Olympisme
L’ancien adversaire de Sion est de retour au front vingt ans après, davantage motivé par ce que les Jeux olympiques d’hiver ont changé dans les cœurs des Turinois que dans les rues de la ville

Si elle est confirmée, la candidature de Sion 2026 sera opposée à un étonnant nombre de concurrents. Nous en faisons le tour en quatre articles, en évoquant aussi d'autres expériences, comme ici.
C’est une précandidature qui réveille de mauvais souvenirs. Après avoir remporté le droit d’organiser les JO 2006 au détriment de Sion, la ville de Turin s’est déclarée intéressée par l’édition 2026, alors même que le Valais hésite, lui, à ressusciter son rêve olympique. Moins de vingt ans après son baptême du feu, la cité du nord de l’Italie a décidé de repartir pour un tour, car elle estime que, tout bien pesé, le jeu en vaut la chandelle.
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L’héritage comporte de multiples facettes, détaille Evelina Christillin, vice-présidente du comité d’organisation des Jeux en 2006, et actuelle membre du conseil de la FIFA et du comité exécutif de l’UEFA: «Turin était perçue comme une «one company town», dominée par la Fiat, une ville industrielle, mais elle était déjà en train de muer et s’orientait vers les services et la culture. Les JO ont offert un coup d’accélérateur déterminant pour le renouveau des infrastructures. Les installations multifonctionnelles sont souvent utilisées pour de l’événementiel et des foires. Mais il est inutile de cacher qu’il y a eu des erreurs. Aujourd’hui, le village olympique est un squat occupé en partie par des réfugiés…» Cinq cas de tuberculose y ont été déclarés dernièrement.
L’occasion manquée de Cesena
Le constat est similaire dans les montagnes avoisinantes. Les stations ont certes bénéficié des nouvelles remontées mécaniques, des infrastructures pour la neige artificielle ou encore des parkings, mais il y a deux gros points noirs, à 200 millions d’euros. Le tremplin de saut à skis de Pragelato, inutilisé, et la piste de bobsleigh de Cesana Torinese, partiellement démantelée. «C’était prévisible, car ce sont des sports qui n’ont pas une grande tradition en Italie et très peu de pratiquants. Pour le bob, on avait proposé de le délocaliser à La Plagne où se trouvait encore la piste des JO d’Albertville 1992. Le CIO était d’accord, mais pas le Comité national olympique italien, qui avait l’intention de faire de Cesana un pôle d’excellence dans cette discipline. Il n’en a rien été.»
Néanmoins, l’héritage immatériel compense largement ces ratages, selon Evelina Christillin: «Les Jeux ont engendré un changement de mentalité chez les Turinois. Avant, nous étions plus proches des Suisses, réfléchis, timides, presque ennuyeux. Maintenant, on est plus optimistes, sans qu’on devienne non plus des Napolitains. Douze ans après, Turin est encore une ville joyeuse. Il n’y a plus de méfiance envers le visiteur. Les touristes sont plus nombreux même si on est loin de Rome, Venise et Florence. Beaucoup de Turinois parlent désormais au moins une langue de plus que l’italien, les bars restent ouverts plus tard, les chauffeurs de taxi sont plus accueillants.»
Les Jeux ont également eu des répercussions positives d’un point de vue social: «Je croise souvent des personnes avec les parkas ou les vestes de Turin 2006, ajoute Evelina Christillin. Il s’agit d’anciens volontaires, ils sont fiers, beaucoup voudraient repartir pour un tour. Ce n’était pas escompté, je peux vous le garantir. Mais tous ces gens ont constitué un véritable réseau et continuent d’être actifs lors des différentes manifestations.»
Turin, ce modèle?
L’héritage comptable est forcément l’aspect qui intrigue le plus. Les Jeux olympiques ont coûté 3,5 milliards d’euros et ont fait grimper en flèche la dette de la commune de Turin, bien décidée à s’offrir un beau lifting sans toutefois risquer la banqueroute. Le comité d’organisation a rendu une copie très propre, comme le révèle son ancienne vice-présidente: «Ce sont deux bilans financiers différents. Le comité d’organisation a économisé 30 millions d’euros sur son budget de fonctionnement qui, grâce à une loi ad hoc promulguée en 2012, sont utilisés pour la maintenance des infrastructures.»
De fait, Turin 2006 n’est pas loin d’être considérée comme une édition vertueuse. Les organisateurs de Pékin 2022 s’en inspirent: «C’est vrai, ils consultent nos techniciens et veulent accéder à notre savoir-faire, nous sommes quelque peu perçus comme un modèle.» De quoi valider la pertinence d’une nouvelle édition des JO d’hiver.
Mais le Comité national olympique italien a l’embarras du choix et va devoir trancher cet été parmi les candidatures de Turin, de Milan et de Cortina d’Ampezzo. Avec ses 6000 habitants, cette dernière fait figure de Petit Poucet, mais il s’agit d’une station de ski renommée, déjà ville hôte en 1956.
A Milan, les flocons sont rares et le maire, Giuseppe Sala, a précisé que sa commune n’avait pas un euro à investir, malgré l’opportunité de rénover les infrastructures. Le chef-lieu lombard peut toutefois compter sur les stations de Bormio et Santa Caterina (à trois heures de route tout de même) pour les épreuves de ski alpin. Il serait aussi possible de s’appuyer sur l’Engadine et Saint-Moritz pour le bobsleigh et le saut à skis. L’idée d’exploiter quelques infrastructures de Turin 2006 a également été évoquée, si bien qu’une candidature conjointe a été un moment envisagée. Avant la récente déclaration de Chiara Appendino, maire de la cité piémontaise: «Turin n’a jamais pensé à Milan. Il n’y a jamais eu de contacts.» Turin ira seule, ou n’ira pas.