C’est une affaire compliquée, alors tâchons d’expliquer les choses le plus simplement possible. Le Global Champions Tour (GCT) est un championnat international de saut d’obstacles qui permet aux trente meilleurs cavaliers du monde de s’affronter durant l’année sur quinze concours richement dotés. Le GCT a été fondé en 2005 par le Néerlandais Jan Tops, ancien cavalier devenu un marchand de chevaux incontournable.

Lire aussi: Steve Guerdat, cavalier militant

En 2014, Jan Tops a revendu 50% des droits du Global Champions Tour au milliardaire américain Franck McCourt, ancien propriétaire de l’équipe de baseball des Dodgers de Los Angeles mais surtout connu en Europe pour avoir racheté l’an dernier l’Olympique de Marseille. Persuadés du potentiel télévisuel du saut d’obstacle, Jan Tops et Franck McCourt imaginent le GCT comme une sorte de «Ligue des éperons» susceptible de promouvoir «le meilleur du saut d’obstacles».

Deux millions de dollars d’inscription

En 2015, les deux associés ont créé la Global Champions League (GCL), une compétition par équipe qui se déroule en ouverture du Tour mais dont l’intérêt sportif est plus que discutable. Détail surprenant, les équipes ne peuvent compter plus de deux cavaliers classés parmi les trente meilleurs mondiaux. Imagine-t-on le FC Barcelone ne pas pouvoir faire jouer ensemble Messi, Neymar et Suarez? Dans la Global League de Tops et McCourt c’est possible, et cela permet à des cavaliers médiocres de participer. Les paddocks sont pleins de jeunes gens pas très doués mais très passionnés et très riches. Souvent, ce sont eux, ou leurs sponsors, qui versent les deux millions de dollars d’inscription que la GCL exige de chaque équipe.

Problème récurrent du monde hippique, le système des paycards, des départs payants, atteint ici un stade industriel, au mépris de la crédibilité sportive. Face à cela, les cavaliers, réunis au sein d’un club, l’IJRC (International Jumping Racers Club), gardaient jusqu’à récemment un atout majeur: eux seuls pouvaient décider quelles épreuves comptaient pour le classement mondial. Ils ont sans doute commis une erreur en vendant ce droit à la Fédération équestre internationale (FEI). Peut-être pensaient-ils que la FEI défendrait le sport équestre…

Règlement modifié

Présidée depuis décembre 2014 par le Belge Ingmar De Vos, la FEI a d’abord semblé opposée à la Global Champions League, qui venait concurrencer sa Coupe des nations. Et puis, subitement, elle n’y a plus rien trouvé à redire. Mieux, ou plutôt pire, la FEI a accepté plusieurs concessions d’importance. Désormais, ce ne sont plus les cavaliers membres du top 30 mondial qui ont accès au Global Tour, mais seulement ceux du top 15. Il reste quatre places pour des représentants du pays où se déroule chaque concours, une attribuée par la FEI et, surtout, 60% des places à disposition de ceux qui ont les moyens de se les offrir, soit en faisant partie d’une équipe de la Global Champions League, soit en les payant directement. Une mansuétude d’autant plus étonnante que la FEI oblige parallèlement les organisateurs de CSI5* à réduire de 30% à 20% les invitations hors classement mondial, afin justement de lutter contre la généralisation des paycards.

Puisqu’ils semblent désormais pouvoir tout se permettre, Jan Tops et Franck McCourt ont modifié leurs règlements pour que les Global Tour et Global League se mélangent davantage. Désormais, les épreuves par équipe de la Global League compteront pour le classement mondial et la seconde manche sera qualificative pour le Global Tour. Une quasi-obligation faite aux meilleurs cavaliers de participer. Ceux-ci doivent en plus avaler une autre couleuvre: l'«harmonisation» des tarifs d’engagement entre les épreuves organisées outre-Atlantique et en Europe. Harmonisation par le haut, bien sûr.

Refus par principe

Pour parler de tout cela, Steve Guerdat a été reçu lundi à Lausanne au siège de la FEI. Une réunion de cinq heures durant laquelle le Jurassien, accompagné du Français Kevin Staut et de deux représentants des concurrents de second rang, a défendu le point de vue des cavaliers. «Nous avons parlé, ils nous ont expliqué leur vision, voilà…», explique au téléphone Guerdat, fatigué de se battre contre l’inéluctable. «Les décisions sont déjà prises», regrette-t-il. La sienne aussi. Il ne participera pas à la Global League et le moins possible au Global Tour. Par principe? «Oui, répond-il. J’irai sans doute à Mexico parce que j’ai un propriétaire mexicain, et à Miami parce que c’est sur le chemin du retour, mais je ne ferai que trois ou quatre étapes du Global Tour. Et je vais continuer de privilégier la Coupe des nations, comme je l’ai toujours fait.»

Au contraire des années précédentes, son choix sera désormais pénalisant pour son classement mondial. «Oui, c’est vrai. J’en accepte les conséquences. Financièrement aussi, c’est un manque à gagner. C’est de l’argent facile…» Trop, sans doute, pour Guerdat qui ne veut pas manger de ce pain-là. «Je ne prétends pas détenir la vérité mais à mes yeux, cette dérive est dangereuse. Je préfère penser à l’intérêt général de notre sport à long terme plutôt qu’à mon intérêt personnel à court terme.»

Un allié seulement

Même si le Jurassien a reçu beaucoup de messages de soutien ces derniers temps, seul le cavalier français Kevin Staut se place sur la même ligne que lui. «Chacun fait comme il veut, note Steve Guerdat, mais nous soutenir et ne pas passer aux actes, pour moi, ça n’est pas très crédible.»

Ce conflit prend donc l’allure d’une opposition entre Steve Guerdat et Jan Tops. Jeune cavalier, le Jurassien avait monté les chevaux du Hollandais et lancé sa carrière mais en 2006, Tops vendait son crack Tijl sans préavis, obligeant Guerdat à recommencer de zéro. En garde-t-il une rancune? «Je donne mon point de vue sur un circuit, non sur une personne, coupe Steve Guerdat. Jan Tops défend ses intérêts. Je critique surtout le fait qu’on lui laisse le champ libre. Ce n’est jamais bon qu’un sport soit tenu par une situation de monopole. Regardez ce qu’est devenue la Formule 1. Moi, je ne veux pas que l’équitation devienne un milieu où l’argent compte plus que la valeur sportive. Ce ne sont pas les valeurs que l’on m’a inculquées et que je défends.»