Zinédine Zidane est un homme de parole. Alors entraîneur de la Castilla, la réserve du Real Madrid, l’ancien meneur de jeu légendaire de l’équipe de France avait promis à son ancien agent Alain Migliaccio - installé à Lausanne – de venir sur les bords du Léman donner un entraînement à des jeunes footballeurs vaudois, pour l’association Passion Foot, fraîchement créée pour donner un coup de pouce à la formation locale. L’événement était prévu pour le mois de février. Mais entre-temps, «Zizou» s’est retrouvé propulsé à la tête de la première équipe madrilène, avec pour conséquence de devoir quelque peu redéfinir ses priorités… Mais neuf mois après ses débuts comme entraîneur d’un grand club et quatre mois après avoir remporté la Ligue des champions, il a honoré son engagement lundi en fin d’après-midi.

Et Zinédine Zidane peut aussi être un homme de parole, même s’il a la réputation d’être peu bavard et discret. Quelques heures avant d’entrer sur le terrain, il s’est présenté dans la salle de presse de La Pontaise souriant et très ouvert, répondant à toutes les questions pendant 45 minutes. Alors que les médias espagnols l’égratignaient après un troisième match nul en Liga, ce week-end contre Eibar (1-1), il a profité de la bienveillance de journalistes suisses ravis d’accueillir pareille icône pour se raconter en toute décontraction. Morceaux choisis d’un «dialogue» à plusieurs voix.

Le Temps: Vous avez l’habitude d’entraîner des stars, mais ce sont des enfants de 13 ans qui vous attendent sur le terrain aujourd’hui. Qu’est-ce que cela change?

Zinédine Zidane: Pour moi, ce qui est essentiel, pour des enfants de cet âge-là, c’est le plaisir de jouer. Bien sûr, tous les jeunes rêvent sans doute de signer un jour dans un grand club et il faut s’appliquer, écouter l’entraîneur. Cet après-midi, je vais leur montrer deux ou trois choses et j’espère qu’ils vont les retenir. Mais l’important, c’est de passer du bon temps avec les copains.

- Il vous manque, ce plaisir de jouer?

- Je l’ai encore! Dans ma position, je n’ai pas toujours l’occasion de faire ce que je veux, d’aller jouer avec les copains… Mais à l’entraînement, j’essaie régulièrement de participer aux exercices, chaque fois que c’est possible. Et comme techniquement, je ne suis pas trop mauvais, cela se passe plutôt bien. Mais des fois, je souffre…

- Les stars que vous entraînez conservent-elles un peu de leur esprit d’enfant?

- Bien sûr, je l’observe au quotidien. Actuellement, l’ambiance est un peu moins légère car nous traversons une petite période compliquée, avec trois matches nuls en championnat, mais mes joueurs restent de vrais gamins. Dans le cas de Cristiano (Ronaldo) par exemple, c’est clair. Il veut tout le temps marquer, gagner ses matches, même à l’entraînement!

- Quelle importance accordez-vous à l’image que renvoient vos joueurs au public?

- Nous sommes des exemples et nous devons nous comporter comme tels, c’est primordial. Maintenant, cela fait huit mois que j’apprends à connaître mes joueurs et, sans que cela soit une surprise, je suis content de ce que je vois. Ils s’occupent d’associations, de clubs… Ils ont de vraies valeurs.

- En devenant entraîneur, avez-vous appris des choses sur vous-même?

- En fait, j’ai gardé les mêmes principes que lorsque je jouais. Je crois beaucoup au travail quotidien. Je suis convaincu que j’ai besoin de progresser au jour le jour. J’ai un staff très compétent, qui m’aide beaucoup pour cela. En plus, j’ai l’avantage d’évoluer dans un univers que je connais bien: je suis arrivé au Real Madrid en 2001 déjà…

- Certains entraîneurs vivent mal la pression qui existe dans des clubs de ce niveau.

- C’est vrai que la pression quotidienne est importante. Ce n’est pas de tout repos. Je la connaissais déjà en tant que joueur, même si c’est moins compliqué, mais de toute façon, j’adore ça.

