Une paroi multicolore sous une structure métallique géante. Dessous, des gens, bras tendus vers le ciel, les doigts arqués blanchis de magnésie. Certains, au sol, reproduisent des mouvements dans le vide en fixant une succession de prises. D’autres, encordés, s’élèvent comme des araignées au fil des voies. Leur attirail: une corde, des dégaines, un baudrier et des chaussons étroitement ajustés à leur profil plantaire. Leur objectif: atteindre le sommet de la paroi en suivant une couleur.
Rimbaud octroyait des couleurs à toutes les voyelles. Les grimpeurs en salle, eux, se cantonnent au A et lui attribuent toutes les couleurs imaginables. Ainsi, ils escaladent lA noire, lA blanche, lA rouge, lA verte et lA bleue… Mais contrairement à la poésie, la grimpe est accessible à tous, et la discipline connaît un succès grandissant. L’ouverture récente de salles d’escalade artificielle en suisse romande en témoigne.
La dernière arrivée, Vertic-Halle, sera inaugurée le 20 octobre à Saxon, en Valais, au pied du Grand Chavalard. Elle est déjà praticable depuis le 10 septembre. Avec ses 1548 m2, elle est la plus grande salle de Suisse romande.
Contrairement à celles d’outre-Sarine, les halles d’escalade romandes sont rares. «Cela fait dix ans que je rêve d’une salle en Valais!» s’exclame Jean-Marie Porcellana, grimpeur et architecte de formation, l’un des cinq créateurs de Vertic-Halle. Jusqu’à présent, il avait dû prendre l’habitude hivernale d’effectuer une heure de voiture avec son compagnon de cordée, Lionel Clerc, pour grimper dans la salle de Niederwangen, en banlieue bernoise. Un soir, autour d’un verre de rouge, les deux compères prennent la ferme décision de créer leur propre mur, en terres valaisannes. C’était il y a un an et demi.
Très vite, ils rassemblent trois amis, David Maret et Bertrand Martenet, qui sont guides, ainsi que Cyril Portier, comptable et grimpeur à ses heures. Une convergence de compétences qui fait de ce projet commun une réussite unanime. Près de 120 voies sur une hauteur de 15 mètres ont été ouvertes par les cinq associés et leurs amis grimpeurs. Ils ont également souhaité reproduire certaines particularités rencontrées lors de leurs sorties alpines ou de leurs voyages. Avec les créateurs de structures slovènes CityWall, Bertrand Martenet a reproduit deux fissures de type granitique à l’image de celles qu’il a escaladées à Indian Creek aux Etats-Unis. C’est une première dans les salles d’escalade.
Même les ultraorthodoxes de la grimpe en extérieur tiennent à venir essayer ce nouveau mur artificiel. David de Siebenthal, grimpeur vaudois et créateur de la marque de tee-shirts décalés Full Tank, en fait partie. «Les fissures de cette salle la rendent originale et, bien que je préfère être dehors quitte à avoir froid, j’irai certainement y passer quelques soirées.»
L’escalade est un sport qui se pratique de différentes manières: «Il existe clairement des personnes qui grimpent en salle comme certaines vont au fitness ou au squash. L’effort prime et l’environnement importe moins. D’autres vont en salle pour maintenir un bon niveau à l’extérieur quand les conditions ne permettent pas d’être au grand air», explique le grimpeur vaudois.
Un de ses slogans imprimés sur tee-shirts affirme que «Gym climbing is like wanking» («La grimpe en salle, c’est comme la masturbation»). «C’est de la provocation, mais ça reste vrai. Les deux activités demeurent agréables. Elles permettent de bien connaître son corps mais elles ne représentent, pour moi, qu’une alternative à une meilleure activité, partagée ou en plein air», plaisante-t-il.
La halle de Saxon a été entièrement conçue pour la structure artificielle. Les 2 millions de francs nécessaires à sa construction viennent de la poche des cinq initiateurs du projet. «Si on avait attendu l’argent d’ailleurs, la halle ne serait certainement pas encore construite. A Lausanne par exemple, un mur d’escalade est prévu depuis des années. Il doit aujourd’hui s’insérer dans le projet «Métamorphose», mais la commune a encore repoussé sa construction», explique Lionel Clerc, qui a longtemps travaillé bénévolement au sein de l’association Sport-Escalade sur le premier mur artificiel romand à Saint-Légier. «Les Lausannois sont nombreux à vouloir une salle d’escalade dans leur capitale. C’est un lieu de rencontre avant tout et ça permettrait d’élever le niveau d’escalade, qui n’a pas beaucoup évolué ces dernières années.»
Les Genevois, quant à eux, doivent se contenter de pans d’escalade: des espaces où l’on grimpe proche du sol, sans corde mais au-dessus de matelas. Pour grimper sur des voies artificielles, ils doivent passer la frontière.
Issues de l’imagination des grimpeurs, les halles d’escalade ont fait progresser la discipline, selon Lucien Abbet, figure de proue de la grimpe valaisanne: «Dans les années 70, on grimpait sur des parois verticales: des dalles avec peu de prises. Le développement des murs d’escalade artificiels a dirigé les grimpeurs vers des falaises plus déversantes qui requièrent une grimpe plus athlétique.»
Aujourd’hui, les parois se gravissent en trois dimensions. Outre la construction des salles d’escalade artificielle, la grimpe figure parmi les sports présélectionnés pour devenir une discipline olympique en 2020.
«En alliant le mental au physique, c’est un sport génial qui crée une dépendance. J’aurais de la peine à m’en passer», avoue Lucien Abbet. Cet hiver, il préférera toutefois les falaises asiatiques à la résine valaisanne. «Je passerai à Vertic-Halle pour boire des bières avec les copains. Moi, je me fais mal en salle», rit-il.
En attendant les salles d’escalade à Lausanne et à Genève, les grimpeurs lémaniques continueront de s’expatrier, sillonnant le Gros-de-Vaud ou tendant peut-être vers la Sarine (lire ci-dessous). Mais ils peuvent à présent aussi choisir de remonter le Rhône, où ils disposent désormais d’un séduisant point de chute. Si l’on peut dire.