Publicité

A Lausanne, l’invention d’une tradition olympique

Lausanne, capitale olympique? Cela n’a pas toujours été une évidence, rappelle l’historien Quentin Tonnerre. Il y eut bien des déconvenues avant que les Jeux olympiques de la jeunesse ne soient appelés à redéfinir l’avenir en terres vaudoises

Les anneaux olympiques formés par 1200 écoliers à sur les rives du lac Léman, le 23 juin 2017. — © Valentin Flauraud/Keystone
Les anneaux olympiques formés par 1200 écoliers à sur les rives du lac Léman, le 23 juin 2017. — © Valentin Flauraud/Keystone

Du 9 au 22 janvier, Lausanne accueille les Jeux olympiques de la jeunesse (JOJ), une compétition pour les jeunes sportifs d’élite, mise sur pied dès 2007 par le CIO sous la présidence du Belge Jacques Rogge, qui doit permettre à l’institution olympique d’intéresser un public plus jeune et de monter un laboratoire grandeur nature pour y tester de nouvelles disciplines. L’histoire montre que la gestion des affaires olympiques à Lausanne a toujours été une question délicate. De l’accueil du siège du CIO en 1915 à l’organisation des JOJ 2020, en passant par de multiples candidatures olympiques avortées au XXe siècle, la ville s’est pourtant inventé dans la douleur une tradition olympique.

Au sujet des JOJ:

En vidéo: Au coeur du Vortex, l'hôtel des athlètes L'interview de Virginie Faivre: «Les JOJ ramènent la flamme en Suisse, au propre comme au figuré»

Initiatives manquées

Après une tentative de Pierre de Coubertin de faire de la région lausannoise une Olympie moderne et un site d’accueil permanent des Jeux, la première candidature de Lausanne à l’organisation des Jeux olympiques date du milieu des années 1920. Pierre de Coubertin fait alors du syndic Paul Rosset un allié de la cause. Malgré la «légitimité olympique» que Coubertin tente de faire reconnaître à la capitale vaudoise, ce sont respectivement Amsterdam, Los Angeles et Berlin qui remportent la bataille pour l’organisation des JO. Soutenue ensuite par la municipalité rouge puis tolérée par la droite bourgeoise, la candidature de Lausanne n’aboutira jamais dans l’entre-deux-guerres. A cette période, l’argument selon lequel la ville formerait une alliance naturelle avec le CIO ne reçoit pas l’écho international escompté.

Dynamiser le tourisme

C’est peut-être pourquoi, dans le cadre de l’organisation du jubilé olympique (1944), la municipalité lausannoise planche sur les moyens de maintenir le rayonnement international de son tourisme. Pour y répondre, une solution s’impose: s’inventer des traditions sportives et profiter de la célébration prévue pour «avoir à Lausanne une sorte de ralliement de la paix». Cette rhétorique pacifiste dans le contexte de la mise sur pied d’un nouveau système international dans l’après-guerre, appuyée par les milieux olympiques suisses et les autorités fédérales, va principalement bénéficier à l’organisation des JO d’hiver de Saint-Moritz en 1948.

Juan Antonio Samaranch va soigner ses relations avec les autorités locales et fédérales. Il fait de Lausanne une ville olympique, y construit un nouveau musée en 1993 puis l’intronise capitale olympique

Lausanne doit, pour sa part, attendre la course vers l’organisation des JO 1960 pour voir naître un nouvel espoir. A la tête de la candidature se trouve alors un socialiste anciennement syndic de Lausanne et devenu directeur des Finances, Pierre Graber. S’appuyant très largement sur le réseau diplomatique suisse, il sillonne l’Amérique et l’Europe pour glaner les voix nécessaires et distribuer au passage quelques montres aux membres du CIO. Rien n’y fait et la principale concurrente, Rome, plus performante dans son lobbying olympique, remporte la mise.

L’amour puis la défiance

Dès lors, les Jeux d’été deviennent trop grands et Lausanne ne peut plus y prétendre. De plus, la présence de l’homme d’affaires américain Avery Brundage à la tête du CIO jusqu’en 1972 n’arrange rien puisque celui-ci n’a pas, au contraire de son prédécesseur, le Suédois Sigfrid Edström, de tendresse particulière pour la ville qui abrite son organisation. Les relations se crispent encore dans les années 1970 et débouchent sur de multiples menaces de départ du CIO. Mais l’octroi par la Confédération d’un nouveau statut juridique à l’institution sous la pression du conseiller fédéral Kurt Furgler en 1981 change la donne.

Lire aussi: La longue parade amoureuse du CIO à Lausanne

Conseillé par quelques Suisses, le nouveau président du CIO Juan Antonio Samaranch va dès lors soigner ses relations avec les autorités locales et fédérales, visiter tous les cantons suisses, s’appuyer sur ses relais helvétiques dans le sport international et fréquenter les hommes d’affaires les plus importants du pays. Il fait de Lausanne une ville olympique, y construit un nouveau musée en 1993 puis l’intronise capitale olympique – malgré le refus par la population lausannoise, en 1988, de déposer une candidature pour les JO d’hiver.

Il faut dire que Samaranch n’a jamais souhaité donner les Jeux à la Suisse, y voyant une source de problèmes inutiles. L’entente entre les deux parties aurait pu toutefois se poursuivre sans le scandale de l’attribution des JO de Salt Lake City 2002. La crise de confiance atteint alors son paroxysme: Lausanne retire les anneaux olympiques de son logo, Samaranch est étrillé par le journaliste Darius Rochebin dans une interview sans concession pour la Télévision suisse romande et ne reçoit pas la bourgeoisie d’honneur de la ville qui lui était implicitement promise.

Contre le cours de l’histoire

Seule la mise sur pied d’un groupe chargé de définir une stratégie, «Lausanne, capitale olympique», a finalement permis de réaliser la prophétie formulée un demi-siècle plus tôt, à savoir celle d’inventer une tradition olympique. C’est l’un des objectifs du Plan directeur du sport de 2002, année durant laquelle Lausanne fonde avec Athènes l’Union mondiale des villes olympiques. Afin de développer cette stratégie, nombre de mesures sont ensuite prises. Parmi elles, la construction de la Maison du sport international en 2006 et la définition de nouvelles conditions-cadres pour l’accueil d’organisations et fédérations sportives internationales, ou encore l’inauguration de la station de métro Ouchy-Olympique en 2015.

© Gabriel Monnet/Keystone
© Gabriel Monnet/Keystone

En 2001, le directeur du CIO, François Carrard, usait de la formule «je t’aime moi non plus» pour qualifier les relations entre la ville et l’institution olympique. Au Conseil communal, on s’interrogeait alors sur l’attitude qu’aurait le prochain président du CIO, Jacques Rogge, vis-à-vis de Lausanne. Elle sera passablement froide et il faudra attendre l’arrivée de Thomas Bach pour renouer des liens plus cordiaux. Contrairement à la teneur des discours officiels, force est donc de constater que Lausanne s’est inventé, coûte que coûte, une tradition olympique que le cours de l’histoire avait eu tendance à lui refuser.