Etats-Unis
La star de la NBA accuse Donald Trump de diviser le pays; le président lui répond en s’attaquant à son intelligence. Soutenu par Michael Jordan, LeBron James est plus que jamais le porte-voix des Noirs américains qui se sentent discriminés

Après Colin Kaepernick, l’ex-quarterback des San Francisco 49ers toujours sans contrat pour avoir osé boycotter l’hymne national des Etats-Unis en 2016, LeBron James est devenu le nouveau bouc émissaire et souffre-douleur de Donald Trump. Mais du haut de ses 2,03 mètres, le basketteur vedette ne se laisse pas impressionner. Il déteste le président américain, et le fait bien savoir. Haut et fort.
Lire aussi: Colin Kaepernick, ou le difficile retour du sportif engagé
Porte-drapeau des Noirs américains
La dernière polémique en date s’est soldée par un tweet présidentiel courroucé. Vendredi, LeBron James accordait une interview à CNN, barbe soignée, costume de marque et chaussettes rayées. Il accuse le président américain d’utiliser le sport pour nourrir les divisions raciales aux Etats-Unis. «C’est quelque chose que je ne peux pas comprendre, parce que c’est grâce au sport que j’ai côtoyé quelqu’un de blanc pour la première fois», a-t-il notamment relevé. Réponse de Donald Trump, sur Twitter, en orthographiant mal le nom de la star: «Lebron James vient d’être interviewé par l’homme le plus stupide de la télévision, Don Lemon [un présentateur de CNN noir]. Il a réussi à faire apparaître Lebron comme quelqu’un d’intelligent, ce qui n’est pas facile à faire. Je préfère Mike!»
Lebron James was just interviewed by the dumbest man on television, Don Lemon. He made Lebron look smart, which isn’t easy to do. I like Mike!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) August 4, 2018
Mike? Michael Jordan, que le président considère du coup comme le meilleur joueur de basket de tous les temps. Pas de chance, ce dernier s’est fendu samedi d’une déclaration écrite à la chaîne NBC pour défendre LeBron James, qui «fait un travail extraordinaire pour sa communauté». Plutôt inattendu: jusqu’ici, Michael Jordan incarnait l’image du sportif lisse, qui refusait d’entrer sur le terrain politico-polémique, davantage préoccupé par le business autour de son image que par l’idée d’affirmer des convictions capables de déranger.
Lire aussi: La guerre de l’hymne national divise l’Amérique
LeBron James ne se taira donc point. Colin Kaepernick se fait relativement discret, dans l’espoir de retrouver une équipe. Le basketteur vient lui de rejoindre, le 1er juillet, les Los Angeles Lakers, avec un contrat de 154 millions de dollars sur quatre ans, et semble déterminé à prendre le relais. Il devient à son tour une sorte de porte-parole des sportifs noirs qui s’érigent contre Trump. Un effet de mode? De quoi renforcer le fossé existant et nourrir artificiellement le sentiment de ghettoïsation des Noirs? LeBron James n’est pas épargné par les critiques.
Colin Kaepernick avait décidé de poser un genou à terre pendant l’hymne national joué avant un match de football américain, en signe de protestation contre les bavures policières et tensions raciales. «Je ne vais pas afficher de fierté pour le drapeau d’un pays qui opprime les Noirs. Il y a des cadavres dans les rues et des meurtriers qui s’en tirent avec leurs congés payés», déclarait-il. Cela remonte au 1er septembre 2016. Mais depuis, la controverse n’a cessé d’enfler.
Plusieurs sportifs de haut niveau sont entrés dans la danse, en refusant notamment une invitation à la Maison-Blanche. Parmi eux, les basketteurs Kevin Durant et Stephen Curry, des Golden State Warriors (Oakland). Ou encore LaVar Ball, ex-sportif et père de trois basketteurs professionnels, ainsi que la légende de baseball Hank Aaron. LeBron James avait lui-même donné de la voix pour dire qu’en cas de victoire il refuserait l’invitation de Trump. Jemele Hill, présentatrice noire sur ESPN, a elle aussi essuyé les foudres de la Maison-Blanche: elle a osé traiter Trump de «suprémaciste blanc» sur Twitter.
