Football
Alors que l'Islande vient de créer l'exploit en sortant les Anglais de l'Euro de football, nous republions cette chronique de notre consultant Stéphane Henchoz datant de septembre 2015. Fin connaisseur de la Premier League, l'ancien joueur suisse pointait déjà les faiblesses structurelles du sport anglais

En phase finale, face à des adversaires qui savent jouer au football, les Anglais risquent une fois de plus de tomber de haut. La vérité est que l’équipe d’Angleterre ne fait pas partie du top 8 mondial.
Le problème des Anglais est simple: le réservoir de joueurs du niveau international est insuffisant. En France, Didier Deschamps peut choisir 30 joueurs régulièrement alignés dans les 15 meilleurs clubs du monde. Roy Hodgson, lui, ne peut compter que sur six ou sept Anglais titulaires; les autres sont remplaçants, comme Walcott, Oxlade-Chamberlain ou Welbeck à Arsenal. Aucun ne joue à l’étranger, aucun ne s’est jamais frotté à un autre football, à une autre culture, peu ont l’expérience d’être un pilier dans un club. Pourquoi? Là encore, la réponse est simple: parce qu’ils ne sont pas assez bons.
Lacunes de la formation
Dans le cadre de mon diplôme d’entraîneur, j’ai rédigé il y a deux ans un mémoire sur les joueurs étrangers dans le football anglais. J’avais trouvé 71% d’étrangers dans les contingents de Premier League, et encore 58% en Championship. Il y avait à la même époque 32% de joueurs étrangers dans la Liga espagnole, 50% en Bundesliga et 60% dans le Calcio. Récemment, on a recensé 70% d’étrangers titulaires en Premier League. Pourquoi 70% en Angleterre et seulement 30% en Espagne? Parce que les jeunes joueurs espagnols sont bien formés, et les anglais non.
Tous les entraîneurs du monde fonctionnent sur le même modèle: ils savent qu’ils n’ont une visibilité que de dix à douze jours. Trois ou quatre matches. Celui qui les perd est viré. Cela enlève toute place pour le sentiment national. Lorsque vous avez d’un côté un jeune joueur anglais et, de l’autre, un gars de Lorient ou de Malaga qui coûte trois ou quatre fois moins cher et qui en plus est mieux formé techniquement, physiquement, tactiquement et mentalement, le choix est vite fait. A 18 ans, le joueur anglais ne maîtrise pas les fondamentaux. La première touche de balle, le positionnement du corps, la précision de la passe; toutes ces choses élémentaires au plus haut niveau ne sont pas acquises.
Les limites du fighting spirit
Les Anglais ont longtemps vécu de leur supériorité dans les domaines du physique et du mental. Longtemps, on a valorisé la culture du fighting spirit. Les recruteurs privilégiaient les joueurs costauds, puissants et rapides au détriment des petits gabarits, le public applaudissait les tacles, les arbitres étaient très tolérants dans les duels. Depuis, les autres pays ont largement comblé leur retard sur l’aspect physique. Quant au fameux «mental» des Anglais, il n’est pas à toute épreuve. On voit bien lorsqu’un Anglais part jouer à l’étranger qu’il éprouve beaucoup de difficultés à s’acclimater. Sorti de sa zone de confort (courir, tacler, presser), il est vite déstabilisé dès lors que l’entraîneur lui demande autre chose (temporiser, faire jouer l’adversaire), parce qu’on ne lui a rien appris d’autre.
L’autre grand problème de la formation en Angleterre, c’est que la vie est beaucoup trop facile beaucoup trop tôt pour les jeunes espoirs. Sur le parking d’un match M18, vous pouvez compter l’alignement de Range Rover, Mercedes, BMW alors que ces gars n’ont souvent pas encore le permis. A 17 ou 18 ans, certains signent des contrats de quatre ou cinq ans à 300 000 ou 400 000 francs par saison alors qu’ils ont zéro match en Premier League, et parfois même zéro match en réserve! A Pâques, j’ai passé une semaine à l’Academy de Liverpool. Je regardais les entraînements et, clairement, un jeune joueur d’une douzaine d’années sortait du lot. Un des entraîneurs m’a expliqué que Manchester City avait proposé 60 000 francs pour l’engager. Le double du salaire annuel de son père, électricien! C’est totalement déraisonnable mais il y a tellement d’argent que les clubs peuvent se le permettre. Et tant pis si le gamin arrête le foot à 14 ans quand il ne supportera plus de s’entraîner tous les jours ou d’être devenu un soutien de famille.
Ceux qui persévèrent ne sont pas arrivés pour autant. A 18 ou 19 ans, beaucoup de jeunes sont prêtés parce que le «gap» des équipes juniors à la Premier League est immense. Même en Championship, la deuxième division, et en League One, la troisième division, le niveau est encore trop haut. Alors ils vont dans des clubs de quatrième division où ils sont complètement perdus. Eux qui étaient habitués aux cinq-étoiles et aux pelouses comme des greens de golf se retrouvent dans des petits bleds, jouent dans des petits stades, sur des mauvaises pelouses. Le ballon leur passe par-dessus la tête parce que ça joue à l’ancienne et, au premier duel, l’adversaire en rajoute une couche dans l’engagement physique. Le jeune plonge, sort de l’équipe, est prêté ailleurs au bout de six mois, et le foot anglais a perdu un espoir de plus.
Entraîneur pas au niveau
Les Anglais ont longtemps considéré qu’il suffisait d’avoir été joueur pour devenir entraîneur. Les coaches manquent de formation. Jusqu’à il y a deux ans, vous pouviez entraîner en deuxième division sans aucun diplôme. Certains, et je l’ai appris à mes dépens, n’ont pas le bagage d’un entraîneur suisse de 2e Ligue. Des types comme Martin O’Neill ou Harry Redknapp sont des escrocs du foot. Les Anglais se sont tout de même rendu compte de leur déficit en matière de formation et ont commencé à changer il y a une dizaine d’années. Ils ont commencé par la base, si bien que les entraîneurs de jeunes sont souvent mieux formés que ceux des équipes professionnelles. A Manchester United, beaucoup de pros ont été encouragés à passer leurs diplômes durant leur carrière.
Désormais, les clubs ont des staffs pléthoriques. Il y a le coach, au moins deux adjoints, des entraîneurs spécifiques, trois préparateurs physiques, l’équipe médicale et – la grande mode – des «sport scientists». Si je ne suis pas opposé aux statistiques et à l’aide que les nouvelles technologies peuvent apporter, je trouve que, bien souvent, on leur accorde beaucoup trop d’importance. Les Anglais sont également tombés dans l’excès inverse dans la philosophie de jeu. Désormais, il faut construire depuis l’arrière, jouer au sol. On en oublie les fondamentaux. Dans le football, vous n’avez pas la balle 50% du temps. Si le jeune découvre seulement en arrivant en pro que le jeu passe d’abord par la lutte pour la conquête du ballon, ce sera trop tard.