L’égalité existe, le handball français l’a rencontrée. Il serait plus juste d’écrire qu’il l’a provoquée. Depuis une quinzaine d’années, la Fédération française de handball (FFHB) s’est progressivement obligée à consacrer le même intérêt et les mêmes moyens à ses équipes nationales masculines et féminines. Un cas sinon unique, du moins exemplaire, étudié par d’autres pays et d’autres fédérations sportives.

«Cela s’est fait par étapes, souvent sous l’impulsion des joueuses et des coachs, se souvient Béatrice Barbusse, ancienne joueuse, sociologue et secrétaire générale de la FFHB. Lorsque les filles ont remporté leur premier titre mondial en 2003, elles ont demandé la même prime que les garçons [champions du monde en 2001], qui les ont soutenues.» Grâce notamment à l’action de la capitaine Nodjialem Myaro, aujourd’hui présidente de la Ligue féminine de handball, elles gagnent cette première bataille. «Mais pour arriver aux mêmes résultats, il faut avoir les mêmes moyens, reprend Béatrice Barbusse. Or le staff entourant l’équipe féminine était bien moitié moins fourni que celui à disposition des garçons. Fin 2015, le sélectionneur des Bleues Olivier Krumbholz réclame plus de gens pour préparer les Jeux de Rio. Là encore, il obtient gain de cause.»

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Le handball n’est pas tout à fait un sport comme les autres. En France, il est très lié au sport scolaire, où la pratique est mixte parce que les classes sont mixtes. Les entraîneurs sont souvent des profs de gym, des gens attachés à l’éducation et à la transmission de valeurs. L’un d’eux, Philippe Bana, constate, lorsqu’il devient directeur technique national de la fédération en 1999, que, malgré cette culture et cette vocation, la handballeuse est «médiatiquement transparente» et qu’il devient «urgent de lui donner une identité».

Victoire sur Michel Drucker

Dans Le Roman du hand tricolore (Marabout, 2018), Philippe Bana raconte un moment charnière du développement du handball féminin en France. En 1999, les tricolores disputent le Championnat du monde en Norvège et accèdent pour la première fois à une grande finale internationale. Le tournoi est retransmis sur France Télévisions, mais la finale, un dimanche à 19h, se heurte à la sacro-sainte émission de Michel Drucker. Le match n’est pas diffusé, le commentateur rentre à Paris. Furieux, Philippe Bana fait jouer ses relations, appelle la ministre Marie-George Buffet, la directrice de France Télévisions, Michèle Cotta. Sitôt arrivé à Paris, le commentateur reprend l’avion pour Oslo. La France perd d’un but après deux prolongations, mais la finale est télévisée en direct et le public se prend d’affection pour cette équipe.

Cet épisode confortera la FFHB dans l’idée que le hand féminin recèle un vrai potentiel de développement et qu’il s’exprimera d’autant mieux s’il est mis en valeur par de grands événements. «Nous organisons systématiquement en alternance une grande compétition masculine et une grande compétition féminine, explique Béatrice Barbusse, chargée depuis 2013 de la féminisation du handball français. Après le Mondial masculin en 2017, nous avons ainsi organisé l’Euro féminin 2018. Il y a un vrai choix politique derrière cela parce que nous savions que le second serait déficitaire. Mais, principe de solidarité et de mutualisation, il a été financé par les bénéfices du premier.»

On ne «chambre» plus à part

«Nous souhaitions que le handball français marche sur ses deux jambes», résume le DTN Philippe Bana, qui se félicite que les huit équipes de France, quatre masculines et quatre féminines, tournent dès les 15 ans dans le monde entier, soixante à cent jours par an. Aujourd’hui, la FFHB recense 549 295 licenciés, dont 196 337 femmes. «Cela représente 34%. Pour moi, nous pouvons atteindre 40% de joueuses», estime Béatrice Barbusse, qui fut également la première femme présidente d’un club professionnel masculin à Ivry. Pour elle, la prochaine étape doit être un plus grand nombre de femmes à des postes décisionnaires. «Il n’y a que deux présidentes de Ligue sur 22. Et récemment, seulement quatre femmes parmi trente postulants à un examen d’arbitres de haut niveau.»

Cet effort n’a pas affaibli l’équipe de France masculine, qui est depuis une douzaine d’années la plus dominatrice de l’histoire de son sport. Hors du terrain, les hommes ne se sont pas sentis non plus dépossédés. «Ce qui est intéressant, c’est que maintenant l’inégalité se voit. Parfois, dans les réunions, ce sont des hommes qui dénoncent à notre place les manquements au principe d’égalité», s’étonne Béatrice Barbusse. Il faut en revanche être une femme pour comprendre le changement le plus profond et le plus bénéfique de l’expérience vécue par la FFHB: «Ne plus se sentir isolée, ça fait un bien fou! souligne cette pionnière. Le fait d’avoir plus de femmes nous permet de nous créer des réseaux. Cela rend aussi les hommes plus respectueux. Il y a moins de remarques sexistes, et s’il y en a, nous sommes mieux armées pour répondre. Si c’est de l’humour, on se sent désormais assez en confiance pour répondre par l’humour. Ça «chambre», mais des deux côtés.»