Sepp Blatter aimait à décrire la FIFA comme «la maison du football». Elle vient de retrouver la lumière, après avoir prospéré dans le noir pendant des années. Pour le plus grand soulagement d’une administration, souvent présentée comme efficace, passionnée et honnête, qui vivait sous la coupe – et parfois la crainte – de ces élus, membres du congrès ou du comité exécutif, qui tombent les uns après les autres dans les mailles de la justice. Aujourd’hui, le rapport de force s’est inversé. D’une source proche de la FIFA, les apparatchiks de la grande maison du football vivent assez mal le fait de devoir rendre des comptes à des gens qu’ils ont eux-mêmes mis en place. «Sepp Blatter et Michel Platini ont été très étonnés de l’attitude très stricte des enquêteurs», observe dans un sourire Andreas Bantel, porte-parole de la chambre d’enquête du comité d’éthique.

Si elle l’avait vraiment voulu, la FIFA aurait pu s’intéresser à toutes ces affaires depuis bien longtemps. En 1999, un an seulement après l’élection de Sepp Blatter à la présidence, le journaliste anglais David Yallop décrit dans son livre «How They Stole the Game» comment et combien (50 000 dollars) 18 voix africaines ont été achetées afin d’assurer la victoire du Valaisan en 1998. La justice suisse rate une première occasion de s’en mêler. Une décision du Tribunal de Meilen (ZH) fait interdire le livre en Suisse. La même année, Urs Linsi, alors secrétaire général, déclare: «La FIFA est en bonne santé, c’est une organisation propre et transparente, qui n’a rien à cacher.»

Le chèque brésilien

Andrew Jennings, le pitbull anglais qui s’est précédemment fait les dents sur le CIO et Juan Antonio Samaranch, s’intéresse pourtant déjà à la FIFA. Il découvre, en lisant un rapport d’audit des finances de la FIFA établi par KPMG, une histoire incroyable qui remonte à l’année 2000 et qui casse un peu le joli conte d’Urs Linsi. Ricardo Texeira, alors président de la Confédération brésilienne de football et membre influent de la FIFA, se présente un jour avec 400 000 dollars en cash, qu’il se fait échanger contre un chèque, revient quelques jours plus tard avec le chèque, récupère ses 400 000 dollars et va les déposer dans une banque zurichoise. Personne ne bronche. Sepp Blatter trouve plus urgent de pondre une loi interdisant à son comité exécutif de recevoir des cadeaux d’une valeur supérieure à 100 francs (c’est l’époque du scandale des pots-de-vin aux membres du CIO), alors que ce même comité exécutif est défrayé 500 dollars par jour, plus 250 dollars par jour pour les épouses.

En 2002, Sepp Blatter prend son ton solennel au congrès de Séoul: «Nous ne voulons pas nous contenter de parler de transparence, nous voulons la construire pierre par pierre.» Mais lorsque, deux ans plus tard, l’ancien président de la Fédération somalienne, Farah Addo, le prend au mot et dénonce des votes truqués autour de sa réélection, il écope de dix ans de suspension, avec les remerciements du Valaisan Marcel Mathier, président de la commission de discipline. C’est la première fois qu’un dirigeant de la FIFA est suspendu. Un an plus tôt, le vice-président argentin de la FIFA, Julio Grondona, aurait pourtant pu prétendre à cette première lorsqu’il déclara que «les juifs ne peuvent pas être arbitres parce que le monde du football est quelque chose de difficile, de travailleur, et que les juifs n’aiment pas les choses difficiles». Mais non.

En 2006, Jack Warner est déjà épinglé par deux rapports d’audit du cabinet Ernst & Young dans le cadre d’un trafic de billets de matches de la Coupe du monde, mais là encore, rien ne se passe. Blatter laisse traîner l’affaire, puis affirme avoir saisi la commission de discipline, ce que dément son président Marcel Mathier, interrogé à l’époque par «L’Illustré». L’éthique est pourtant officiellement devenue une priorité à la FIFA. Sepp Blatter veut une nouvelle instance, une commission d’éthique «comme au CIO avec Boutros Boutros Ghali, avec un président et un vice-président sans aucun contact avec le football». Le système n’est pas tout à fait au point puisqu’il expulse en 2007, pour «racisme», le président de la Fédération écossaise John McBeth, qui avait alerté le comité exécutif sur les agissements de Jack Warner et de divers dirigeants africains.

Un code éthique chétif

En 2010, le retentissant scandale ISL secoue la FIFA. La minutieuse enquête pénale du procureur du canton de Zoug, Thomas Hildbrand, est accablante, notamment pour Ricardo Texeira, encore visé le 29 novembre 2010 par un documentaire de la BBC, ainsi que son beau-père João Havelange, le Camerounais Issa Hayatou et le Paraguayen Nicolas Leoz. Aucun n’est inquiété, tous participent au fameux double vote qui attribue les Coupes du monde 2018 et 2022 à la Russie et au Qatar. La FIFA dispose pourtant désormais d’un nouveau code éthique, plus performant, et d’un nouveau président, l’avocat tessinois Claudio Sulser. «Nous n’avions pas les moyens d’obtenir des preuves. C’était comme aller se battre en duel avec un pistolet à bouchon», plaide aujourd’hui Claudio Sulser, qui rappelle que son comité d’éthique a suspendu plusieurs membres de la FIFA. Du menu fretin. Texeira, lui, courra jusqu’en 2012.

Sepp Blatter est bien conscient du problème et, le 2 janvier 2011, annonce la création d’un comité anti-corruption. Un de plus. Le magistrat allemand Gunther Hirsch claque la porte au bout d’une semaine et déclare: «La FIFA ne manifeste pas d’intérêt à résoudre les violations de son propre code éthique.» En août, c’est l’ONG Transparency International qui présente une série de mesures (limitation des mandats, publication des rémunérations, nomination d’observateurs extérieurs, lutte contre les conflits d’intérêts), puis renonce. Arrive ensuite Mark Pieth, professeur à l’Institut pour la gouvernance de Bâle, à la tête d’un «groupe de gouvernance indépendant» fin 2011.

Tandis que le Qatari Mohammed Bin Hammam est suspendu par le comité d’éthique de la FIFA, empêché de se présenter contre Blatter le 1er juin 2011, blanchi par le Tribunal arbitral du sport, faute de «charges suffisantes», puis quand même banni à vie par la FIFA, Mark Pieth avance dans ses travaux et constate en 2013: «L’absence de structures transparentes et la culture du népotisme pèsent sur la réputation de l’institution et minent ses efforts pour montrer le chemin d’une gouvernance éthique du sport.» Au congrès suivant, Alexandra Wrage, experte canadienne de la bonne gouvernance, quitte le groupe Pieth et refuse d’être payée. «C’est le projet le moins abouti auquel j’ai participé. Et de loin! Aucune de nos suggestions n’a été retenue à l’ordre du jour.»

La semaine dernière, la commission des réformes présidée par François Carrard a salué ce travail fondateur, sur lequel se basent ses propres recommandations. Mais pourquoi avoir attendu deux ans? «Deux choses ont changé, estime le consultant Andreas Bantel: les procureurs, d’abord Michael Garcia, puis surtout Cornel Borbely, sont très déterminés, et les temps ont changé. Les Etats-Unis mettent la pression. Aujourd’hui, même les plus réfractaires au sein du comité exécutif ont compris qu’il fallait réformer.» Ils ne nous en voudront pas de juger sur pièce.