Trump a remis de l’huile sur le feu pas plus tard qu’en mai dernier. Il a déclaré sur Fox News que les joueurs qui boycottaient l’hymne «ne devraient peut-être même pas être dans le pays». La polémique reste vive. Les récents échanges entre LeBron James et Donald Trump n’ont en ce sens rien d’anodin. Ils mettent en exergue les divisions des Etats-Unis et le sentiment de discrimination et d’injustice qui prévaut chez la majorité des Afro-Américains.
Lire aussi: Thabo Sefolosha, l’Américain
Sixième sportif le mieux payé
LeBron James, 33 ans, est né à Akron, une petite ville ouvrière de l’Ohio. Sa mère l’a eu à 16 ans. Elle l’a élevé seule. Elle était à mille lieues de s’imaginer que son fiston signerait en 2015 un contrat à vie avec Nike, pour environ 500 millions de dollars. Devenu une méga-star de la NBA, il est, selon Forbes, le sixième sportif le mieux payé du monde, avec des recettes annuelles estimées à 85,5 millions de dollars. Derrière Lionel Messi (111 millions), Cristiano Ronaldo (108 millions) ou Neymar (90 millions), mais juste devant Roger Federer (77 millions).
Conscient de son pouvoir et de son influence, «King James» use de sa célébrité comme plateforme pour dénoncer le racisme. Comme d’autres sportifs engagés avant lui, à l’image des athlètes Tommie Smith et John Carlos aux Jeux olympiques de Mexico en 1968, ou du boxeur Mohamed Ali. Il possède une boîte de production, SpringHill, qui a sorti des films à sa gloire. Mais LeBron James a aussi financé Rise Up – The moment that changed America, un récent documentaire sur la lutte des Noirs américains pour les droits civiques. Son «réveil citoyen» s’est surtout manifesté après l’affaire Trayvon Martin, du nom d’un jeune Noir abattu en février 2012 parce qu’il paraissait suspect, la tête cachée sous une capuche. L’acquittement du tueur avait provoqué de vives tensions raciales et la naissance du mouvement Black Lives Matter.
Lire aussi: «Il a fallu que notre fils soit abattu pour que l’on réagisse»
Construction d’une école
En 2014, LeBron James était apparu à un match avec un t-shirt noir et l’inscription, en lettres blanches, «Je ne peux pas respirer». Une allusion à la dernière phrase prononcée par Eric Garner, un jeune Noir asthmatique mort étouffé par un policier blanc.
Ses prises de position lui ont valu des menaces. Sa villa de Los Angeles a été taguée avec le mot «Nègre» à l’été 2017. Les médias américains, se drapant dans une pudeur hypocrite, préfèrent parler du «N word». «Peu importe votre fortune, peu importe votre célébrité et peu importe l’admiration que vous portent les gens, être Noir aux Etats-Unis est difficile, on a encore un long chemin à faire pour que tout le monde dans notre société, en particulier les Noirs, se sentent égaux», avait alors déclaré le basketteur en conférence de presse. Des phrases répétées presque mot pour mot dans l’interview diffusée vendredi.
Sur CNN, l’ailier des Lakers était avant tout venu parler de sa fondation philanthropique et de la nouvelle école «I promise» qu’il a construite à Akron pour aider des enfants défavorisés. Une de ses grandes fiertés. Il y a consacré près de 40 millions de dollars. L’ex-First Lady Michelle Obama l’a d’ailleurs remercié, sur Twitter, pour son engagement. Surprise, samedi après-midi, c’est Melania Trump qui est intervenue, quelques heures après le tweet incendiaire de son mari. Pour dire qu’elle était prête à visiter l’école du basketteur.
Dans son combat, LeBron James a reçu beaucoup de soutien de sportifs. Mais presque tous sont Noirs. En 2015, avant d’entrer en politique, Donald Trump, qui l’admirait encore, l’avait qualifié de «compétiteur féroce qui ne se dégonfle pas sous la pression». LeBron James lui en donne aujourd’hui une nouvelle fois la preuve. Dans un registre totalement différent.