A Lausanne, 75 ans de muscle et de matière grise
Sport universitaire
Introduite dans le milieu académique pour préparer les citoyens à la guerre, l’activité physique s’y est développée dans toute sa latitude. Un livre raconte l’histoire, un festival esquisse ses prochains chapitres

L’exercice physique est entré à l’Université de Lausanne en temps de guerre dans l’optique de préparer les étudiants à l’éventualité de devoir se battre. Depuis, le sport n’a jamais quitté le milieu académique et y est devenu objet d’étude, chemin vers la santé ou les médailles. Cela fait 75 ans qu’il n’est plus nécessaire de choisir entre penser et se dépenser.
Escrime, boxe, basketball, football, athlétisme et surtout «culture physique». Voilà la liste exhaustive des activités qui figuraient au programme de la semaine type proposée par la Commission sportive de l’Université de Lausanne en 1941 pour la toute première fois. Sur un papier un peu jauni par le temps apparaît déjà la chouette qui orne aujourd’hui encore les logos des LUC (les clubs affiliés à l’université). Après un travail de tri et d’analyse des archives de l’institution, l’historien Grégory Quin publie ces jours «L’odyssée du sport universitaire lausannois».
La sortie de l’ouvrage coïncide à quelques jours près avec la première journée mondiale du sport universitaire proclamée par l’UNESCO (le 20 septembre) et avec Lausanne in Motion, un festival international du sport universitaire organisé ce samedi à Ouchy. Ou quand l’Université montre au grand public ce qu’elle fait du sport.
Mise en mouvement
Le principal défi actuel est la mise en mouvement des étudiants. «Nous voulons pousser les gens à une pratique physique intelligente, qui n’a rien à voir avec la compétition mais avec la santé, le bien-être, assène Georges-André Carrel, président du comité d’organisation de Lausanne in Motion. Il existe aujourd’hui de nombreuses manières de bouger presque sans matériel, sans contrainte. Alors nous disons: donnez une place au sport dans votre vie!»
Il aura fallu des perspectives plus sombres pour que l’Université de Lausanne mette en place un programme sportif. Au début des années 40, la guerre déchire l’Europe et la Confédération s’inquiète de l’état de forme de ses citoyens. «Les autorités voulaient que les gens préparent leur corps au combat, explique Grégory Quin. Et l’enseignement physique n’allait pas plus loin que l’école obligatoire…»
Mais le 1er décembre 1940, l’introduction dans la loi de l’«obligation de l’instruction militaire préparatoire» est balayée par le peuple en votation. «Il a fallu trouver une autre solution, continue l’historien. Alors la Confédération a subventionné l’Université pour qu’elle propose quelque chose aux étudiants.»
On n’est ni dans le sport de compétition, ni dans le sport-santé. «C’est le sport-outil. On ne joue pas au football pour le plaisir, mais pour l’entraînement du corps», souligne le chercheur. C’est un point de départ. L’entrée du muscle n’est dans le temple de la matière grise. Où il n’est pas toujours vu d’un très bon oeil. «Il y a eu des tensions, glisse Grégory Quin. Des gens qui se demandent si le sport est bien sérieux, en tant que tel ou comme objet d’étude. Pourtant, l’équilibre nécessaire entre le corps et l’esprit est une idée acceptée depuis l’époque des Lumières…»
Tremplin vers les Jeux olympiques
Ce n’est pas Georges-André Carrel qui dira le contraire. «Les leaders de demain ont pris conscience qu’il fallait donner une importance au corps, estime l’ancien directeur des sports universitaires lausannois. Il est important que l’Université ne soit pas qu’une usine à savoir, mais produise des gens équilibrés, autonomes sur le plan de la santé et du bien-être par l’activité physique.»
En parallèle, le sport universitaire est aussi devenu une affaire de sport d’élite. En volleyball, le Lausanne Université Club est l’une des meilleures équipes du pays. Au niveau international, la Fédération internationale du sport universitaire (FISU) organise chaque année les Championnats du monde universitaires dans de nombreuses disciplines et, tous les deux ans, les Universiades d’été et d’hiver sont les plus importantes manifestations polysportives du monde après les Jeux olympiques.
Des athlètes-étudiants s’y affrontent dans des compétitions de très haut niveau qui font figure de tremplin. Aux Jeux olympiques de Rio, 15 des 105 athlètes qui composaient la délégation suisse sont passés par les compétitions universitaires. Et ils sont 51 à être ou avoir été étudiants, prouvant par l’exemple que les quêtes de diplômes et de médailles peuvent être menées de front.
