Un matin de juillet 2002, rendez-vous était pris au café d'un palace genevois, à l'improviste, pour une interview. Ciel bas, crachin mauvais. Gêne un rien pesante entre deux personnes foncièrement timides. Magie d'un aparté où, par la force des choses, par la force des silences insoutenables, les mots jaillissent doucement.
A l'époque, Marc Rosset s'entêtait à revenir au premier plan, via des tournois d'arrière-court. Ses combats vides de sens inspiraient une certaine pitié. Lui-même semblait se trouver pathétique. «Quand vous avez passé onze années sur les grands tournois et que, tout à coup, vous vous retrouvez à guerroyer contre le cent trentième joueur mondial, avec trois pelés derrière les grillages, vous savez que cette expérience ne vous apportera rien dans la vie. Je voulais grappiller quelques points ATP en vitesse. Je me suis retrouvé dans la banlieue de Saint-Etienne, face à un mec qui voulait m'exploser la tête. Je n'ai pas gagné un seul match. J'ai eu le blues.»
Acharnement thérapeutique, espérances illusoires. Rosset, conquérant de l'inutile, avait expliqué: «J'ai peur de vivre sans tennis. J'ai peur de ne pas retrouver une activité qui me procure autant d'émotions. Je peux travailler, bien sûr, mais quel boulot m'excitera? Voilà mes vraies angoisses. Certains joueurs ont besoin de retrouver une existence normale. Ils fondent un foyer, achètent une maison, montent une petite affaire. Je n'arrive pas à savoir s'ils sont heureux ou s'ils font semblant.»
Mais lui, était-il heureux? Deux billes ont roulé en silence au fond de leur orbite, avant d'en ressortir plus bleues, plus fragiles, plus pures. «Je n'ai jamais été heureux. J'ai tout pour l'être mais, rien à faire, je n'y arrive pas. Pour moi, rester positif est une lutte permanente. Une lutte acharnée.»
Marc Rosset, pire ennemi de Marc Rosset. «De loin le plus dangereux», dit à L'Equipe son ancien complice Stéphane Oberer, violemment éconduit pour une affaire obscure de notes de frais. Marc Rosset, grand champion, grand compétiteur, grand angoissé qui, pour oser l'affrontement, a d'abord besoin de l'engager contre ses propres tourments, non loin des WC de préférence. «J'ai vécu toute ma carrière avec une boule à l'estomac.» Marc Rosset, grand gagneur, bras immenses tendus rageusement comme pour prendre le ciel à témoin, ce ciel qu'il honnit de lui avoir infligé une carcasse dégingandée.
Marc Rosset, dit le «Grand». Grand gaillard, grand gamin mal dégrossi, grande gueule, certes; mais quoi de plus pratique pour enfouir des timidités de petit garçon, voire des complexes? «Dans un bus, avec ma taille, on me remarque. Gamin, ce n'était pas facile à vivre…» «La sortie la plus vache que l'on puisse me faire est de me dire que je suis beau.» «Dans un magasin, je suis incapable de demander conseil à un vendeur. Je peux me rouler par terre sur un court mais, en dehors, je n'ai pas confiance en moi. Dans un resto, si quelqu'un me lance un petit sourire, je n'arrive pas à le rendre, impossible, je grimace ou j'esquive. Alors on me croit hautain.»
Marc Rosset porte à la vie une affection ambiguë, exprimée dans l'exubérance et la déprime. Souvent invité à se définir, il avance: «Entier». Donc forcément spontané, brutal, blessant. Souvent équivoque, paradoxal, incompris. «Il est difficile à cerner mais, si l'on prend la peine d'explorer sa personnalité insaisissable, il devient vite attachant, colporte Georges Deniau, fidèle allié. En général, Marc est adoré ou détesté. Sans juste milieu.»
Né pour diviser. Pas obligatoirement pour régner. Que s'est il passé au juste pour que, avec une telle unanimité, l'équipe de Coupe Davis le rejette sans états d'âme? Traîtrise? Combat fratricide sur fond d'egos affamés? Amours-propres froissés par trop de gouaille, de colères, de manquements? Bien qu'il ne l'admette pas, Marc Rosset avait assimilé l'idée, depuis l'éviction de Georges Deniau, et peut-être aussi depuis que Roger Federer a décidé de prendre une année sabbatique en Coupe Davis, que l'allégeance était rompue.
Il aurait pu ruser, lisser les aspérités de son personnage, étouffer son aversion pour ce monde de faux ongles, de faux cheveux et de faux culs, mais jamais, au cours de sa carrière, il n'a cédé à une civilité de fonction. Ni pour exister, ni pour gagner sa vie. «L'argent et la notoriété n'ont jamais été un moteur dans ma carrière. Si j'avais voulu m'enrichir, j'aurais mieux vendu mes titres, je serais devenu un bon Suisse, j'aurais porté une casquette Wintherthur Assurances et un short Ovomaltine, je serais devenu poli. Malheureusement, j'ai vite compris que l'argent ne me rendrait pas heureux.»
Avant de prendre congé – sur une franche poignée de main et un pari potache –, Marc Rosset avait invité sa propre épitaphe, comme une drôlerie: «J'aimerais qu'on se souvienne d'un mec qui n'a pas toujours été bon, mais qui a aimé le tennis par-dessus tout. J'aimerais aussi qu'on se souvienne d'un homme qui avait une grande gueule, mais qui n'était pas méchant. Un homme juste un peu timide et pas très doué pour le bonheur.»
Depuis deux semaines, Marc Rosset est injoignable. Selon L'Illustré, il passe des vacances en Sardaigne, dans la propriété de son ami Werner Späth et de son épouse Donna Bertarelli. Le capitaine abandonné a promis quelques confidences vengeresses dès son retour. Viré de Swiss Tennis, accablé par le décès tragique d'un proche, il n'a pas touché une raquette depuis trois mois. Il a aussi annulé ses mandats de consultant auprès de la TSR, à Roland Garros et à Wimbledon. Une autre vie l'attend. Mais voilà, lui ne sait pas trop qu'en attendre.