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A Winterthour, le pari du football équitable

Mi-juillet, le club zurichois de Challenge League accueillait les Anglais du FC United of Manchester, fondé par des fans déçus de Manchester United, pour un match amical à portée militante

Le FC Winterthour et le FC United of Manchester saluent la foule comme une seule et même équipe. — © Pittet Lionel (pii)
Le FC Winterthour et le FC United of Manchester saluent la foule comme une seule et même équipe. — © Pittet Lionel (pii)

Coup de sifflet final. Les joueurs des deux formations échangent leurs maillots, se donnent l’accolade. Puis, comme une seule et même équipe, s’en vont saluer le public dans l’angle où s’étaient massés – à quelques mètres l’un de l’autre – les deux kops. En cette chaude fin d’après-midi de juillet à la Schützenwiese, il n’y a qu’un vainqueur: le véritable esprit du football. Ou plutôt, comme imprimé en blanc sur rouge sur le programme du match: «The true spirit of football.»

A une semaine de la reprise du championnat de Challenge League, le FC Winterthour accueillait un club à l’histoire très spéciale: le FC United of Manchester. Fondé en 2005 par des supporters déçus du virage foot-business pris par Manchester United, il a vu son équipe fanion grimpé un à un les échelons de la hiérarchie jusqu’à atteindre la National League North, l’équivalent de la sixième division anglaise.

Véritable portée militante

«Nos joueurs sont charpentiers ou dépanneurs informatiques à plein-temps, et ils jouent au football le soir», décrit Vinny Thompson, qui fait «de la promotion et d’autres trucs» pour le club. Ces footballeurs défrayés mais amateurs n’ont pas fait le poids face aux pros de Winterthour. Il y avait 4-0 après une demi-heure de jeu, 4-2 au final avec le frein à main tiré. A défaut de permettre à l’entraîneur Sven Christ de tirer de grands enseignements, les 90 minutes disputées ce samedi-là avaient une véritable portée militante.

Aux yeux du monde du football, le FC United of Manchester incarne un symbole fort. Un bastion, comme le FC Sankt-Pauli, dans la banlieue de Hambourg. Les Allemands aussi sont venus jouer à la Schützenwiese. Trois fois. Car le FC Winterthour se veut le pendant helvétique de ces clubs à l’esprit alternatif. «Nous avons des histoires différentes et nous évoluons à des niveaux différents, mais nous partageons une même optique», estime Andreas Mösli.

Notre volonté, c’est de mettre la culture football en avant par rapport à sa dimension commerciale.

Manager du club zurichois depuis 2003, il ressemble davantage à un musicien de groupe de rock qu’à un dirigeant de club de football. «Notre volonté, c’est de mettre la culture football en avant par rapport à sa dimension commerciale, explique-t-il. Avant de prendre une décision, on se demande uniquement si elle sera profitable aux spectateurs. C’est central.» Conformément aux règlements de la Swiss Football League, le FC Winterthour est organisé en société anonyme. Mais chaque mois, un parlement des fans se réunit et fait parvenir ses positions aux dirigeants. «Notre leitmotiv, c’est d’être un club au service des gens de Winterthour, pas d’un investisseur quelconque.»

© Pittet Lionel (pii)
© Pittet Lionel (pii)

Un club pour contrer le football «immoral»

Le football par et pour les fans: c’est exactement le credo du FC United of Manchester. En 2005, l’arrivée au pouvoir de l’homme d’affaires américain Malcolm Glazer a cristallisé toutes les frustrations d’une certaine frange de supporters, qui décident de dire stop. «Mais en fait, ce n’était même pas Glazer le problème. C’était plus profond», lance Vinny Thompson. C’est tout le rapport du football à l’argent qui est remis en cause: la hausse du prix des places, les sommes folles échangées sur le marché des transferts, les salaires astronomiques des stars du ballon rond. «Tout cela est immoral, continue l’Anglais. Le football moderne est un château de cartes qui va finir par s’effondrer. Ce n’est pas possible autrement.»

Depuis sa fondation, le FC United of Manchester se persuade qu’une autre voie est possible. Le club est dirigé par ses supporters, sur le principe du «one man, one vote», et les membres de la direction sont élus démocratiquement. «Mais ce n’est pas tout: les supporters prennent des tas de décisions, du prix des places au design des maillots», précise Vinny Thompson. Et la recette a un certain succès. Avec 3400 supporters par match la saison dernière, le club affichait la quatrième meilleure affluence moyenne du «non league football» anglais, qui désigne les divisions qui ne sont pas 100% professionnelles (soit au-delà de la quatrième). Il a en outre pu financer la construction de son propre stade, Broadhurst Park, inauguré en 2015.

Moi, j’aimerais aller en Premier League. Ce ne sera peut-être pas de mon vivant. Mais plus haut nous irons, plus notre message aura de la résonance.

Sportivement parlant, le FC United ne se fixe pas de limite. «Moi, j’aimerais aller en Premier League, lâche sans rire Vinny Thompson. Ce ne sera peut-être pas de mon vivant. Mais plus haut nous irons, plus notre message aura de la résonance. Pour l’instant, la Fédération se fiche de nous, mais vous savez quoi? Elle va bien finir par nous écouter. Et en attendant, nous vivons en respectant nos principes à 100%.»

Familles, punks et dandys alternos

A la Schützenwiese, les (nombreux) supporters-propriétaires du FCUM se sentent comme chez eux. Autour de la pelouse, impossible de passer à côté du caractère social du FC Winterthour. L’accueil tient plus de la zone restauration d’un festival que d’une buvette de stade de foot, avec ses foodtrucks et ses bars à cocktails, et il y a ces pancartes çà et là. L’une d’elle annonce le lancement d’une campagne de crowdfunding pour compenser la perte du sponsoring d’un ancien fournisseur de café, recalé car le club veut miser sur le commerce équitable en la matière.

Plus loin, une banderole clame les vertus de l’intégration. «La semaine dernière, nous avons organisé un tournoi de football avec des équipes de réfugiés, des Roms et des gens de Winterthour», nous glisse Andreas Mösli. Dans les tribunes se mêlent familles, punks et dandys alternos. La «Sirupkurve» accueille les enfants. Le Salon Erika propose des expos dans l’enceinte du stade.

Et les joueurs dans tout cela? Viennent-ils au FC Winterthour parce qu’ils adhèrent à ses principes? Sourire. «Les jeunes footballeurs, ils veulent juste jouer. Et s’ils sont bons, ils veulent jouer plus haut», glisse le manager. Mais ils doivent tout de même se reconnaître dans la «charte sociale» du club, qui prône la lutte contre la discrimination, la tolérance, l’ouverture aux plus défavorisés, etc. «A United, on essaie d’éduquer les joueurs, de les sensibiliser à notre démarche, lance de son côté Vinny Thompson. Et pour les motiver à jouer chez nous plutôt qu’ailleurs, il n’y a pas de gros sous, mais la promesse d’expériences qu’ils n’auront pas ailleurs, comme l’assurance de jouer devant un public nombreux. Et nos voyages à l’étranger.»

Car chaque année, le FC United of Manchester est invité à jouer loin de son île. «C’est important, car c’est l’occasion de faire passer notre message. C’est de montrer qu’il y a une autre manière de faire les choses.» Bien plus que de ressasser de quelconques vieilles rancœurs vis-à-vis de Manchester United. D’ailleurs, la plupart des membres du club restent des fans des Red Devils, Vinny Thompson le premier. «Et pour toujours! Mais je ne paierai plus pour ça.»