«Avec son caractère, Lance n'aurait pas supporté de travailler avec une personne déjà chevronnée», estime Jacques Michaud, directeur sportif de la formation Phonak. «Il avait besoin d'un regard neuf, de quelqu'un prêt à se forger en même temps que lui. Leur immense complicité et leur intelligence ont fait le reste.» Le jumelage s'avère harmonieux d'emblée: «Johan est un type très serein, qui ne laisse jamais rien au hasard», témoigne Jean-René Bernaudeau, son homologue chez Bouygues Telecom. «Son premier mérite, le plus grand sans doute, est d'avoir su faire aimer le Tour à Lance. Parce que cette course, il faut l'adorer pour la gagner. En tout cas, on peut dire que ces deux se sont bien trouvés.» Doté d'un «pouvoir fédérateur et d'un sens de la communication exceptionnels» – dixit son compatriote John Lelangue, manager chez Phonak –, Johan Bruyneel convainc Lance Armstrong d'épouser son destin. «On s'est lancés dans cette aventure sans vraiment avoir de points de repères ni de garanties, mais il a tout de suite été prêt à suivre mon idée», raconte le Belge, qui ne rechigne jamais à souligner l'importance de son rôle. «En fait, il avait simplement besoin que quelqu'un lui dise qu'il était capable de gagner le Tour de France.»
Aussitôt dit, aussitôt fait? Oui, mais à quel prix! Le couple, qui poursuit désormais un objectif tout aussi noble que l'acquisition d'un pavillon de banlieue, travaille beaucoup et très bien pour l'atteindre. «Johan, qui possédait déjà une incroyable capacité d'analyse comme coureur, est un sacré bosseur», reprend John Lelangue. «Je suis parti en vacances à Punta Cana avec lui il y a sept ou huit ans. Durant le séjour, il a avalé une impressionnante pile de bouquins à propos de diverses méthodes d'entraînement.» Soudé par une inextinguible soif de perfection, le couple ne pardonne rien à ses «enfants», menés à la baguette. Exilé chez Phonak cette année, Floyd Landis, ancien lieutenant de l'armada US Postal, en sait quelque chose: «Il est très difficile de faire partie de ce groupe parce que lorsque tu travailles pour eux, on te fait comprendre que tu es un membre de la meilleure équipe du monde, avec toute la pression que cela implique.»
Valeurs maîtresses du binôme, l'exigence et le contrôle ne se limitent pas à ce qui se passe sur la route. Image du sponsor, qualité du pignon, texture du sommier: chaque détail est soigné avec une méticulosité extrême. «Du chauffeur jusqu'à Lance, remarque Jean-René Bernaudeau, le mécanisme est parfaitement huilé»..Tournesol, olive ou colza? La recette demeure mystérieuse. «Par rapport aux autres équipes, on sent qu'ils vivent à l'écart, resserrés sur eux-mêmes», note Jacques Michaud. Et lorsqu'un plumitif à grand tirage s'interroge de façon trop ouverte sur l'équilibre du régime employé, Johan Bruyneel, qui s'occupe décidément de tout, surgit en salle de presse pour dire son fait à l'impudent. Il relègue alors son perpétuel sourire aux oubliettes, et son vocabulaire ne correspond plus tout à fait à celui d'un garçon de bonne famille.
Le Belge protège jalousement son couple, estimant à juste titre que les petits secrets sont indispensables à une idylle réussie. «Entre eux, l'alchimie est impressionnante», dit encore John Lelangue. «Ils ont su œuvrer dans la stabilité tout en réinjectant, année après année, un souffle nouveau dans leur équipe.» La définition du mariage parfait, en somme. Cette alliance sacrée méritait bien sept Tours de France au trousseau.