Football
Lancée en 2016, testée à partir de 2017, l’assistance vidéo à l’arbitrage (VAR) sera peut-être utilisée lors de la prochaine Coupe du monde. Un vote samedi doit décider de ce tournant historique

Samedi 3 mars à Zurich, le conseil du Board, une instance composée de quatre membres de la FIFA et de représentants des quatre fédérations britanniques, va décider de l’avenir du football. En jeu: l’utilisation ou non de l’assistance vidéo à l’arbitrage (en anglais: video assistant referee, VAR) lors de la prochaine Coupe du monde en Russie. Un vote positif serait une révolution dans un sport extrêmement conservateur dès lors qu’il s’agit de ses règles.
En mars 2016, le Board a autorisé la VAR à titre expérimental et donc, à partir de 2017, les expériences se sont multipliées. D’abord dans des compétitions dépassionnées (Coupe du monde des clubs, Coupe du monde M20), puis dans le football d’élite. On se souvient de sa première utilisation en match international, un amical France-Espagne le 28 mars 2017 à Paris, où le recours à l’assistance vidéo avait annulé un but français accordé par l’arbitre, puis validé un but espagnol signalé à tort hors-jeu. Au lieu de 1-1, il y avait eu 0-2.
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Depuis le début de la saison 2017-2018, la VAR est testée à grande échelle dans les championnats d’Italie et d’Allemagne (lire ci-dessous) mais également en Belgique, aux Pays-Bas, au Portugal, en Australie ou aux Etats-Unis. Plus prudentes, l’Angleterre, la France et l’Espagne limitent les tests aux matches de coupes. En Afrique, où la cherté du système restreint son utilisation, la VAR a récemment supervisé la finale de la Supercoupe d’Afrique.
Partout, le même protocole, édicté en 2016 par le Board, est respecté. L’arbitre assistant vidéo ne peut être sollicité ou intervenir que dans quatre situations de jeu: après un but marqué, sur une situation de penalty, pour un carton rouge direct ou pour corriger une erreur d’identité d’un joueur sanctionné. L’arbitre de terrain peut, s’il le désire, voir lui-même les images, auxquelles les spectateurs n’ont pas accès.
Il y a eu quelques scènes cocasses, comme ce drapeau, au Portugal, déployé devant la caméra juste sur l’action d’un hors-jeu impossible à juger. D’autres plus confuses, comme ce carton jaune puis rouge adressé à Sébastien Siani puis finalement à son coéquipier Ernest Mabouka lors du match Allemagne-Cameroun (Coupe des confédérations 2017). D’autres enfin franchement problématiques, telle cette action de la finale de la Supercoupe des Pays-Bas, où l’arbitre annule un but marqué sur contre-attaque par Feyenoord pour traverser tout le terrain et finalement donner… penalty pour Vitesse Arnhem.
Quelque chose de définitif
Nous voici donc, à nouveau en mars, au début de l’acte 3. Cette fois, il faut transformer l’essai. Appliquer l’assistance vidéo à l’arbitrage de la prochaine Coupe du monde aurait quelque chose de définitif, tout le monde en est bien conscient.
Depuis Hanoï, Gianni Infantino s’est dit «confiant» (sic) dans l’attente de la décision du Board. «En 2018, nous ne pouvons plus nous permettre que tous les gens dans le stade ou devant un écran de télévision puissent voir en quelques minutes si l’arbitre a fait une grosse erreur ou pas, et que le seul qui ne puisse pas le voir soit l’arbitre», estime le président de la FIFA, principal initiateur de cette réforme.
Ce n’est pas l’avis de l’UEFA. Lundi, le président de l’Union européenne de football, le Slovène Aleksander Ceferin, a reporté d’au moins une année l’introduction de la VAR en Ligue des champions. «Personne ne sait encore exactement comment ça marche. Il y a encore beaucoup de confusion», a-t-il souligné, assez justement.
Blatter sort de son silence
D’autres en Suisse s’élèvent contre une décision qu’ils estimeraient précipitée. «On va envoyer en Russie des arbitres qui n’ont jamais travaillé avec la VAR», s’inquiétait en janvier l’ancien arbitre international suisse Urs Meier. «La Coupe du monde ne peut pas être un terrain d’expérimentation pour un changement aussi fondamental que le VAR», a twitté ce jeudi Sepp Blatter.
A Sotchi, où ils préparent la Coupe du monde, les encadrements des 32 équipes qualifiées ont participé à un débat sur la VAR mené par le Tessinois Massimo Busacca (désormais chef de l’arbitrage à la FIFA). La plupart accueilleraient favorablement un appui de la vidéo. «Cela réduira le nombre d’erreurs d’arbitrage», estime le Français Guy Stéphan, adjoint de Didier Deschamps. «C’est quelque chose qui rend le jeu plus juste», pour Manuel Suarez (Arabie saoudite), qui «améliore le football», selon l’Uruguayen Celso Otero. «C’est la nouvelle vie, le monde moderne», résume le Portugais Carlos Queiroz, le sélectionneur de l’Iran.
Le match est une aventure
Comme souvent dans le football, il y a autant d’avis que de personnes. José Mourinho résume assez bien cet imbroglio. Le coach de Manchester United s’est en effet déclaré favorable à l’idée de «placer les arbitres dans les meilleures conditions possibles» mais réclame «des ajustements» pour préserver «la dynamique» et «l’émotion» des matches. Ce qui revient à être contre en pensant être pour. Car le problème de la VAR – que Michel Platini, farouche opposant, avait depuis longtemps identifié – c’est qu’elle impose un rythme qui n’est pas celui du match. «J’ai l’impression de faire du water-polo», a pesté Gigi Buffon.
