Le jeu de mots est facile: avec toutes les médailles qu'elle amasse, Laure Manaudou porte fort bien son joli prénom. La Française de pas encore 20 printemps - elle est née le 9 octobre 1986 à Villeurbanne (banlieue lyonnaise) sous le signe de la Balance - aura terminé les Européens de Budapest avec sept breloques autour du cou, dont quatre dorées, devenant ainsi la nageuse la plus titrée dans l'histoire des joutes continentales.
Mieux: la longiligne sirène, 1,80 m pour 63 kg, détient le double sceptre de championne olympique (Athènes 2004) et du monde (Montréal 2005) sur 400 m libre, dont elle a encore amélioré le record planétaire hier à Budapest, en 4'02''13. La nouvelle star a donc le privilège de figurer parmi les rarissimes naïades européennes à pouvoir damer le pion à la formidable armada australo-américaine.
Laure Manaudou... Patronyme suave pour demoiselle de fer. Qui rechigne à s'exprimer, boude la foule, se referme souvent comme une huître et avoue un caractère de cochon. «Je ne suis pas difficile, je suis très difficile. Je râle tout le temps à l'entraînement. Dès qu'il [ndlr: son coach Philippe Lucas] me dit de faire un truc en papillon, je demande à le faire en crawl. C'est aussi pour le taquiner. Mais je suis compliquée. Simplement, je sais que ça marche uniquement grâce à l'entente entre le nageur et l'entraîneur. J'essaie quand même d'accomplir ce qu'il veut. Si je n'y arrive pas, c'est que je ne suis pas bien dans l'eau. Ou que je n'ai pas envie.»
Pas envie. Comme en hiver, lorsqu'il faut émerger de la couette pour affronter les frimas puis l'élément aqueux. «Je dois y aller, je n'ai pas le choix. Une fois à la piscine, je me sens à l'aise.»
Il n'y a vraiment que là que Laure s'éclate, dans cette solitude silencieuse et bleutée propre aux forçats de la natation. Dès l'instant où la success story «manaudienne» a pris son envol, le 15 août 2004 aux Jeux d'Athènes, il a fallu s'afficher en public, répondre aux multiples appels du pied, affronter les photographes, se laisser épingler la Légion d'honneur par le président Jacques Chirac.
Et puis, la promo publicitaire en faveur de la candidature de Paris 2012; le tapis rouge du Festival de Cannes; le Grand Prix de Monaco de Formule 1, les rencontres avec Fernando Alonso, Zinédine Zidane, la visite obligée de l'écurie Renault; Roland-Garros 2005, la remise du trophée à Justine Henin-Hardenne; le déjeuner avec le maire de Paris, Bertrand Delanoë; le défilé pour son équipementier, en mannequin de sa ligne de maillots de bain; les interviews qui s'enchaînent. Un chemin de croix.
«Les incessantes sollicitations dont j'ai été l'objet m'ont terriblement pesé. Les médias étaient trop présents autour de moi. Je ne maîtrisais plus mon existence, j'en devenais agressive.» Aux Mondiaux 2005, elle fuit Montréal avant la dernière journée, sans un au revoir, lassée de ce tourbillon effréné. «Je n'en pouvais plus de tout ce stress, de toutes ces attentions. J'étais à bout.»
Laure Manaudou finit par engager un agent. Echec et mat, ils se séparent. Elle opte pour un avocat, le même qu'Amélie Mauresmo, paraphe des contrats avec EDF, Lancel, Arena, lastminute.com. L'argent afflue: 600000 euros de revenus annuels, selon les estimations. Au minimum 100000 de plus, chuchote-t-on dans le milieu aquatique. Beaucoup, beaucoup de sous pour une nageuse, dont les espoirs de gains sont très limités. «Encore trois ou quatre ans à ce rythme, et elle n'aura plus besoin de se soucier de son avenir», assure un cadre de la Fédération française. Tant mieux, puisque Laure, sportive d'élite à temps plein, a abandonné l'école, l'idée d'un baccalauréat, la perspective de suivre des études.
Et que fait-elle de son pactole? «Pour l'instant, rien. Plus tard, je me verrais bien acheter une maison dans le sud ou à la campagne.» Peut-être par nostalgie de la chaude atmosphère du domicile familial à Ambérieu-en-Bugey, un bourg de l'Ain où son père, employé de banque, ancien handballeur, et sa mère néerlandaise, nourrice, férue de badminton, lui apprennent à nager dès l'âge de 5 ans, comme n'importe quel gosse. Surdouée, vite remarquée, Laure quitte ses géniteurs à 14 ans, direction le club de Melun, en Seine-et-Marne. Elle s'installe à demeure chez son entraîneur Philippe Lucas et son épouse.
Depuis, Laure Manaudou nage, encore et toujours, collectionne sacres et records. Elle n'a pas fini de procurer des frissons de plaisir à l'Europe entière.