Cet article fait partie de l’édition spéciale «Les femmes font Le Temps», écrite par une cinquantaine de femmes remarquables, et publiée lundi 6 mars 2017.


Ancienne joueuse internationale, secrétaire générale de la Fédération française de football (FFF), Brigitte Henriques est un symbole de l’essor désormais irréversible que connaît le football féminin depuis quelques années. Elle nous explique les avancées réalisées dans ce domaine, l’engouement qui accompagne les préparatifs de la Coupe du Monde 2019 en France et les obstacles encore nombreux à franchir.

Fatma Samoura: Le football féminin est en pleine expansion à en juger par le nombre croissant de fans et de filles de plus en plus jeunes à pratiquer ce sport jusque-là dominé par les hommes. Mais quid des aspects économiques? Peut-on aujourd’hui parler d’une discipline rentable?

Brigitte Henriques: C’est vrai qu’en France, le football féminin connaît une progression spectaculaire, notamment au niveau du nombre de joueuses licenciées passant de 53 000 en 2011 à 118 000 en 2017. Ce qui signifie qu’il y a aujourd’hui une vraie demande pour la pratique du football. Cet engouement a commencé pour nous à partir de la médiatisation de notre équipe de France lors de la Coupe du Monde 2011. Pour la première fois chez nous, c’est la qualité du jeu et l’accessibilité des joueuses qui ont séduit non seulement les médias mais aussi le grand public.

Après cinq ans, je ne suis pas certaine que l’on puisse parler de discipline rentable, mais aujourd’hui nous sommes à l’équilibre budgétaire pour notre équipe de France à hauteur de 4 millions d’euros. Nos recettes proviennent des droits TV, des sponsors et du ticketing, avec plus de 80% de places payantes.

– Le nombre de licenciées est en constante augmentation. Cet engouement se reflète-il au niveau du public, aussi bien dans les stades qu’à la télévision?

– Lorsque notre équipe de France joue, nos stades sont remplis. Le record est de 25 000 spectateurs et la moyenne d’affluence sur les quatre dernières années est de 12 000. Pour nos clubs de D1, les affluences ont également progressé, allant de 700 à 6 000 parfois, et les demies finales de L’Olympique Lyonnais en Champions League atteignent parfois 22 000 spectateurs. Au niveau des audiences, nous avions eu un pic de cinq millions lors des quarts de finale de la Coupe du Monde au Canada contre l’Allemagne; nos audiences TV sont autour de 500 000 spectateurs. Nous avons aussi deux diffuseurs pour la D1 féminine, Eurosport et France Télévision.

– En France, l’Olympique Lyonnais et le PSG ont investi dans le foot féminin, mais ils font plutôt figure d’exception. A quand une grande compétition de clubs comparable à ce qui se fait au niveau masculin?

– Chez nous effectivement, trois clubs professionnels dominent le championnat, le PSG, l’Olympique Lyonnais et Montpellier, mais d’autres clubs tels que Juvisy, sur le même modèle que Francfort, jouent aussi les hauts de tableau.

En France nous n’en sommes pas à penser le modèle de top league semblable à celui des hommes, les modèles économiques des clubs ayant des sections féminines ou des clubs féminins ne sont pas les mêmes. Même si aujourd’hui et pour la première fois huit clubs de D1 sont issus de clubs professionnels masculins, ce qui est un point positif car cela signifie qu’aujourd’hui nos présidents de clubs professionnels se sont ouverts pour accueillir des sections féminines. Ensuite, comme il n’y a pas de retour économique sur investissement, les budgets restent peu conséquents, parfois moins de 500 000 euros.

– Que pensez-vous des revendications de certaines joueuses qui réclament des revenus égaux à ceux des hommes?