Des compétences reconnues par les employeurs
Selon Georges-André Carrel, il y a même un bénéfice à en tirer. «Prenez Lucas Tramèr. Il va sortir de l’uni en étant médecin et champion olympique d’aviron. Le CV est redoutable! On y lit que cet homme a réussi à tout mener de front, et à être bon partout. Le sport, à quelque niveau que ce soit, est formateur. On apprend à maîtriser ses émotions, son stress, son emploi du temps. Après, il appartient à chacun de réussir à transférer cela dans la vie professionnelle.»
Et le grand manitou du volleyball lausannois assure que les compétences acquises en transpirant sont reconnues par les employeurs. «J’ai régulièrement au téléphone des gens qui veulent savoir comment se comporte tel ou tel joueur, car ils pensent lui donner un poste.» A défaut de l’envoyer à la guerre.
«Le sport n’est pas qu’un moyen de gagner des médailles»
Président de la Fédération internationale de sport universitaire (FISU) depuis novembre 2015, le Russe Oleg Matytsin est à Lausanne pour participer au festival Lausanne in Motion. Il reconnaît à la structure qu’il dirige la responsabilité d’inculquer les principes de la bonne gouvernance et de l’éthique aux leaders de demain.
Le Temps: Venez-vous souvent à Lausanne?
Oleg Matytsin: Très régulièrement. Lausanne est la capitale olympique et, en 2011, nous y avons déménagé notre siège, qui était auparavant à Bruxelles. C’est une bonne décision du comité exécutif, car cela permet d’entretenir d’excellentes relations avec l’Université de Lausanne. Nous allons prochainement emménager dans de nouveaux locaux, sur le campus. C’est important d’être au contact quotidien des étudiants.
– Et des nombreuses fédérations sportives implantées ici?
– C’est primordial. D’un côté, nous organisons nos propres événements, mais d’un autre, nous essayons d’avoir la meilleure collaboration possible avec les fédérations. Nous avons plus de trente accords en vigueur à ce jour. Beaucoup reconnaissent les Universiades et les Championnats du monde universitaire dans leur calendrier officiel, ces compétitions valent même des points dans certains cas. Et nous pouvons faire passer nos valeurs par le biais des conférences et des séminaires organisés. Car pour la FISU, le sport n’est pas qu’un moyen de gagner des médailles, mais d’éduquer.
– Quel regard portez-vous sur les scandales qui secouent le monde du sport?
– Par rapport aux questions de dopage et de corruption, nous pratiquons la tolérance zéro. Mais nous devons être proactifs sur ces sujets. La bonne gouvernance et l’éthique étaient les priorités de mon programme lorsque je me suis présenté pour devenir président de la FISU. Notre public cible, ce sont les étudiants, qui deviendront les leaders de demain. Et le sport permet de leur apprendre l’esprit d’équipe, le respect des coéquipiers, des adversaires et des règles. Le sport est unique en la matière.
Peu importe la culture, la religion et la nationalité d’un athlète: il arrive sur le terrain et doit se plier aux règles. Comme dans le business. Comme dans la vie. Avec ce travail, on essaie de prévenir les scandales de l’avenir.
– Est-il facile de combiner études et sport?
A haut niveau, non, ce n’est pas si facile. Mais c’est aussi une de nos tâches. Il y a des exemples d’universités qui proposent des solutions intéressantes et nous devons nous engager dans ce sens. Il faut aussi des programmes qui permettent de revenir dans le système au bout d’une carrière sportive.
– Quel lien existe-t-il entre vos Universiades et les Jeux olympiques?
– Les Universiades passent souvent pour une plateforme qui permet ensuite d’avoir du succès aux Jeux olympiques, ce qui nous donne une bonne image. Aux Jeux de Sotchi, en 2014, on retrouvait 461 athlètes qui avaient auparavant participé à une Universiade d’hiver. Mais nous devons encore améliorer notre concept pour que notre place dans la grande pyramide du mouvement olympique soit bien compréhensible par chaque fédération.
C’est notamment dans ce but que nous avons réduit l’âge limite de 28 à 25 ans pour participer aux Universiades. Ainsi, ces compétitions sont vraiment une étape entre les Jeux olympiques de la jeunesse, réservés aux jeunes jusqu’à 18 ans, et les «vrais» Jeux olympiques, où l’on retrouve les meilleurs athlètes du monde.