Une bouffée d’oxygène au petit matin dans les montagnes iraniennes. À 1500 mètres d’altitude, cinq femmes et quatre hommes courent. Le soleil est déjà bien haut dans le ciel. Il fait chaud. Un ruisseau traverse parfois le sentier caillouteux et pentu. Sans vraiment s’arrêter, ils boivent quelques gorgées d’eau et continuent.

Dans une République proclamée islamique, les codes vestimentaires sont stricts: pas de shorts pour les hommes, vêtements à longues manches, qui cachent les fesses, et tête couverte pour les femmes. La surprise commence dès l’aéroport: les filles arborent un look à la Rania de Jordanie plutôt qu’un tchador noir.

Retour en altitude: chaque matin, ils sont entre cinq et dix à fouler les pentes du Mont Tochal. Cette montagne culmine à 3933 mètres et surplombe Téhéran. L’énergie des filles est débordante et ferait presque oublier la pente sur laquelle le groupe court: 1300 mètres de dénivelé en une heure et demie. Soudain, leurs sourires se transforment en éclats de rire. Plus ils grimpent, moins la contrainte vestimentaire existe. Davood, ancien guide de montagne et chef de file des ultra-runners iraniens, résume le paradoxe: «En ville, voile obligatoire, mais dans les montagnes, les papillons sortent de leur chrysalide et volent librement.»

En brassière sous l’eau glacée

Les faubourgs nord de Téhéran se situent déjà à 1500 mètres d’altitude. Une fois dépassées les dernières maisons, qui ressemblent à des chalets suisses, les foulards glissent autour du cou, les manches des longs t-shirts se retroussent. Quelques kilomètres plus haut, les foulards sont dans les sacs. Sur le chemin, une magnifique cascade d’eau. Il fait chaud, les filles ont enlevé leur t-shirt et s’élancent en brassière de sport sous l’eau glacée. Il y a une telle joie, une énergie si surréaliste que le temps se suspend. Se dépasser, être le meilleur, le plus fort et rester en santé, oui. Mais courir, en Iran, c’est avant tout être libre.

Dans les montagnes, les sportifs sont seuls: voilà l’équation de la liberté. En ville, point de salut. Quand le groupe de coureurs veut courir sur l’asphalte plutôt que dans les rochers, il s’élance en début de soirée en direction du téléphérique qui mène à Tochal. Neda et Sara ont troqué leur foulard léger qui recouvre la moitié de leur tête contre un bandana noué à la hippie, sans l’enrouler autour du cou. Dans cette montée de quelques kilomètres qui les amène à une terrasse surplombant Téhéran, elles papotent avec Farshad et Mamad. Sur le chemin de bitume, des familles avec enfants, des groupes de filles ou de garçons en train de rigoler, des couples. Avec leurs maillots de sport certes longs, mais proches du corps, et leur bandana, elles sont légèrement vêtues. Au loin, quelques policiers que le groupe va rapidement dépasser. Aucun commentaire. Courir égale liberté? «Si nous avions été en train de marcher, les policiers nous auraient dit d’adapter nos tenues. Mais quand nous courons, ils ferment les yeux», glisse Neda.

Oasis de liberté

Midi dans un quartier résidentiel chic de la banlieue nord de Téhéran. Dans un bâtiment sur lequel est inscrit «Paad» se trouve l’un des centres de fitness les plus connus de la capitale iranienne. De 8h à 15h, il porte le nom de «Lady Paad» et est réservé aux femmes. De 15h à 23h, il devient «Paad Gents» et seuls les hommes peuvent y accéder. On s’organise comme on peut pour ne pas mélanger les genres.

Des femmes en train de courir, d’autres en train de participer à une leçon de danse orientale. Non, l’Iran n’est pas une île coupée du monde: machines de sport et techniques d’entraînements dernier cri, shorts et maillots floqués des logos de célèbres marques américaines. En apparence, rien de très différent d’un centre européen, si ce n’est que la clientèle et le personnel sont exclusivement féminins. En Europe, les sportives consacrent en moyenne une heure à leur session. En Iran, elles restent plus du triple. De longs entraînements en cafés interminables entre amies, elles repoussent tant que possible le retour à leurs habits imposés.

Pour elles, le sport, c’est transpirer, être en forme, perdre du poids, mais avant tout être libre de porter ce qu’elles veulent. Les gouttes de sueur remplacent les mots, dans un pays où l’on ne parle ni du gouvernement ni de politique.


Coraline Chapatte est suisse, mais vit en Turquie depuis 2008. Coureuse à pied longue distance, entraîneur sportif, bloggeuse et chroniqueuse, elle s’est rendue seule en Iran en mai dernier pour partir à la rencontre des sportives iraniennes. Son blog.