C’est un drôle de ballon. Bleu, marron et blanc. La moitié de sa surface lisse comme au football, l’autre rugueuse comme au basket. Ce n’est pas un hasard: il a été imaginé pour un jeu à mi-chemin entre les deux sports, le FooBaSKILL. Derrière ce nom un peu compliqué se cache l’idée toute simple de trois professeurs d’éducation physique de la région lémanique: inventer une discipline qui permette à leurs élèves de travailler tout à la fois le haut et le bas de leur corps, en passant du foot au basket dès qu’ils franchissent la ligne médiane du terrain.

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«De 7 à 13 ans, les enfants connaissent l’âge d’or du développement de leur coordination, détaille Pascal Roserens, ancien joueur de Ligue nationale B de basket. Nous avons inventé le foobaskill pour permettre de tout exercer en même temps: l’orientation, la réaction, la différenciation, le rythme et l’équilibre.» Imaginé en 2015, ce jeu hybride se popularise rapidement dans le milieu scolaire. Début septembre, son trio de concepteurs formera une centaine de leurs confrères à l’approche didactique qui a été élaborée.

Le FooBaSKILL est un exemple local et récent de ces sports de balle que les enfants découvrent lors de leurs leçons d’éducation physique mais auxquels leurs parents n’ont jamais joué. Football, handball, basketball ou volleyball partagent des racines historiques quasi médiévales, des fédérations internationales centenaires et des millions de licenciés à travers le monde. Cela n’empêche pas d’autres disciplines de voir le jour. Elles s’appellent poull-ball, cardiogoal, smolball, kronum ou encore teqball. Chacune a son histoire, ses particularités, ses règles, son esprit. Mais beaucoup d’entre elles partagent aussi un destin commun: elles empruntent des éléments à différents sports préexistants, se développent dans le cadre scolaire et aspirent à le dépasser.

Révolution pacifiste

Le tchoukball a montré la voie à suivre près de cinquante ans avant le FooBaSKILL, déjà sur l’Arc lémanique. Le médecin genevois Hermann Brandt imagine dans les années 1960 un sport collectif totalement dépourvu de contacts entre adversaires, où il s’agit de viser une sorte de trampoline incliné avec une balle qui tient dans la paume d’une main. Dès 1971, une fédération internationale voit le jour. Aujourd’hui, 52 pays répartis sur les six continents disposent de sélections nationales. Des variantes ont même été développées sur le sable, comme pour le volley, et en chaise roulante, comme pour le basket.

Le tchoukball figure aujourd’hui parmi les 200 disciplines qui composent le programme sportif de l’Université de Lausanne. «Sa pratique reste toutefois assez confidentielle, précise Pierre Pfefferlé, directeur du Service des sports universitaires. Mais c’est une discipline que je trouve très intéressante pour ses aspects pédagogiques, ludiques et éthiques. On ne trouve l’esprit du tchoukball dans aucune autre discipline.»

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C’est que l’invention de chaque nouveau jeu relève d’une ingénierie sportive en deux temps. D’abord, constater un problème dans la palette d’activités existantes. Ensuite, en imaginer une qui permette de résoudre le souci. Le tchoukball voulait mener une révolution pacifiste. «Nous avons cherché à supprimer le côté agressif souvent présent dans le sport car la psychologie sociale montre qu’il a surtout des effets négatifs», soulignait le Dr Brandt dans une interview à la TSR, en 1971. Le FooBaSKILL voulait de son côté favoriser le développement d’une coordination globale chez l’enfant. Le kinball – un jeu avec un immense ballon de plus d’un mètre de diamètre – cherche, lui, à maximiser la dimension collective du sport: tous les membres d’une équipe doivent intervenir simultanément pour mener une action offensive.

Culture du changement

Pour Pascal Roserens, ce n’est pas un hasard si les maîtres d’éducation physique sont souvent à l’origine de ces disciplines. «Dans notre métier, nous sommes en permanence amenés à être créatifs. Au sein d’une classe, il y a des filles et des garçons, des sportifs et d’autres moins. Pour qu’une leçon soit intéressante pour tout le monde, il est nécessaire de tenir compte de tous ces paramètres.» Les professeurs disposent aussi d’une vision d’ensemble de ce qui existe. «Dans notre formation, nous touchons à 30 sports différents. Notre spectre est large et nous permet de piocher des idées dans différentes disciplines pour en créer de nouvelles.»

Le contexte global joue également un rôle. Il y a quelques décennies, le nombre d’activités possibles pour un enfant était beaucoup plus limité qu’aujourd’hui. «Il existe aujourd’hui une véritable culture du changement, estime Pierre Pfefferlé, de l’Université de Lausanne. Les maîtres de sport y sont confrontés et doivent trouver des activités qui permettent de motiver tout le monde. Au volley ou au tennis, par exemple, atteindre un niveau qui permet de prendre du plaisir demande beaucoup de temps et d’efforts. Le tchoukball, au contraire, permet très rapidement à chacun de participer. Le besoin de technicité propre n’est pas très poussé.»

L’exemple du MMA

Pour exister au-delà du cadre scolaire, le sport doit ensuite présenter des opportunités de développement. Défi réussi par le tchoukball: chacun peut s’y essayer très facilement, mais les vidéos de grandes compétitions montrent que le jeu peut atteindre un niveau d’exigence tactique et technique très élevé. Le FooBaSKILL entend suivre le même chemin. «C’est une discipline spécialement pensée pour les enfants, explique Pascal Roserens. Mais cela n’empêche personne d’y jouer et de s’y amuser. Nous travaillons à l’élaboration de règles adaptables en fonction du niveau des joueurs.»

L’ancien basketteur en est convaincu: le sport qu’il a inventé avec ses deux anciens camarades de cours peut aller loin. «Clairement, cela peut devenir un sport-spectacle. Nous sommes en train de réfléchir à l’organisation de matchs de gala. Cela pourrait intéresser des clubs multisports qui ont à la fois des équipes de football et de basket, comme Barcelone ou le Bayern Munich…» De là à ringardiser les sports collectifs séculaires, il y a encore du chemin à parcourir. Mais les promoteurs des nouvelles disciplines peuvent s’inspirer des sports de combat, où la popularité des champions de MMA – un mélange récent de toutes les techniques traditionnelles – supplantent désormais largement celle des judokas, karatékas et autres lutteurs.