Sur le terrain, «l'entraîneur crée des phases de jeu, comme une remise en touche dans une configuration donnée», développe Claude Ryf. Il vise à augmenter le répertoire de situations dans le cerveau des joueurs et à provoquer le bon choix. Ainsi, la démarche cognitive mise sur la répétition systématique de séquences. La raison? «La mémoire ne se souvient que des lois tirées de faits réitérés, mais pas des expériences uniques», relève Claude-Alain Hauert, professeur en psychologie à l'Université de Genève. Enfin, la combinaison d'éléments permet de peaufiner la rapidité du processus de décision.
Au rayon des avantages, les bénéfices sont d'abord techniques. Lucio Bizzini énumère «le positionnement sur le terrain, la lecture de l'espace, les conduites d'anticipation, le rythme du geste, notamment dans la reprise de volée, et le bon timing». Mais, surtout, l'entraînement cognitif induit une ligne d'action, comme l'indique Claude Ryf: «Grâce aux directives et principes travaillés, il permet d'imprimer au jeu un accent particulier. On évolue en fonction d'une perception qui vaut pour tous: celle de l'entraîneur.» Sinon? «Le jeu se fait à l'instinct et de manière plus individuelle.» A ce titre, Lucio Bizzini suppose que José Mourinho, coach de Chelsea, accorde son importance à la méthode: «Il veut que l'équipe joue comme lui le souhaite.»
L'aspect dirigiste ne doit toutefois pas occulter une nuance de taille: «Il existe des génies qu'il ne faut surtout pas cadrer», fait remarquer Claude Ryf. «Des joueurs comme Thierry Henry ou Zidane, on doit les intégrer dans le collectif sans perturber l'instinct de buteur ou le génie créatif.» Chez les joueurs de talent, «l'interventionnisme de l'entraîneur est minime». En l'occurrence? «Là où Maradona donnait quinze passes décisives, un jeune attaquant cherche à en placer quarante. Ça coûte beaucoup de ballons à l'équipe. Il lui est nécessaire d'apprendre à trier les situations, mais on ne changera pas son registre...»
Modulable à souhait, ce type d'entraînement s'applique à toutes les phases et tous les secteurs de jeu. Lucio Bizzini retient la spécificité des défenseurs. «Le cognitif est certainement plus important pour un arrière. En témoignent des Paolo Maldini, brillants à près de 40 ans. La capacité de positionnement, les milliers de mouvements vers la balle compensent des réflexes moteurs moins rapides.» La démarche a-t-elle moins d'impact sur les attaquants? «Ils développent une qualité supplémentaire, la créativité, plus difficile à exercer.» Pour sa part, Claude Ryf est d'avis que «le cognitif aide aussi à les rassurer sur leurs gestes et déplacements».
Aujourd'hui, «de plus en plus d'entraîneurs de haut niveau ont recours à l'approche cognitive, même si le terme n'apparaît pas forcément dans leurs propos», commente Hansruedi Hasler, directeur technique de l'Association suisse de football. Les adeptes? Lucio Bizzini évoque les Italiens, pour la rigueur de leur football. «L'efficacité du placement et les gestes très sobres des joueurs de l'AC Milan laissent penser qu'ils exploitent cette méthode», exemplifie Claude Ryf.
Très rationnel, ce modèle présente pourtant des limites, comme le suggère Claude-Alain Hauert: «Certaines personnes sont plutôt déterminées par des aspects émotionnels ou affectifs.» C'est pourquoi Claude Ryf estime que «le travail cognitif ne doit pas excéder le tiers de la préparation». Reste qu'aujourd'hui cette vision a fait ses preuves: «On joue mieux au football qu'il y a vingt ans, du point de vue des qualités individuelles», note Lucio Bizzini. L'entraînement cognitif: les connaissances sur le cerveau au service du sport.