L’après-carrière est toujours plus incertaine pour les hockeyeurs suisses
Reconversion
Une étude universitaire met en lumière la précarisation du joueur de hockey moderne. Obligé de se consacrer désormais exclusivement à sa pratique, il se coupe des réseaux locaux et gagne rarement suffisamment pour s’en sortir seul

Parent pauvre de la sociologie du sport, l’après-carrière n’est que rarement le sujet de travaux universitaires. En s’intéressant à la reconversion des hockeyeurs professionnels suisses, Orlan Moret s’est donc aventuré en territoire vierge. Ancien joueur de LNB à Martigny, ce doctorant à l’Institut des sciences du sport de l’Université de Lausanne (ISSUL) vient de rédiger une thèse, «Carrières et après-carrières des hockeyeurs suisses dans un contexte de professionnalisation de la pratique», dont la soutenance publique aura lieu le 25 janvier. Il y a étudié, par questionnaires ou entretiens individuels, les trajectoires de plus de 600 anciens joueurs de Ligue nationale (sur les 1800 recensés durant la période) nés dans les années 1960, 1970 et 1980.
Premier constat: la reconversion se négocie bien différemment selon le niveau de salaires. Ceux qui gagnaient le plus sur la glace s’en sortent le mieux. «Les hockeyeurs qui ont eu de bons ou très bons salaires accèdent généralement à des postes valorisés, soit dans le milieu du sport, soit dans les banques, les assurances ou l’immobilier», indique Orlan Moret. Ces deux profils – très bons salaires et bons salaires – regroupent des sportifs ayant joué 12 saisons ou plus. «A l’inverse, ceux qui ont eu des salaires moyens à faibles se retrouvent davantage dans des postes périphériques et moins valorisants». Ces deux autres profils ont chaussé leurs patins entre 2 et 7 saisons. Pour se donner une idée, le salaire moyen de l’échelle établie par le chercheur se situe entre 30 et 60 000 francs par année (20% du panel), et en dessous de 15 000 pour les faibles rémunérations (38%). Les joueurs des deux premières catégories ont engrangé en moyenne trois fois plus de revenus, voire davantage: entre 60 et 100 000 pour les bons salaires (24%), et 150 000 et parfois bien au-delà pour les meilleures paies (18%).
Ce sont les joueurs au revenu moyen qui ont le plus de difficultés à se reconvertir. «L’entre-deux ne paie pas. Ils se sont suffisamment investis pour bouleverser leur trajectoire professionnelle, en étant dans le circuit en moyenne 7 saisons. Malheureusement, ce n’est pas assez pour en retirer des bénéfices notoires.» Deux exceptions toutefois: le suivi d’études en parallèle ou la possibilité de reprendre une entreprise familiale. L’origine sociale des joueurs n’est pas anodine, car le hockey recrute les deux tiers de ses pratiquants au sein d’une frange plutôt favorisée de la population. Ce sont précisément les sportifs issus d’un environnement modeste (30% des joueurs au total et 20% des revenus moyens) qui rencontrent le plus d’obstacles au moment de la reconversion.
Performance des réseaux
L’obstacle de l’origine sociale peut néanmoins être franchi par une longue carrière bien rémunérée. Les réseaux se révèlent alors suffisamment performants au moment de la reconversion. Mais au fil des générations étudiées, l’efficacité de ces réseaux s’étiole. Les carrières étant plus itinérantes, les joueurs perdent l’ancrage local caractéristique de la génération née dans les années 60, qui a souvent évolué au sein du même club pendant plusieurs années. «Les transformations des clubs sont en partie en cause. Davantage orientés vers la performance et moins paternalistes, ils ne permettent plus de tisser des liens forts et les joueurs actuels changent bien plus souvent d’équipe que dans le passé. Ils sont donc moins implantés dans un tissu local», explique Orlan Moret.