– Je pense qu’aux USA, les revendications des joueuses sont légitimes, parce qu’avec le nombre de titres de l’équipe nationale et ce que cette équipe rapporte économiquement à la Fédération, elles sont dans leur droit de réclamer des revenus plus conséquents. Chez nous c’est différent, les joueuses n’ont pas la même valeur marchande. On ne peut donc pas comparer.

– Dans un peu plus de deux ans, la France va organiser la Coupe du Monde féminine de la FIFA. Peut-on imaginer un impact semblable à l’Euro 2016?

– Vu l’engouement actuel pour le football en France qui reste le sport numéro 1 en termes de licenciés, nous pensons et nous avons déjà anticipé les actions à mettre en place pour accueillir l’afflux de licenciées qu’il y aura après 2019. Nous avons aussi observé que cet événement est très attendu par nos acteurs de terrain, mais aussi par le grand public car il y a un vrai amour pour notre équipe de France féminine et un vrai intérêt pour la qualité du jeu et du spectacle. Pour la promotion de l’événement, nous allons mobiliser tous les établissements scolaires et les universités, toutes les collectivités, les clubs pour que la Coupe du Monde rayonne partout en France et laisse un héritage fort.

– En termes d’organisation, que représente un tel événement pour la France et pour le football féminin en général?

– Cet événement représente en France vraiment la cerise sur le gâteau qui concrétise une vraie révolution de notre discipline depuis 2011. Durant 5 ans, grâce à la politique volontariste de Noël Le Graët et son équipe, nous avons rattrapé notre retard qui était conséquent. 2019 va permettre à la France de devenir une nation de référence et de passer un second cap pour marquer l’histoire du football.

Au-delà du sport, comme notre fédération est citée en exemple aujourd’hui par rapport à la progression spectaculaire de la proportion des femmes dans toutes les familles du football, c’est vrai que 2019 est un rendez-vous social et sociétal important. Avec la visibilité qui est celle de la Coupe du Monde de la FIFA, comme celle de 2015, nous savons que cette Coupe du Monde sera aussi le rendez-vous de la mixité des genres et du sport féminin.

– Malgré tous ces signaux encourageants, le football reste un sport très masculin, particulièrement au niveau de la direction des fédérations et des clubs. Pour obtenir de vrais changements, faut-il imposer des politiques de féminisation, comme vous l’avez fait à la fédération française, voire imposer des quotas?

– Je crois que nous sommes le meilleur exemple pour dire que notre Fédération en n’imposant rien a réussi à faire bouger les lignes. Noël Le Graët a montré l’exemple en nommant pour la première fois des femmes à des postes importants (Florence Hardouin comme Directrice Générale et moi-même comme Secrétaire Générale) et en prenant comme engagement prioritaire durant le mandat de donner un élan décisif au développement du football féminin et à la féminisation du football. Le plan fédéral de féminisation a alors été élaboré avec aucune obligation, juste une invitation à, et non une imposition.

Notre équipe de France a été une excellente vitrine pour l’ensemble de nos acteurs de terrain, ce qui a permis de convaincre et de donner envie. Les quotas crispent souvent les acteurs, car le réservoir de femmes n’est pas toujours identifié, c’est ce que notre Fédération s’est efforcé de faire pendant quatre ans, notamment en identifiant, en valorisant, et en accompagnant toutes les femmes qui désiraient s’engager dans le football – avec par exemple l’action Mesdames franchissez la barrière –, que ce soit les dirigeantes, les éducatrices, les arbitres ou les joueuses.

– Vous affichez un parcours assez exceptionnel pour une femme au sein du football, avec un passage réussi dans l’administration du sport après une carrière de joueuse. Alors que nous allons célébrer la journée internationale de la femme, quel serait votre conseil aux femmes qui ambitionnent une carrière dans le sport?

– Le meilleur conseil serait: vivre sa passion librement jusqu’au bout; considérer qu’être une femme dans un environnement historiquement masculin est une force, car inviter chacun ou chacune à s’ouvrir à la mixité est une belle opportunité d’optimiser ses différences.