Larry Ellison aime se faire attendre et se faire remarquer. Annoncé à Auckland depuis plusieurs jours, le patron du défi Oracle BMW Racing est finalement arrivé en jet privé le jour de la cérémonie d'ouverture de la Coupe Louis- Vuitton. Le milliardaire américain de 58 ans, classé au cinquième rang des fortunes mondiales, a ensuite rejoint son équipe pour une sortie d'entraînement en mer. Mais il ne l'a pas accompagnée lors du défilé dans les rues de la ville. Il a préféré assister à la cérémonie depuis son splendide yacht à moteur, le Katana, amarré juste à côté de la scène où se déroulaient les festivités. On pouvait l'apercevoir sur le pont de son palace flottant aux côtés de sa fiancée Mélanie Craft, auteur de romans d'amour.

Une attitude qui n'a surpris personne. Car Larry Ellison – dont la société de logiciels Oracle est la deuxième au monde après Microsoft – est réputé pour sa provocation et son égocentrisme. Ce n'est pas pour rien que la biographie écrite sur lui par Mike Wilson s'intitule «La différence entre Dieu et Larry Ellison». La réponse étant: Dieu ne pense pas qu'il est Larry Ellison.

Quelques jours plus tard, Ellison organise une immense conférence de presse à la base de son défi. Conférence tenue conjointement avec le patron de BMW, Michael Ganal. Celui que certains comparent volontiers à une rock star – il a physiquement quelque chose d'Eric Clapton, mais la comparaison s'arrête là – est un spécialiste de l'exercice. Perché sur son tabouret, tout de noir vêtu, il alterne les grandes formules emphatiques et les mots d'humour qui, le plus souvent, ne font rire que lui. Comme pour contredire sa réputation de personnage imbu de lui-même, Larry Ellison la joue profil bas. Prudent, il déclare qu'«Oracle a une chance de gagner, mais il y a de nombreux marins talentueux ici et beaucoup de bons bateaux. Cela va être difficile». Et d'insister sur le talent des marins néo-zélandais et sur la force de Team New Zealand, tenant du titre. Habile homme d'affaires, il sait flatter son interlocuteur. En l'occurrence, les nombreux journalistes kiwi présents dans la salle. Il fait ensuite l'éloge du pays, indiquant qu'il est tombé amoureux de Bay of Islands, au nord de l'île du Nord.

Le lendemain, Larry Ellison renouvelle l'expérience. Cette fois, la conférence de presse est plus intime. Une quinzaine de journalistes, triés sur le volet par son service de communication, sont réunis autour d'une table dans l'un des salons du Sheraton. La séance de questions-réponses s'engage. Son arrogance prend très vite le dessus. «Quelle question absurde!» n'hésite-t-il pas à lancer, sarcastique, à une ou deux reprises. Les sujets les plus divers sont abordés. La Coupe de l'America, bien sûr, dont il souhaite changer les règles s'il la gagne, notamment en rendant l'événement biannuel. Mais aussi sa société, l'économie américaine, la santé des marchés…

Pour le milliardaire, parler d'argent n'est pas tabou. «Je n'ai pas honte de dire que nous dépensons beaucoup. Notre budget pour la Coupe de l'America se situe entre 85 et 90 millions de dollars (entre 126 et 134 millions de francs). Mis à part la participation de BMW, l'argent vient de ma poche. Le conseil d'administration d'Oracle n'estime en effet pas convenable que la société investisse dans ma passion pour la voile. Oracle ne met donc pas un centime dans cette campagne.»

Dépensier, Larry Ellison aime aussi prendre des risques. Un jour, il s'est brisé la nuque dans une vague en surfant à Hawaï. Pour le plaisir, il prend régulièrement le volant d'une Formule 1 McLaren. Il aime rappeler qu'il a risqué sa vie lors de la meurtrière édition de Sydney-Hobart en 1998, course qu'il a remportée à bord de son maxi-yacht Sayonara. Tester ses propres limites semble être sa principale source de motivation dans l'existence.

Des risques, il en a également pris pour parvenir là où il est aujourd'hui. Fils d'immigrés, de mère hongroise et de père italien, élevé par son oncle et sa tante, il est le symbole vivant du rêve américain. «Je sais ce que c'est que d'être pauvre, je peux vous dire que c'est mieux d'être riche.» Il a fréquenté deux universités, mais pas suffisamment longtemps pour y décrocher un diplôme. C'est la lecture d'un livre sur l'informatique qui a guidé ses pas vers Silicon Valley. Là, avec trois associés, il a démarré une société en 1977, chacun ayant investi 2000 dollars. Deux ans plus tard, le premier logiciel Oracle faisait son entrée sur le marché. La suite, on la connaît. Larry Ellison, businessman agressif, est devenu l'ennemi numéro un de Bill Gates, qu'il n'hésite pas à traiter de «monopoliste frauduleux».

La fin de l'entretien porte sur Ernesto Bertarelli. «Nous nous parlons régulièrement. Je suis un de ses grands fans. Il a monté une merveilleuse équipe avec Alinghi. Je lui souhaite bonne chance dans toutes les régates où il ne sera pas opposé à Oracle BMW Racing.» A la question de savoir si, comme Bertarelli, il a suivi la préparation physique avec le reste de l'équipage, il répond, sûr de lui: «Je suis prêt pour un bras de fer avec lui. Avec la Coupe de l'America comme enjeu!»