- Quelle importance vos propres entraîneurs ont-ils eu sur votre carrière?

J’ai eu la chance d’avoir de très grands entraîneurs. Guy Lacombe, pour commencer, qui m’a beaucoup appris. Marcello Lippi, à la Juventus, pour la tactique. Vicente Del Bosque, au Real Madrid, pour la science du jeu. Aimé Jacquet, en équipe de France, pour un peu tout. En m’inspirant de tout cela, j’essaie de faire du Zidane. Un exemple: joueur, je ne supportais pas de rester une heure enfermé dans une salle pour faire de la vidéo. Alors, aujourd’hui, la vidéo, cela ne dure jamais une heure avec moi. Quand j’interviens auprès de mes joueurs, j’essaie d’avoir deux ou trois messages forts, et c’est tout. Sinon, après, ils ne retiennent rien.

- Vous êtes aujourd’hui connu comme l’un des meilleurs footballeurs de l’histoire. Auriez-vous pu échouer à cause d’un mauvais choix ou l’autre?

- Bien sûr, cela peut aller très vite. Moi, j’ai eu la chance de jouer dans tous les clubs où j’ai été. Un très bon joueur qui se retrouve dans une équipe où il n’est pas aligné, cela peut vite devenir compliqué. De mon côté, je crois que j’ai pris mon temps. Je n’ai connu que deux clubs en France (Cannes, Bordeaux) et deux à l’étranger (Juventus, Real Madrid). C’est tout. Pourtant, dans ma carrière, j’ai eu beaucoup de propositions lucratives. Mais il ne faut pas se laisser dicter ses choix par l’argent. Après Cannes, j’aurais pu aller à Marseille. Mais je savais que ce n’était pas une bonne idée. A Marseille, j’avais la famille, les amis, et quand on veut faire une carrière, on doit pouvoir se concentrer complètement sur cet objectif. Mais ça aurait été sympa de jouer à Marseille…

- Accepteriez-vous d’y aller comme entraîneur?

- Pour l’instant, je suis au Real Madrid et j’en suis très content.

- Que savez-vous du Lausanne-Sport?

- Pour être franc, pas grand-chose. Je suis très concentré au quotidien sur ce que j’ai à faire à Madrid. Mais je connais très bien l’entraîneur Fabio Celestini, de l’époque où il jouait à Getafe (un club de l’agglomération madrilène) et moi au Real Madrid. Nos enfants évoluaient dans le même petit club. Il fait des très bonnes choses comme à Lausanne, et je ne suis pas surpris. Je sais que c’est quelqu’un qui ne compte pas ses heures et, déjà sur le terrain, il avait cette envie de diriger. C’est un peu un magicien.


Zidane, icône transgénérationnelle

Les joueurs du Lausanne-Sport avaient de quoi être un peu jaloux lundi après-midi. Au lendemain de leur victoire contre Lugano (4-1), dimanche, devant 3670 spectateurs, il y en avait un peu plus – selon les habitués des lieux – pour assister à un entraînement de la sélection cantonale vaudoise M14. Et pour cause: Zinédine Zidane était là pour encadrer la séance, donner quelques ballons et quelques conseils.

Dans la tribune ouverte pour l’occasion, il y avait de tout: des représentants des autorités, des groupes de jeunes, des personnes âgées, des filles, des familles. Les plus jeunes – dont ceux qui foulaient la pelouse de la Pontaise sous ses ordres – n’étaient pas nés lorsque «Zizou» plantait deux buts en finale de la Coupe du monde 1998. A un journaliste qui lui demandait s’il était conscient que, pour ceux-ci, il était peut-être plus connu comme entraîneur du Real Madrid que comme ancien joueur, le Français avait répondu en rigolant qu’il n’était peut-être «même pas connu en tant qu’entraîneur». Du bluff: Lausanne lui a bien renvoyé l’image d’une véritable icône transgénérationnelle.