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«J’aime entendre dire que je suis le meilleur»

Roger Federer philosophe sur sa carrière

Le Temps: Vous sentez-vous intronisé en tant que plus grand joueur de tous les temps?

Roger Federer: J’y réfléchirai à la fin ma carrière, dans quelques années [son t-shirt indique «There is no finish line…»]. Les comparaisons ne sont pas toujours pertinentes. A ce jour, j’ai surtout conscience du privilège que représente de remporter autant de titres, et de rester en bonne santé.

– Vous avez tout gagné, vous détenez des records prestigieux, et vous deviendrez bientôt papa. N’êtes-vous pas tenté de réévaluer vos priorités?

– Tout sera peut-être différent à l’US Open mais, pour l’heure, non, je ne raisonne pas en ces termes. Je suis heureux de voir Mirka épanouie. J’ai hâte que notre enfant vienne au monde. En même temps, je joue extraordinairement bien. Tout semble fonctionner à merveille. Je ne suis pas inquiet pour ma motivation car, fondamentalement, j’aime trop le tennis. Et puis, Mirka rêve depuis toujours que notre enfant me voie jouer. Et j’ai toujours rêvé de participer aux Jeux olympiques de 2012, ici à Wimbledon.

– Quels seront à jamais les instants charnières de votre carrière?

– Il est des caps symboliques que je n’oublierai jamais. Mon premier sacre à Wimbledon, par exemple. Ce jour-là, j’ai compris que je pouvais devenir un joueur extraordinaire. Ensuite, j’ai accédé à la première place mondiale, et j’ai eu l’impression de grimper sur le toit du monde. Il y a eu, aussi, toutes ces victoires à l’US Open, contre les Américains Roddick et Agassi, dans une ambiance délirante. Ce fut peut-être mon plus grand accomplissement de joueur. Et puis, je n’oublierai jamais notre finale avec Rafa, ici, l’an dernier.

– Qu’avez-vous perdu et qu’a perdu le tournoi en l’absence de Nadal?

– Lorsque Rafa et moi ne viendrons plus à Wimbledon, quelqu’un d’autre brandira le trophée. Ainsi va la vie. Pour vous répondre honnêtement, je pense que tout le monde, cette année, a vite oublié Rafa. Il serait injuste de dénigrer. Il y a eu la Murraymania, le retour de Roddick.

– Est-ce une fierté pour vous de redevenir numéro un mondial?

– La sensation n’est pas aussi grisante que le jour où je le suis devenu pour la première fois. Cette place représente un apogée, peu importe qu’on l’occupe une semaine ou cinquante ans. Cela dit, je reconnais que la fonction est agréable. J’aime entendre dire que je suis le meilleur, traverser la vie avec ce statut unique. Quand les gens rencontrent un numéro un, ils ne voient pas seulement un champion, ils voient «le meilleur». Ils crient: «You’re the best, you’re the best.» Pour tout le monde, on devient le meilleur dans son secteur d’activité. C’est grisant.

– Il y a quelques semaines, Rafael Nadal dominait outrageusement, et vous deviez lutter. Tout change si vite…

– Un rien sépare le bon et le mauvais côté de la barrière. Rafa a réussi le doublé Roland-Garros/Wimbledon, il est devenu un No1 incontestable et, à cause d’une blessure, il a tout perdu. Devrions-nous pour autant le considérer comme un No 2 ou 3, et oublier le champion qu’il est? Notre business fonctionne de cette façon et je le regrette. Je trouve incorrect de prononcer le déclin d’un champion après deux défaites. J’espère que notre vécu respectif, à Rafa et à moi, aidera les gens à ouvrir les yeux.