Venue d’Italie, la révolution du sifflet
Football
Deux Italiens, Pierluigi Collina et Roberto Rosetti, occupent le poste de responsable des arbitres à la FIFA et à l’UEFA. Une mainmise qui peut interpeller, mais qui s’explique par le fait que l’Italie est à la fois pionnière et référence en la matière

Les supporters anglais n’en reviennent toujours pas. Jeudi soir, un but de Jesse Lingard qui aurait dû envoyer leur équipe préférée en finale de la Ligue des nations a été refusé, après usage de l’assistance vidéo à l’arbitrage (VAR), pour un hors-jeu de quelques centimètres. La veille, la même VAR offrait à l’équipe de Suisse le penalty de l’égalisation contre le Portugal, alors que le jeu avait initialement été arrêté pour une faute de Fabian Schär dans sa surface de réparation…
Au sujet de ces deux matches
Et revoilà les directeurs de jeu au cœur des débats. Moins pour les décisions de l’Allemand Felix Brych (Portugal-Suisse) et du Français Clément Turpin (Angleterre-Pays-Bas) que pour les aspects plus systémiques de la révolution technologique de l’arbitrage, que portent actuellement deux hommes: Pierluigi Collina à la FIFA et Roberto Rosetti à l’UEFA. Deux Italiens. Et ce n’est pas un hasard, tant le pays s’est imposé comme une référence en matière de sifflet.
Voici le palmarès des arbitres transalpins: trois finales de la Coupe du monde, trois de l’Euro, sept de la Ligue des champions et cinq de la Ligue Europa (ou anciennement Coupe de l’UEFA), dont la dernière entre Chelsea et Arsenal. Impressionnant, surtout si l’on considère que la «Nazionale» et les clubs italiens ont aussi trusté bon nombre de finales – et donc empêché la présence d’arbitres de la botte. Ces statistiques illustrent bien la mainmise de l’Italie sur l’arbitrage, qui ne découle pas du hasard.
Série de réformes
A l’origine de l’histoire se trouve Paolo Casarin. Il n’a jamais arbitré la finale d’une compétition majeure, mais a exercé en Serie A de 1971 et 1988 et a été international les neuf dernières années de sa carrière. «Je n’étais pas l’arbitre du pouvoir mais du jeu; je préférais le dialogue à l’autoritarisme», retrace celui qui file vers ses 80 ans et reste une figure très présente dans les médias.
Travailleur détaché d’une raffinerie dans le civil, il avait pu visiter une centaine de pays et développer une perception globale du monde lui permettant d’intégrer le comité d’organisation du Mondial 90 en Italie. «Une compétition négative pour des arbitres mal préparés, avec beaucoup d’erreurs, de fautes violentes, et la TV qui mettait tout en évidence. Ce n’était plus comme vingt ans auparavant lorsqu’on faisait ce qu’on voulait. Le public commençait à comprendre la vraie portée des erreurs.»
Dans la foulée du tournoi, João Havelange et Sepp Blatter, respectivement président et secrétaire général de la FIFA, adoubent l’Italien en tant que responsable de l’arbitrage et lui donnent quartier libre pour réformer le domaine. Il s’en donne à cœur joie: spécialisation des juges de touche («qui se trompaient de trois mètres, l’arbitre ne suffisait plus»), interdiction pour le gardien de prendre le ballon à la main sur une passe en retrait («il pouvait tenir le ballon 10% du temps de jeu»), introduction du hors-jeu passif («on est passé de quinze à trois hors-jeu par match») et de l’expulsion en cas d’interruption d’une franche occasion de but. «Tout a été fait en faveur du jeu, la moyenne de buts par match est remontée à 2,70-2,90. Le Mondial suivant se déroulait aux Etats-Unis, où le score de 0-0 n’existe pas. C’était aussi un enjeu», révèle-t-il.
Le poids de la géopolitique
Surtout, Paolo Casarin transforme physiquement ses hommes, à commencer par les Italiens, qu’il administre également: «Le jeu devenait plus rapide. On a ouvert un centre dans chaque région, avec un coach dédié. L’Italie était perçue comme le pays qui façonnait le nouvel arbitre. Lennart Johansson, président de l’UEFA, m’avait confié qu’il était surpris d’apprendre que je payais mes arbitres pour courir…»
Le natif de Mestre a chamboulé les habitudes. «Mais ce fut compliqué. Je passais pour l’emmerdeur de service, car j’étudiais beaucoup, je faisais les statistiques moi-même. Il fallait un football adapté à la télé. Les Sud-Américains étaient les plus têtus, car ils étaient persuadés de commander. «Tu ne commandes que dalle, les gens viennent voir Maradona, pas toi», je leur disais. Un arbitre qui refusait d’accorder le moindre penalty prenait la porte. Les fous ne m’intéressaient pas. Chacun voulait officier à sa façon, mais je m’en foutais: il fallait se mettre à faire selon les instructions de la FIFA.»
Paolo Casarin a aussi limité le poids de la géopolitique concernant les désignations des arbitres: «Cela a été une de mes grandes batailles. En 1995, j’ai fait diriger la finale de la Ligue des champions par le Roumain Ion Craciunescu, quelque chose d’impensable à l’époque. Il y a bien une raison pour laquelle on m’a remercié en 2000…»
Favoritisme?
L’Italie revient aux affaires en 2010, lorsque Michel Platini nomme Pierluigi Collina, considéré comme le meilleur sifflet de tous les temps, à la tête des arbitres de l’UEFA. En 2017, il hérite du même rôle à la FIFA. En 2018 lui succède Roberto Rosetti à l’UEFA. Les deux Italiens ont été formés par Paolo Casarin dans les années 90. La filiation est indéniable, le parcours idéal. Collina avait drivé les arbitres de Serie A de 2007 à 2010, son compère ceux de Serie B, puis les Russes, dans l’optique de former un sifflet de haut niveau en vue du Mondial à domicile. Ce serait Sergei Karasev.
Un article sur le fonctionnement du corps arbitral lors d’un grand tournoi: La 25e équipe de l’Euro 2016
Le futur responsable de l’UEFA renonce alors à deux ans d’un riche contrat pour rentrer au bercail s’occuper des arbitres de Serie C. Deux ans plus tard, il est chargé d’introduire la VAR dans une Italie une nouvelle fois à l’avant-garde en la matière.
Cette mainmise transalpine sur un secteur du jeu aussi primordial est-elle bien raisonnable? «Cela fait dix ans qu’une équipe italienne ne gagne pas la Ligue des champions, vingt qu’elle ne gagne pas la Ligue Europa, et la Nazionale a été absente du Mondial. En outre, il n’y a que deux arbitres italiens contre quatre Espagnols parmi la catégorie élite. Ça ôte les soupçons de copinage», glisse l’ancien arbitre Luca Marelli.
Mieux, ces dernières saisons, Pierluigi Collina a été accusé par de nombreux dirigeants de clubs transalpins de ne pas envoyer des arbitres à la hauteur pour ne pas être taxé de favoritisme. L’an passé, Andrea Agnelli, président de la Juventus, avait réclamé sa tête après le quart de finale retour de la Ligue des champions qui avait vu son équipe privée de prolongation face au Real Madrid suite à un penalty controversé. Hasard ou coïncidence, le plus célèbre chauve du monde du football a démissionné deux mois plus tard. Les questions d’arbitrage, décidément l’apanage des Italiens.