Le tennis vit très bien avec les coupures vidéo (même si une manie récente de demander le challenge sur balle de match nous a saboté quelques belles émotions). C’est parce qu’un match de tennis est une construction. Le match de football, lui, est une aventure, une improvisation qui ne regarde jamais en arrière.
Le principal enseignement de ces longs mois d’essais est que l’arbitrage vidéo a échoué à faire taire les polémiques. On continue de contester, de débattre. Non plus seulement du penalty sifflé ou du hors-jeu non signalé mais désormais de l’interprétation de l’arbitre, de son recours ou non à la VAR. Un attaquant qui exagère un contact dans la surface de réparation sera toujours un casse-tête pour un arbitre, avec ou sans vidéo. Et il y a toujours quelqu’un pour crier: «Au voleur! au voleur! à l’assassin! au meurtrier! Justice, juste ciel! Je suis perdu, je suis assassiné!»
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En Allemagne, la vidéo semble vouée à l’échec. Utilisée depuis le début de cette saison, elle provoque d’innombrables polémiques qui dominent les débats lors des tables rondes. Lorsque l’arbitre a recours à elle, des assistants visionnent la scène en question depuis une antichambre à Cologne avant de rendre leur verdict au bout d’une à deux minutes. Autant dire que sur les pelouses de Bundesliga, les émotions jouent un rôle de moins en moins évident. «A chaque fois que je marque, je me demande si le but est accordé ou pas, peste Kevin Volland, l’attaquant du Bayer Leverkusen. Du coup, je ne peux pas vraiment savourer cet instant.»
Certains techniciens allemands avaient même espéré que la vidéo soit abandonnée dès cet hiver, à l’image de Dieter Hecking, l’entraîneur du Borussia Mönchengladbach. En vain. «Je pensais vraiment que le recours à la vidéo serait de courte durée, confie le coach allemand. Mais il faut aussi que tous les acteurs, joueurs comme entraîneurs, fassent preuve de plus de patience et de tolérance, même si elle a tendance à hacher le jeu.» Pour Christian Streich, l’entraîneur du SC Fribourg, il faudrait tout simplement «supprimer la vidéo, car la fluidité du jeu en pâtit énormément».
Au départ, des études avaient démontré que deux recours en moyenne par journée en cas de situation litigieuse seraient effectués. Au final, c’est bien plus souvent que les arbitres s’en servent, et souvent lors de scènes de jeu banales, entre deux et trois fois par… match. Même le président de la fédération allemande s’en est mêlé. «La vidéo doit permettre moins d’injustices et nous dresserons le bilan à la fin de la saison, mais il faut que ce soit l’arbitre qui ait le dernier mot et non pas ceux qui sont assis derrière leur télévision», martelait Reinhard Grindel, visant l’antichambre de Cologne.
En tout état de cause, revenir en arrière et cesser le recours à la vidéo n’est pas à l’ordre du jour. «Dans une saison, plus de cinquante injustices sont évitées grâce à la vidéo», rappelle Helmut Krug, le patron des arbitres allemands.
Alexis Menuge, Munich.
Historiquement obsédée par les prestations de ses arbitres, l’Italie a toujours tenu à être à l’avant-garde dans ce secteur, ce qui fait peut-être d’elle la meilleure école du monde. Déjà en tête de file quand il a fallu expérimenter puis valider les juges de surface de réparation, la fédération s’est immédiatement proposée pour tester la vidéo. D’abord une saison «offline» en guise de test l’an passé, puis la mise en place depuis l’été dernier.
A chaque rencontre de Serie A et de Coupe d’Italie, deux arbitres en activité accompagnent leurs collègues et s’installent dans une salle au sein du stade ou dans une camionnette à ses abords. Le penalty sifflé en faveur de Cagliari et contre la Juventus lors du tout premier match de la saison fut la première intervention du VAR. S’ensuivront 1077 autres lors de la phase aller de la Serie A, y compris les «silent checks», qui ne nécessitent pas l’arrêt de la rencontre. Soixante décisions arbitrales ont été corrigées dont 11 de façon erronée.
Selon ces chiffres officiels divulgués par l’AIA (Association italienne des arbitres), le pourcentage d’erreur est ainsi passé de 5,6% à 1% grâce à la vidéo, tandis que simulations et cartons sont en forte baisse et ceux pour protestations carrément éradiqués. Cela n’a cependant pas effacé les nombreuses polémiques sur son utilisation, ou plutôt sa non-utilisation, d’autant que la Juventus et le Napoli sont protagonistes d’un mano a mano de haute voltige. Quelques gros loupés ont fait la une des journaux et obligé les responsables à retoucher quelques directives, or la machine ne peut se substituer à la part d’interprétation des règles des hommes en noir.
Les mains dans la surface étant le cas le plus délicat, après un Lazio-Torino, le président de la formation romaine a même menacé de retirer son équipe. Malgré tout, ce nouvel outil a été accueilli favorablement au point que la FIFA fera former les arbitres de la prochaine Coupe du Monde au Centre technique de Coverciano.
Valentin Pauluzzi, Milan, @vpauluzzi.