sur les questions d’égalité de genre: la Scandinavie, l’Europe du Nord, le Japon, les Etats-Unis, l’Australie. Les grands pays de football (Italie, Espagne, Angleterre) ont suivi récemment.

Alors que son championnat est encore quasi exclusivement amateur, la Suisse parvient ainsi à se classer au 20e rang mondial par la FIFA, et à exporter de nombreuses joueuses dans les meilleurs clubs européens. On trouve ainsi cette saison Ramona Bachmann au PSG, Ana-Maria Crnogorcevic au FC Barcelone, Alisha Lehmann à West-Ham, Vanessa Bernauer à l’AS Roma ou Noëlle Maritz à Arsenal. Seuls deux clubs suisses, le FC Zurich et Servette, ont des moyens et un projet susceptible de faire revenir certaines internationales.