Un monde du travail qui évolue
Au-delà des réseaux, parler de reconversion questionne le transfert de savoirs professionnels. Discipline, abnégation et gestion du stress sont des compétences fréquemment citées par les hockeyeurs. «Les plus jeunes croient davantage être en mesure de supporter des injonctions hiérarchiques et une certaine forme d’autorité. Leurs aînés ont quant à eux le sentiment d’avoir développé de réelles compétences relationnelles.» Cette différence de perception s’explique par le fait que tous n’ont pas connu la même expérience de travail. «Tous les joueurs observés ont un contrat classique, avec des droits et des devoirs. Ils sont notamment tenus d’avoir un comportement conforme à une vie de sportif, sans consommation d’alcool ou d’autres substances», relève le chercheur.
Très relatif pour les hockeyeurs des années 60, le respect de cette clause contractuelle est devenu central pour la dernière génération. Le rythme actuel de 50 matchs par saison (contre 36 il y a 30 ans) et des entraînements plus intenses incitent les joueurs à entretenir un mode de vie ascétique, orienté vers la performance individuelle. «Avant, les joueurs quittaient une sorte de parenthèse enchantée, ludique, tournée vers la passion du jeu. Maintenant, ils quittent davantage un emploi astreignant, cadré et dans lequel leur performance est constamment évaluée», ajoute Orlan Moret.
En termes d’expérience du monde du travail, la transition peut ainsi sembler plus aisée pour les plus jeunes. Néanmoins, les exigences de la pratique requièrent un engagement plus exclusif qui fait fondre comme glace au soleil les possibilités de mobiliser différents registres de compétences. Conserver un travail à temps partiel ou exercer d’autres activités en parallèle semble impossible.
Raccrocher le maillot… ou non
Sur un plan plus subjectif, les joueurs aux carrières courtes et peu reconnues évaluent positivement leur reconversion seulement dans la mesure où leur nouvel emploi leur octroie suffisamment de temps libre pour garder les lames sur la glace. Car les hockeyeurs ne rangent pas tous leurs patins à la cave avec la même facilité, ce qui complexifie encore davantage les transitions après une carrière de haut niveau. A l’inverse, les hockeyeurs aux carrières durables et reconnues prennent plus facilement de la distance avec le milieu du hockey. Etonnant? Pas tant que ça. «Ils occupent des postes où ils peuvent se réaliser et se diversifier après une carrière sportive aboutie. Ils ont certainement un sentiment d’accomplissement plus important qui les aide à tourner la page», conclut Orlan Moret.
«Pendant quatre ans, j’étais hockeyeur et banquier à 50%»
Légende du HC Ajoie, Steven Barras vient de mettre un terme à 17 ans de carrière. Il est aujourd’hui gestionnaire en crédit d’entreprise.
Le Temps: Comment s’est passée votre transition après le hockey?
Steven Barras: Les rythmes d’entraînements et de matchs en Ligue B m’ont laissé la possibilité de suivre une formation en parallèle de ma carrière. Mon emploi du temps était très chargé, mais pour vivre de mon sport, j’étais prêt à faire des sacrifices! Je m’entraînais les matins, j’allais en cours les après-midi. J’ai obtenu ma maturité professionnelle, puis mon Bachelor en économie d’entreprise à 28 ans. C’est par le biais de mes réseaux personnels et sportifs que j’ai trouvé un emploi à temps partiel à la Banque cantonale du Jura, pour qui j’avais déjà travaillé avant de me former. Pendant quatre ans, j’étais hockeyeur et banquier à 50%. En fin d’année 2015, j’ai eu l’opportunité de passer à 100%. C’était le bon moment pour moi de mettre un terme à ma carrière sportive à la fin de la saison. Mais je vous avoue que depuis septembre, j’ai rechaussé mes patins… et je joue pour le plaisir avec des copains en deuxième ligue!
- Que retenez-vous de votre carrière dans le hockey en termes d’expérience professionnelle?
- Le hockey est une école de la vie qui apprend l’esprit d’équipe et la vie en groupe. Il faut être capable de cohabiter avec les autres dans le vestiaire et sur la glace. J’ai toujours apprécié les aspects relationnels de mon sport et je souhaitais vraiment pouvoir les retrouver dans mon emploi. Aujourd’hui, je suis en contact permanent avec la clientèle et je travaille au sein d’une équipe d’une dizaine de personnes. Je suis de nature ouverte et sociale, je pense sincèrement que mon expérience dans le hockey m’a aidé à développer mes capacités à m’intégrer harmonieusement dans un groupe.